Parc José Nosel

   Administrateur territorial

  Ancien enseignant universitaire d’histoire de la pensée économique

                         Je reviens, dans ce « point de vue », sur une idée que l’on retrouve souvent dans mes écrits ; Il s’agit de cette nécessité, que je prétends urgente…depuis plus de 30 ans, de revisiter, encore davantage que nous ne le faisons déjà, certaines périodes de notre histoire de la Martinique ; Pour mieux en clarifier le récit, à la lumière des nouveaux éclairages, sur les faits, de mieux en mieux connus, qui ont émergés, ces dernières années.

       

         D’abord, parce que nous avons besoin davantage de ce regard des spécialistes martiniquais, notamment historiens, sur notre histoire, et je rappelle volontiers le mot de nos amis africains : « les histoires de chasses seront toujours à la gloire des chasseurs, tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens ».

           Ensuite, parce que, on ne doit jamais oublier le propos du grand historien Marc Bloch, (son nom a été donné à l’Université des sciences sociales de Strasbourg), qui disait : « l’incompréhension du présent nait fatalement de l’ignorance du passé », ajoutant, « mais il est vain d’essayer de comprendre l’histoire si on ne sait rien du présent »

Nous en avons l’illustration avec la polémique initiée par Sylvère Farraudière (SF), inspecteur d’académie, directeur des services de l’éducation à la Martinique de 1988 à 1994, et portant sur le thème « changer le nom du lycée Schoelcher », dans le N° 2001, du 30 12 2021 de la revue Antilla.

    S. F. propose de renommer le lycée Schoelcher, Lycée Cyrille Bissette ; et Henri Pied (HP), personnalisant cet éventuel changement de nom, nous fait part, des raisons pour lesquelles, le Président de l’exécutif de la CTM, Serge Letchimy, ne procédera pas, selon lui, à tort, à ce changement de nom.

     S’il est peu probable, en effet, que ce lycée reconstruit, et qui doit rouvrir prochainement, change de nom, à cette occasion, la polémique, par contre, ouverte par M. Farraudière, et complétée par Henri Pied, nous parait majeure.

Il s’agit d’une de ces occasions de revisiter une période et un aspect de notre histoire de la Martinique.

     La période, en l’espèce, c’est celle qui va de 1804, l’indépendance d’Haïti, à 1858, décès de Cyrille Bissette, période incluant, l’abolition de l’esclavage, certes, mais aussi, ce conflit entre Victor Schoelcher et Cyrille Bisette, dont la connaissance des tenants et aboutissants peut éclairer utilement des polémiques et des actes d’aujourd’hui, à priori peu compréhensibles.

     L’aspect, en l’espèce, c’est la prégnance de questions datant de cette époque (portées et limites concrètes, de l’abolition de l’esclavage, indemnisations et réparations pour l’abolition de l’esclavage, etc). Questions qui ont été longtemps occultées ; tout comme certains acteurs de l’époque, qui, soit ont été oubliés par l’histoire et la notoriété, pour certains, comme Bissette, Pécoul, ou Mazuline, soit ont été portés au pinacle, comme Schoelcher et ses amis de la Franc-maçonnerie.

     Et, en revenant sur l’histoire de l’éducation, à la Martinique et en Guadeloupe, S F apporte un éclairage tout à fait déterminant pour la compréhension de l’évolution des deux sociétés : l’impact différent, par exemple, de la présence prolongée, en Martinique des frères Ploërmelet des sœurs de Saint-joseph de Cluny, ou la prégnance, à la Martinique de certaines inégalités sociales et ethniques qui restent tabous.

    Le complément du texte de SF, par HP, montre bien que sans qu’il soit nécessaire de diminuer l’importance du Schoelchérisme, et donc de casser des statuts de Schoelcher, une évolution de la situation à la Martinique, passe, sans doute, par une réhabilitation de certains oubliés de l’histoire, tout en essayant d’atténuer certains clivages de notre société, ne serait-ce que par la plantation d’arbre par des acteurs du présent dans des lieux symboliques.

     Quant au défi lancé par HP, je verse au dossier la petite contribution ci-dessus qui parle du 1er député noir de la Martinique, le suppléant de Cyrille Bissette en 1848, Victor Mazuline.

     C’est un petit texte que j’ai écrit à l’occasion du décès de mon ami Jean Maran, ancien député de la Martinique.

 Jean MARAN : une grande figure de la vie politique, sociale et éducative de la Martinique

              Notre compagnon, de l’Ordre National du Mérite, Jean MARAN, s’est offert l’élégance de décéder, à son anniversaire, après un siècle et un an d’existence.

Lui, qui, pour ses activités professionnelles d’enseignant, et par inclination d’homme de culture, était un féru d’histoire, le voici entré dans l’histoire.

   L’homme est d’abord un républicain et un patriote combattant qui connaitra 4 régimes politiques nationaux et au moins 3 guerres.

Né en 1920, au début du 20ème siècle, Jean Maran, très attaché à la République Française, aura connu 3 Républiques françaises, la 3ème jusqu’en 1940, la 4ème jusqu’à 1958 ; et la 5èmejusqu’à sa mort.

Jean Maran aura connu aussi, « la parenthèse » du Régime de Vichy qui marqua fortement la Martinique avec la période dite de l’Amiral Robert.  Celui qui le 14 septembre 1939, sera nommé, à Fort de France, Haut-Commissaire de la République aux Antilles, à Saint-Pierre-et-Miquelon et en Guyane. Celui qui, Après l’armistice de 1940, se rallie au Régime de Vichy et appliquera, à la Martinique, la célèbre devise du Régime : « Travail, famille, patrie ».

  1.     Un Républicain attaché à la citoyenneté française

L’attachement de Jean Maran à la citoyenneté français et à la République, aurait pu lui avoir été inspiré par le Député Martiniquais, inconnu chez nous, Victor MAZULINE ? Mais, je ne sais s’il le connaissait.

Rappelons que Victor MAZULINE est né esclave, le 21 juillet 1789 à Fort-de-France, qui s’appelait Port-Royal à l’époque. Il est acheté par le juge Claude MOTTET, qui l’emmène avec lui à Paris, où il vécut dans le 6ème arrondissement.

Marié à une Française, femme de ménage, il acquiert une certaine aisance, et se lance dans le militantisme anti-esclavagiste. C’est ainsi qu’il devient le suppléant de Cyrille Bisette, avec qui il milite, lors de l’élection législative du 9 août 1848, pour la députation de la Martinique. Mais l’élection de BISSETTE à l’Assemblée Constituante, a été annulée, sous recours de son adversaire, et concurrent depuis 1835, Victor SCHOELCHER. C’est donc le suppléant de Bisette, Victor MAZULINE qui va siéger comme député de la Martinique en 1848. Victor MAZULINE est décédé à Paris le 28 janvier 1854. Mazuline aurait dit, en effet : La République : « vivons et mourons pour elle »

  Parmi les personnages oubliés à la Martinique, Mais qui auraient pu être inspirants, et que Jean Maran a probablement connus, on peut citer Henry LEMERY, né le 9 décembre 1874 à Saint-Pierre et mort le 26 avril 1972 à Paris

Ce Martiniquais a été parlementaire entre 1914 et 1940, Et c’est le premier Martiniquais à devenir membre d’un gouvernement en France ; c’est aussi le dernier jusqu’ici. Il a été un éphémère Garde des Sceaux en 1934, puis il sera Ministre-secrétaire d’État aux Colonies de juillet à septembre 1940, au début du régime de Vichy. Peut-être doit-il sa totale absence de notoriété à la Martinique à cette dernière fonction.

  Jean Maran, comme Mazuline et Lémery a été aussi parlementaire de la Martinique ; il l’a été de 1986 à 1988, en compagnie d’Aimée Césaire, de Maurice Louis-Joseph Dogué et de Michel Renard

Apres des débuts de carrière politique à Gauche, Jean Maran va devenir une des Grandes figures de la droite Martiniquaise, en compagnie des François Duval, Emile Maurice, Camille Petit, Edmond Valcin, Michel Renard, Victor Sablé, Pierre Petit, Alfred Almont, André Lesueur, Anicet Turinay

Un patriote combattant

Le patriote Jean Maran était aussi un combattant reconnu ; et certains se souviennent de son intervention lorsque, à 98 ans, il devint, au cours d’une cérémonie organisée, chez lui, le premier Martiniquais à recevoir la médaille d’or, attribuée par l’Union fédérale nationale des anciens combattants.

Un départementaliste convaincu

Mais l’itinéraire politique de Jean Maran est surtout marqué par ses combats pour le maintien de la Martinique dans la France. Très attaché au statut départemental, et à l’article 73 de la Constitution, il aura connu, cependant, pas moins de 4 statuts politiques de son ile natale.

   Il est né sous le régime de la colonisation, il connaitra le régime de Vichy, avant d’être un fervent du régime de la Départementalisation. Il participera au régime de décentralisation avec- la Régionalisation. Il sera d’ailleurs Président d’une des institutions illustrant la décentralisation : l’Etablissement public de coopération intercommunal du Sud de la Martinique (EPCI), le SIVOM-Sud. Le statut de Régionalisation a évolué vers celui de Collectivité territoriale de Martinique. Mais au moment où il disparait, ses partisans de la droite locale ont été éliminés de cette collectivité. Mais il aura peut-être gagné son combat puisse que tous les partis au pouvoir à la Martinique semblent s’être convertis au maintien de la Martinique dans la France et dans l’Europe.

C’est une des contributions que l’histoire reconnaitra certainement à Jean Maran.

                                                                José NOSEL

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