Ils sont beaux,
De toutes les couleurs, de toutes les formes, avec pour la plupart des échancrures plutôt prononcées qui mettent en valeur galbes et formes. L’œil s’y perd, faute de pouvoir s’y accrocher. Les maillots tendance sont de sortie, arborés par de jolies et gracieuses créatures, dont l’embonpoint manifeste ne contrecarre en rien le désir de séduction.

Qu’importe, c’est le moment, la saison diraient certains, celle ici d’événements festifs rythmés par les grandes manifestations, Mercury Beach, Tour des Yoles, et en bouquet final, le Baccha Festival qui « promet une line up hors normes ».
L’érotisation des corps s’affiche chaque jour davantage. On est loin de la seule jouissance transgressive du Carnaval. Désormais, les corps, principalement féminins, se montrent, s’affirment, s’exhibent même, dans un élan collectif qui interpelle.
Que viennent donc dire dans l’espace public, celui où nous entrons en relation avec l’autre, ces corps aux
attributs sexuels stéréotypés : chevelure abondante, lèvres pulpeuses, cils rallongés, poitrine opulente,
fessiers rehaussés, talons hauts, et de plus en plus dénudés ?

Dans un monde saturé de sexualité, de la publicité aux affiches toujours plus suggestives , aux chansons
dont les paroles se passent même de sous – entendus, cette exposition du corps des femmes rend- elle
un culte à la « beauté féminine » ou participe t- elle de leur mise en objet en les conformant aux
diktats les plus frivoles de standards chimériques de beauté ?

Habiter un corps à soi, pour –soi, nœud singulier de notre rapport à nous- même et au monde en tant
qu’individu libre, désinhibé et affirmant sa désirabilité sans pour autant s’offrir en objet sexuel, apparait irréalisable si l’on en croit l’image corporelle fictive de femmes chosifiées, carburant à la séduction.
Dans cette floraison des corps, chacune se pense unique tout en affirmant son appartenance à la
communauté des instagrammeurs et autres réseaux sociaux qui renvoient en miroir sensualité et désir.
Dans détonant mélange d’audace et de surenchère, les corps émoustillent, provoquent, appâtent et se
jouent du voyeur derrière l’écran. Seuls comptent les like et autres commentaires suscités. Le juge de
paix s’est déplacé mais la concurrence distanciée des corps n’exclut pas leur exhibition collective lors
des embrasements festifs des corps – accords.
Mais en arrière –fond, d’une autre scène, sourdent des réalités bien plus prosaïques.
Au-delà du marché de la minceur et de la toute-puissante industrie de la beauté et même de la chirurgie esthétique, l’impact de cette sexualisation à outrance du corps féminin et des rapports hommes/femmes que la publicité sexiste mais aussi les medias – des séries télévisées à l’industrie pornographique – mettent en scène, peuvent, non seulement provoquer une insécurité identitaire mais des comportements relationnels irrationnels où prédomine une conception simpliste et irréaliste de
« la joie de vivre », du sexe et de l’amour.
En effet, le mythe de « l’égalité déjà là » sur la base duquel les femmes s’affirment et affichent leur auto
– érotisation masque le déséquilibre des rapports entre les genres et contribue à les maintenir [aux yeux des hommes] dans un statut de femmes-objets susceptible d’accroître leur « vulnérabilité » à la violence et à l’abus sexuel.

Les femmes doivent ainsi faire face à des injonctions contradictoires : vivre leur plein épanouissement –
manipulation, objectivisation et marchandisation de leur corps s’emploient à récupérer ce désir au profit d’intérêts mercantiles et
autres, loin d’être bien intentionnés.
La vague hédoniste actuelle semble pourtant fort bien s’en accommoder tant est prégnante la tendance à jouir sans entraves, en se laissant simplement porter par le « mouvement ».
Certes, l’éthique a le plus souvent peu à voir avec les affaires, toutefois ni l’évolution sociale ni la place et le poids des femmes dans la société martiniquaise ne se sont accompagnées, même au sein des jeunes générations, d’une mutation des assignations de genre.
La voie s’avère donc pour les femmes étroite entre une affirmation de leur corporéité qui leur soit propre et les réponses convenues et archaïques aux attentes réductrices de certains hommes et des industries de leur mise en image.
Vivre sa vie, son corps, sa liberté, en faisant fi du contexte, de sa charge culturelle et sociale, voire des intérêts économiques liés à cette suffisance du jouir, le temps d’une « saison », celle des corps en émoi, libres.
Mais que vaut ce cliché faussement bon enfant à l’aune d’une égalité toujours à conquérir et du cynisme impitoyable des marchés si profitables des corps.

Michèle Latouche

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