Le Monde

A la tête de la collection Points Poésie, l’écrivain congolais voit chez le natif de Dakar une manière de « raconter un monde en train de se métisser ».

Par Séverine Kodjo-Grandvaux

Le slameur bordelais Souleymane Diamanka. ISABELLE DOHIN / CREATIVE COMMONS

C’est un diamant taillé par les mots et les vers peuls qu’a choisi d’éditer Alain Mabanckou pour sa prise de fonction à la direction de la collection Poésie des éditions Points. Un Diamanka « bercé par les vocalises silencieuses de [s]es ancêtres », « descendant de Bilaali Sadi Hol le bien nommé / Haal pulaar ». Souleymane Diamanka, donc, figure bordelaise du slam dont le « baobab généalogique a ses racines en Afrique / Et sa cime en Europe ».

Le recueil Habitant de nulle part, originaire de partout rassemble les textes de l’album L’Hiver peul (2007) et de nombreux inédits. Le natif de Dakar, qui a grandi en France dès son plus jeune âge, y rêve le continent« comme l’enfant adoptif rêve de ses vrais parents ». Une poésie imprégnée d’une culture africaine qui joue avec les langues et se réinvente depuis une vingtaine d’années grâce aux rappeurs.

« En Afrique, la poésie est première, le roman second », analyse Romuald Fonkoua, professeur de littérature francophone à l’université Paris-Sorbonne. La littérature africaine a longtemps été influencée par les grandes figures de la négritude : Aimé Césaire, Léon-Gontran Damas et Léopold Sédar Senghor étaient tous poètes. Mais, avance Alain Mabanckou, « aujourd’hui ce sont les slameurs et les rappeurs qui renouvellent le genre, les chanteurs aussi ; je pense par exemple à Koffi Olomidé, dont les textes en lingala pourraient tout à fait être publiés dans une traduction française ».

En Afrique, « la poésie se fait rue »

« Il est vrai que sur le continent, la poésie ne se fait plus livre mais elle se fait rue, confirme Romuald Fonkoua. Elle passe presque essentiellement par le hip-hop et des slameurs qui s’expriment en langue locale : wolof, kinyarwanda, kikongo… et non plus nécessairement en français. » Selon lui, « en publiant Souleymane Diamanka, Alain Mabanckou saisit un moment de la poésie africaine avec un homme de scène qui a pu construire en vingt ans une œuvre aussi forte que celle de [l’écrivain congolais]Tchicaya U Tam’si ».

C’est ce qui a séduit Alain Mabanckou, qui voit en Souleymane Diamanka cette même manière de « raconter un monde en train de se métisser, où il ne sert à rien de bêler son particularisme ». Des textes qui rappellent le poème Epitaphe de Tchicaya U Tam’si, dans le recueil Arc musical :

« Je prédis une babel
en acier inoxydable
ou de sang croisé
mêlé à la lie de toute crue !
Après l’homme rouge,
après l’homme jaune,
après l’homme noir,
après l’homme blanc,
il y a déjà l’homme de bronze
le seul alliage au feu doux
praticable déjà mais à gué. »

« Dire comment l’Afrique entre dans la mondialisation, va dans le Tout-Monde avec le bagage qui est le sien pour le partager avec tous, c’est ce que je recherche et veux publier. Souleymane Diamanka le fait en traversant les cultures et en travaillant les langues française et peule », revendique Alain Mabanckou.

« Les femmes sont peu publiées »

Pour Romuald Fonkoua, la nomination du Congolais à la direction de la collection Points Poésie est « une sorte d’aboutissement de la rénovation de la poésie africaine et une suite logique : des grands poètes de la négritude comme Césaire, Senghor, mais aussi des auteurs comme Daniel Maximin ou René Depestre y sont présents. Alain Mabanckou y avait réédité son recueil Tant que les arbres s’enracineront dans la terre et une anthologie de la poésie africaine regroupant des textes de Birago Diop, Jacques Rabemananjara, Bernard Dadié, Tchicaya U Tam’si, Léopold Sédar Senghor et Jean-Baptiste Tati Loutard ».

Depuis février, parmi les six publications de la collection, cinq concernent les mondes africains et caribéens. Concomitamment au recueil de Souleymane Diamanka est paru Ces îles de plein sel, du Haïtien Louis-Philippe Dalembert, qui a été précédé par deux rééditions de Césaire et suivi de La Monnaie des songes, de Marie-Christine Gordien, originaire de la Guadeloupe et « première femme noire publiée par cette collection »,note Romuald Fonkoua. Le spécialiste rappelle que jusqu’à présent, les poétesses noires ont surtout été éditées en France par Présence africaine. Et de préciser : « En Afrique, hormis quelques figures comme Tanella Boni ou Véronique Tadjo, les femmes sont peu publiées. Celles qui passent par le slam ne le sont pas du tout. »

Pour autant, Alain Mabanckou, qui a à cœur faire connaître davantage de voix féminines, prévient : « Je ne vais pas publier que de la poésie africaine ou du monde noir. Le prochain titre est celui de la Finlandaise Sofi Oksanen, Une jupe trop courte. Mais je ne vais pas non plus m’interdire de le faire, d’autant que l’espace francophone africain est de moins en moins le champ d’expression de la poésie, faute d’éditeurs. Or la poésie, parce qu’elle est un cri, est ce qui s’exprime le mieux sous les dictatures. »

Habitant de nulle part, originaire de partout, de Souleymane Diamanka, éd. Points, collection Points Poésie, 144 pages, 7,30 euros.

Séverine Kodjo-Grandvaux

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