Les périodes de confinement n’auront nullement été vaines pour Jean-Michel Cabrimol, le charismatique leader du groupe ‘La Maafia’. Alors que la formation préparait les événements accompagnant l’anniversaire de ses 40 ans (déjà…), une certaine Covid-19 est venue interrompre les plans du célèbre collectif de 14 musiciens. Cependant l’enfant de la campagne du Lorrain et de Godissard (Fort-de-France) – devenu ce swingueur caribéen ‘’épicé’’, apprécié bien au-delà de la Martinique depuis tant d’années – n’avait pas dit son dernier mot. Loin s’en faut. En effet quand on crée, à l’âge de 9 ans, son premier « orchestre » (‘Les chats noirs’) et qu’on en fabrique les instruments avec du bois, du fil de crin et des baguettes de filaos, c’est que la musique vous a déjà choisi. Rencontre avec un artiste à la positivité et l’enthousiasme quasi palpables.

Comment avez-vous vécu ces périodes de confinement, notamment le premier ?, demandons-nous en préambule. Jean-Michel Cabrimol indique avoir été notamment inspiré par le courage des enseignants, ou par celui de ces nombreux parents qui devaient aller travailler et s’occuper de leurs enfants durant cette séquence inédite. « C’était un élan courageux, qui ne me donnait pas le droit, en tant qu’artiste, de pleurer ou me plaindre », assure-t-il, « être artiste c’est souvent un métier sans filet, à risques. Avant la pandémie et le confinement on préparait les 40 ans de La Maafia, avec 40 dates déjà prévues en France, à la Réunion, en Guadeloupe, etc. Mais ces inquiétudes-là c’est être dans la vie, pas au-dessus. » Le ton de l’entretien est donné.

« Dire à mon peuple ‘on est bons les gars, prenez confiance, allons nous mettre ensemble… »

De ses propres mots, Jean-Michel Cabrimol a « profité » de la situation inhérente à la Covid-19, pour créer. « C’est comme ça qu’on a fait le concept ‘Son Péyi-a’ », déclare-t-il quant à cette série de concerts donnée en juillet-août derniers dans le cadre du ‘Festival Martinique Merveille du monde’ organisé par le Parc Naturel de Martinique. (PNM) « C’est pour ça que j’ai chanté ‘épi bon zépis’ et que je chante souvent la joie », poursuit l’artiste, « c’est dire à mon peuple ‘on est bons les gars, prenez confiance, allons nous mettre ensemble et faire des projets’. Donc on a fait 7 concerts et ça a marché, les gens étaient contents. » Notre interlocuteur a commencé joué de la musique à l’âge de 14 ans, dans le célèbre groupe Les Léopards. « Max Ransay a vu en moi quelque chose », raconte-t-il, « c’est à son contact et grâce à sa confiance et à celle d’autres artistes, que je suis arrivé à être le musicien que je suis. J’ai vu comment Max dirigeait Les Léopards, comment Daniel Marie-Alphonsine a dirigé La Perfecta ; tant de nos musiciens sont déjà partis – Max (Ransay), Paulo Rosine, Eugène Mona, etc. – donc je me suis dit ‘Jean-Michel fais ça, ce qu’on t’a transmis fais-le’. Donc j’ai appelé les musiciens pour ‘Son Péyi-a’. Depuis on a beaucoup de demandes de concerts : à Paris, en Guadeloupe, etc. » Et l’artiste d’évoquer un autre projet : ‘’Partez en musique dans les restaurants’’. « Quand les établissements rouvriront il y aura des concerts avec tous les musiciens de ‘Son Péyi-a’, plus ceux qu’on n’a pas pu appeler », annonce-t-il, « on a le projet de ‘tourner’ avec des formations de duos, trios, quartets et quintets ; ça a été validé par le Comité Martiniquais du Tourisme et la CTM. ‘Son Péyi-a’ a été un projet fondateur en quelque sorte. On l’a réussi, donc c’est plus facile maintenant. » Et des projets Jean-Michel Cabrimol n’en manque pas. Vraiment pas.

« Avec mon expérience mon rôle est de parler aux décideurs »

L’artiste porte notamment le désir d’émissions de télévision de ‘variétés péyi’, où des musicien.ne.s, chanteurs et chanteuses antillais.e.s s’exprimeraient en live. Outres les volontés des uns et des autres, Jean-Michel Cabrimol parie, avec l’enthousiasme qu’on lui connaît, sur nos compétences et talents péyi. « La ressource est là mais il faut créer le ‘pont’ », ajoute-t-il, « avec mon expérience mon rôle est donc de parler aux décideurs – économiques également, parce que le lobbying est important. Et il faut que les gens comprennent ton métier. Un jour j’ai demandé à l’un de mes partenaires de venir à un concert ; pas à l’Atrium ou dans une grande salle du pays mais dans un restaurant de Sainte-Anne. Il est venu, a vu 350 personnes, toutes les classes sociales, des enfants, des jeunes et moins jeunes en train de danser et s’amuser (sourire). J’ai apporté ce concept-là parce que la musique antillaise avait pris un ‘chemin’ événementiel. Alors l’événementiel a sa place, mais ne peut pas être l’élément ‘dominateur’. En tant que musicien je suis là pour défendre ce que Max Ransay, Les Léopards ou Eugène Mona défendaient. » Un artiste qui porte aussi le projet d’une ‘’école de la transmission’’, où des jeunes apprendraient notamment à jouer ensemble.

« Frédi-a té rèd mé nou té ka rézisté ; on est des musiciens donc on ne pleure pas »

A écouter Jean-Michel Cabrimol, cette période de confinement lui aura aussi permis de percer certains ‘’mystères’’ de notre modernité. « J’avais besoin de comprendre l’outil internet », indique-t-il en effet, précisant s’intéresser à la ‘transition digitale’ afin notamment « de ne pas dépendre » des célébrissimes plateformes et de séduire des millions de francophones et le ‘’reste du monde’’. « Cette période-là m’a permis de me structurer, de m’organiser », poursuit le musicien, « nous avons donc monté une pépinière composée d’infographistes, de réalisateurs, cadreurs, monteurs etc., des gens qui travaillent dur et qui ont chacun leur ‘boîte’. D’ailleurs quand on a fait ‘Son péyi-a’ il y avait certes la compétence des équipes et services du PNM, mais aussi nos compétences dans la communication sur les événements, la ‘gestion’ des artistes etc., pour que ce soit un projet fiable, rentable et pertinent. » Et de poursuivre : « J’aime beaucoup ce que les jeunes générations font dans plusieurs genres musicaux – biguine-jazz, reggae, dancehall -, c’est un vivier très intéressant par sa vision, son courage et son indépendance ; ils me rappellent moi quand j’avais 17 ans (sourire). Cette dynamique jeune est exceptionnelle ; d’ailleurs toutes mes équipes sont très jeunes. » Un artiste qui indique solliciter également l’expérience, les conseils et explications de « séniors ». Vous semblez avoir une véritable constellation de générations autour de vous, non ? « Oui car je suis curieux et qu’on est une île riche », lance spontanément notre interlocuteur, « je n’ai jamais vu autant de personnes douées dans tant de domaines différents ; je n’ai jamais vu une île avec autant de talents au m2. Et de talents courageux parce qu’il n’y a pas de modèle économique, pas de producteurs, pas de maisons de disques, pas de mécènes, etc. Vous savez, c’est Marius Cultier qui m’a donné ma première batterie (sourire). Et avec La Maafia on a mangé du pain et de la neige en France (sourire), on a mangé du pain et des épices : on n’avait pas d’argent mais on agrémentait nos boîtes de cassoulet avec nos épices péyi. Frédi-a té rèd, mé nou té ka rézisté ; on est des musiciens donc on ne pleure pas. Et La Maafia a été une ‘école’ où beaucoup de chanteurs, chanteuses et musiciens ont pu s’exprimer et se développer : Mario Canonge, Edith Lefel, etc. ». Un rappel opportun.

« En vendant mes disques comme ça j’ai trouvé un modèle économique qui m’a stabilisé… »

« On n’a rien à envier aux autres musiques », indique alors Jean-Michel Cabrimol, « quand je joue dans un festival en Allemagne, quand je ‘dépose’ la musique de mon pays je fais voyager tous les gens qui sont là : 250.000 allemands voyagent (sourire). Et nous avons des viviers dans plein de domaines, donc allons les rendre bankable. » Vous avez toujours été aussi débordant d’énergie et de détermination ? « Toujours ; c’est pour ça que j’ai pu exister », répond Jean-Michel Cabrimol immédiatement, « je ne suis pas un artiste du ‘Système’ ; je n’ai jamais eu de producteur et j’ai compris très tôt que les maisons de disque qui sont en France c’est du bidonnage ; 80% du vivier musical de la Martinique, les rentiers ce sont des ‘boites’ françaises, même pas les héritiers des artistes décédé.e.s. C’est un scandale. » Et le musicien d’indiquer : « Moi je vends encore des disques. J’ai trouvé une méthode, très simple, qui est d’aller à la rencontre des gens dans les hypermarchés. Et ça marche. » En effet nombreux sont ceux, dont moi-même, à vous avoir déjà vu à maintes reprises dans une enseigne bien connue de l’île, échanger avec la population, vos fans, et vendre vos CD : pourquoi avoir décidé de procéder de cette façon ? Et le musicien de décrire une décision prise suite à ses constats, répétés, de pratiques de ‘’verrouillage’’ de la distribution et diffusion de disques sous nos cieux. Il se dirige alors vers les directions de célèbres groupes économiques de nos pays. « Là je décide de retravailler ma communication », précise-t-il. Et les ventes de disques s’enchaînent. « Je fais ça vingt jours sur trente », explique Jean-Michel Cabrimol, « c’est rentable, je rencontre mon public, parfois des gens me proposent des contrats, et même des personnes qui ne sont pas spécialement fans se laissent tenter (sourire). Vous savez, notre public a une oreille musicale incroyable. Et en vendant mes disques comme ça j’ai trouvé un modèle économique qui m’a stabilisé artistiquement, et qui m’a redonné confiance. Parce que tu peux la perdre – être toujours endetté, etc. – mais tu sais que ce que tu fais a un sens. »

Et à votre avis qu’est-ce que votre public aime dans ce que vous lui proposez ? La réponse fuse. « C’est que je fais une ‘remontée sociale’ de tout ce que les gens ressentent dans la vie », glisse-t-il aussitôt, « j’ai une écoute et vous me verrez partout. Pour moi la musique c’est un ‘ciment social’, un baume d’apaisement, au quotidien, dans la vie des gens. Je joue une musique humaine, j’aime profondément mon île et j’ai toujours eu confiance dans ses gens. J’ai beaucoup voyagé, j’ai vécu à Paris et à Londres, mais notre île a quelque chose d’exceptionnellement riche humainement, intellectuellement, etc. Nous sommes une île fertile dans tous les sens du terme. Et j’aime aussi notre vitalité de résistance ; nos fondations sont fortes. » La sincérité de l’artiste est manifeste.

« Dans la conversation il y a l’échange, la possibilité de l’enrichissement et de l’apprentissage »

Depuis le début de notre échange avec Jean-Michel Cabrimol, les mots ‘’j’ai une conversation’’ reviennent dans son propos : pourquoi converser est-il manifestement aussi important pour vous ? « C’est la chose la plus importante dans la vie », assure-t-il, « avoir une conversation avec l’Autre permet de libérer les frustrations et d’apprendre mutuellement. Dans la conversation il y a l’échange, la possibilité de l’enrichissement et de l’apprentissage. » Et de préciser : « La conversation mais pas le monologue et les idées arrêtées ; ça c’est terrible. Souvent nous sommes aussi dans le réflexe de la réaction. Non, écoute ce qui t’a été dit, réfléchis, converse et agis. » Jean-Michel Cabrimol nous confie alors avoir eu un petit frère polyhandicapé (« ça a développé chez moi la capacité du regard », indique-t-il). « Dans ma famille des gens ont touché à la drogue et connu la précarité », poursuit l’artiste, « donc j’ai dû me battre pour eux : frapper à des portes, aller à des ‘missions locales’, rencontrer des médecins, des infirmiers, arriver à Colson, etc. Et j’ai trouvé des gens fantastiques. J’ai une grande famille, où il y a beaucoup d’amour. D’ailleurs l’amour fraternel, de la rencontre de l’Autre, c’est quelque chose que je pratique. »

« J’ai parlé de la jeunesse, mais on a aussi une ressource inestimable avec nos séniors, qui ont tant de savoirs », conclut Jean-Michel Cabrimol, « donc la Martinique est à reconnecter. Allons se redonner des challenges, se réinventer ; n’allons pas gaspiller d’énergie dans des combats inutiles entre nous. Moi c’est ça : je crée, je fais. Le meilleur combat c’est de montrer ce qu’on est capables de faire. Tout est à faire dans le meilleur ; et c’est un super challenge. Je suis fier de mon peuple. Notre île est très belle, mais attention à ne pas la gaspiller. » Puisse l’artiste être entendu.

Mike Irasque

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