Dans une publication Linkedin, Jean-Yves Bonnaire nous parle des défis liés à l’application des normes et règles dans les territoires ultramarins, souvent perçus comme “excentrés” au sein de la République.
S’appuyant sur des exemples concrets et des réflexions, il souligne les tensions entre le cadre normatif national, l’histoire complexe des Outre-mers, et les réalités économiques et climatiques spécifiques à ces territoires. À travers le prisme de secteurs comme la construction, il met en lumière les initiatives émergentes visant à adapter les normes aux contextes locaux, tout en valorisant l’expertise ultramarine dans des solutions bénéfiques pour tous.
DIFFICULTÉS D’APPLICATION DES NORMES & RÈGLES DANS LES TERRITOIRES “EXCENTRÉS” DE LA RÉPUBLIQUE
La polémique créée par la ministre Agnès Pannier-Runacher sur les actions musclées de l’Office Français de la Biodiversité (#OFB) dans le domaine de l’agriculture offre l’opportunité de réfléchir à une problématique au cœur de l’actualité politique: les normes finissent-elles par devenir contre-productives ?
Personne ne remet en cause la nécessité d’avoir des règles ou des normes. Qualité et sécurité des biens commercialisés et des services proposés requièrent que des autorités imposent d’une manière ou d’une autre des règles et normes qui protègent les consommateurs et les usagers.
Derrière cet éternel débat, qui combine, coûts normatifs pour des territoires moins riches, santé humaine, risques, assurabilité, capacité à commercer plus librement, perte de rentabilité et création d’un différentiel insupportable avec des pays moins normés, se pose une question sous-jacente :
Jusqu’où le régalien doit-il aller pour appliquer des normes et règles qui sont parfois décalées, qui sont incomprises par ceux à qui elles sont destinées et qui vont jusqu’à produire de véritables drames humains?
Ma petite expérience me fait dire que:
– Le manque de sensibilité de ceux qui ont pour mission de faire appliquer la règle sera toujours interprété comme du mépris jacobin si on est en province hexagonale, ou comme du mépris colonial si on est dans les Outre-Mers. Ce n’est pas forcément juste, mais l’interprétation doit être appréciée comme “normale” au regard de l’histoire de France. Nier les traumatisme générés par l’histoire trouble et douloureuse n’aidera pas à construire un avenir différent et apaisé. La règle doit être juste, comprise et admise pour produire ses effets bénéfiques. La confiance réciproque est le fondement de l’efficacité normative, même si la confiance n’exclut pas le contrôle.
– Les politiques décidées à l’échelon européen ne sont pas toutes cohérentes entre-elles, leur transposition dans le droit national français et dans le corpus normatif français est souvent trop rigide, trop administrative, trop brutale, trop peu évaluée au fil de l’eau, pas assez bien préparée, malheureusement une sorte de marque de fabrique de la France.
– L’Europe ne peut pas s’autoériger en conscience du reste du Monde sur les sujets environnementaux, de sécurité et de santé. L’Europe n’est pas le phare du Monde, d’autres civilisations remarquables existaient déjà partout sur la Planète lors des phases de conquêtes coloniales européennes. Respectons aussi ces savoirs vernaculaires et la volonté des populations recomposées de ces territoires non-continentaux de vivre différemment, sans les juger. Il est cependant vrai que certains sujets concernent l’humanité toute entière, tout-un chacun ne peut pas vivre de son côté comme il l’entend en mettant la Planète au supplice.
Dans tous les secteurs de l’économie, la volonté pour les acteurs des territoires excentrés de se réapproprier certains pans de la production normative est exprimée avec force. Il faut entendre cette revendication parfaitement légitime.
LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION ULTRAMARIN PROPOSE UN CHEMIN DE RAISON ET DE RESPONSABILITÉ PARTAGÉE
Concernant le secteur de la construction, les conclusions du rapport de la délégation sénatoriale aux Outre-Mers du 29 juin 2017 “Le BTP des Outre-Mers au pied du mur normatif” sont édifiantes ;https://www.senat.fr/rap/r16-601/r16-6011.pdf
Dans ce domaine des normes et règles de construction, le réflexe Outre-Mer est cependant bien en marche. Les acteurs ultramarins participent plus activement à l’élaboration des normes et règles qui vont concerner leurs territoires. Les ultramarins sont maintenant présents au sein du Conseil Supérieur de la Construction et de l’Efficacité Energétique (CSCEE) via un groupe structuré par la Fedom Outre-mer . Les fédérations nationales du Bâtiment (#FFB) et des Travaux-Publiques (#FNTP) sont plus proches que jamais des territoires ultramarins. Des travaux du Bureau de Normalisation des Techniques et Equipements de la construction du Bâtiment (#BNTEC) et de la commission de la normalisation de la FNTP incluent également des acteurs ultramarins.
Des contacts très réguliers existent à présent avec l’Agence Qualité Construction (#AQC), le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (#CSTB), la Direction de l’Habitat de l’Urbanisme et des Paysages (#DHUP), la Direction Générale de l’Outre-Mer (#DGOM). Plusieurs textes où la touche ultramarine a été décisive ont été votés. Certains de ces textes seront même utiles aux territoires continentaux qui feront face à une accélération des effets du dérèglement climatique. C’est notamment le cas de l’arrêté paracyclonique du 5 juillet 2024, certes insuffisant pour appréhender l’ensemble du risque cyclonique dans les Antilles où il s’applique, mais qui marque un vrai début d’adaptation aux réalités des territoires tropicaux… et continentaux quand on voit la violence des tempêtes hivernales.
Ce combat pour la reconnaissance de l’expertise ultramarine est un combat de longue haleine. On ne bouscule pas un système établi par la simple revendication, fusse-t-elle justifiée. Les choses changent lorsque les territoires montrent qu’ils sont capables, de s’unir, de faire taire les egos, d’éviter les comportements suicidaires au sein de leur propre écosystème et de produire de manière qualitative. A ce titre, le livre blanc issu des Assises de la Construction Durable en Outre-Mer qui a mobilisé dans l’équité la plus absolue les 11 territoires ultramarins français des bassins Atlantique, de l’Océan Indien et du Pacifique est une avancée pour le moins remarquable appelée on, l’espère, à devenir la règle du jeu.
Le travail continue…
Jean-Yves Bonnaire