FIGAROVOX/TRIBUNE – Dans la perspective de l’élection présidentielle et de propositions d’aides séduisantes faites aux jeunes, Adélaïde Motte, ancienne étudiante précaire, estime dans une lettre ouverte aux politiques que la précarité étudiante apprend la responsabilité et la liberté.

«Car la vraie vie n’est pas faite d’aides sociales mais de travail.» Jean-Christophe Marmara / Le 
Adélaïde Motte est diplômée de l’ISIT et journaliste à l’IREF – Institut de Recherches Économiques et Fiscales.

Mesdames et Messieurs les gouvernants,

Mesdames et Messieurs les membres de divers partis politiques,

Diverses échéances électorales, régionales ou nationales, vous portent à faire des promesses aux jeunes, dont je suis encore, et aux étudiants, dont j’étais il y a peu. Revenu universel, transports en commun gratuits, protections périodiques gratuites pour les jeunes femmes, les idées fusent et se ressemblent.

Peut-être n’avez-vous pas connu la précarité étudiante, et ne la voyez-vous que par le prisme de ceux, peu nombreux mais bruyants, qui demandent toujours plus à l’État. Peut-être n’avez-vous rencontré que peu d’étudiants décidés à se sortir par eux-mêmes de situations qui, c’est vrai, ne sont pas toujours simples.

Durant les quatre ans que j’ai passés à Paris pour mes études, j’ai été boursière pendant trois ans, à l’échelon 0bis, qui donne droit à 100€ par mois, en plus de diverses aides sur lesquelles je reviendrai en partie. Mes parents ne sont pas particulièrement à plaindre financièrement, mais, après moi, ils avaient quatre enfants, qui devaient eux aussi pouvoir faire des études. Lorsque j’ai été admise dans une école privée parisienne en 2016, mes parents m’ont prévenue que, s’ils prenaient à leur charge le prêt étudiant contracté pour payer l’école, je devrais me loger par mes propres moyens. Nous avons pourtant, tous les trois, décidé que j’irais dans cette école dont le diplôme me garantissait de trouver du travail facilement. Nous avons accepté les quelques années de précarité qui m’attendaient, parce qu’elles étaient un investissement sur l’avenir. J’ai choisi d’aller étudier à Paris, j’ai choisi de poursuivre mon cursus dans une école pour laquelle je me suis endettée, j’ai choisi des études longues. J’aurais pu faire des études plus courtes, plus proches de chez moi, moins chères, et travailler plus tôt. D’autres le font. Et j’estime que ceux-là n’ont pas à payer pour des études que j’ai faites sans leur demander leur avis. Ils n’ont pas à m’offrir un revenu universel et des protections périodiques parce que je n’ai pu, mais c’était délibéré, travailler à temps plein. Ils n’ont pas à assumer mes choix pour moi.

La précarité étudiante, vécue en un temps où vous n’avez aucune responsabilité si ce n’est celle de prendre soin de vous-même, permet de trouver des solutions adaptées à la situation.

Adélaïde Motte

J’ai pour ainsi dire vécu à Paris avec 100€ de bourse pendant trois ans. Ce budget ne permet pas, en effet, de sortir tous les soirs, même pas toutes les semaines, ni d’aller voir le dernier film en vogue au cinéma. La précarité étudiante force à faire un tri dans ses loisirs, non seulement en fonction de leur prix, mais aussi en fonction du temps dont on dispose. Si vous travaillez le soir pour payer votre loyer et pour vous nourrir, vous ne pouvez pas sortir avec vos amis.

La précarité étudiante, vécue en un temps où vous n’avez aucune responsabilité si ce n’est celle de prendre soin de vous-même, permet de trouver des solutions adaptées à la situation. C’est vrai, je n’avais pas les moyens d’utiliser les transports en commun, malgré un tarif jeune déjà préférentiel (38€ par mois pour toute l’Île-de-France). Mais à Paris, vous pouvez aller à peu près partout en 45 minutes de vélo, et les boursiers bénéficient de tarifs réduits pour les vélos partagés. C’est vrai, j’ai connu la précarité menstruelle. Mais j’ai tapé « coudre ses protections périodiques » sur Google, et j’en ai fabriqué. C’est vrai, la vie estudiantine ne se résume pas à des fêtes. Mais elle nous apprend à nous adapter, à ne pas tout attendre des autres, à compter avant tout sur nous-mêmes.

À l’exception de certaines filières particulièrement lourdes, il est rare qu’un étudiant doive travailler pour ses études de 7h à 20h week-end compris. Après être restée deux ans dans des familles contre services, j’ai pris un logement plus cher afin d’avoir plus de temps libre, et j’ai travaillé comme pigiste. La précarité étudiante apprend à connaître ses limites, ses forces, et à composer avec. C’est ainsi que j’ai décidé d’être en alternance pendant la dernière année de mes études. Peut-être en effet n’aurais-je pas fait ce choix, qui m’a donné plus de travail et des semaines parfois lourdes, si j’avais eu un revenu universel et des transports gratuits.

Nous connaissons, nous qui avons ramé, le prix d’un pain au chocolat et d’un ticket de métro, tout ministres que nous ne sommes pas…

Adélaïde Motte

Alors c’est vrai, ces années n’ont pas été les plus simples. C’est vrai, mes parents auraient aimé savoir ce que je vivais pour m’aider plus qu’ils ne l’avaient prévu. C’est vrai, je n’aurais pas refusé des aides supplémentaires dans ces moments-là. Mais ce n’est pas votre rôle, à vous élus potentiels ou actuels, d’accéder aux demandes parfois irrationnelles de quelques-uns. Nous sommes jeunes, nous sommes capables de travailler, de nous adapter, de surveiller notre budget, de faire les efforts nécessaires pour avoir un bon travail ensuite et gagner mieux notre vie. La précarité étudiante nous apprend… la vie, tout simplement. Nous connaissons, nous qui avons ramé, le prix d’un pain au chocolat et d’un ticket de métro, tout ministres que nous ne sommes pas… Nous avons appris à acheter des billets de train moins chers deux mois à l’avance, et nous savons aussi que si le moyen le plus rapide de traverser Paris, c’est le vélo, comme l’affirmait Anne Hidalgo, ça fait bien rire jaune les artisans, les personnes âgées, les banlieusards et bien d’autres, surtout les jours de pluie.

Vous n’avez pas, Messieurs et Mesdames les gouvernants, Messieurs et Mesdames les membres de différents partis, à attenter à notre indépendance, notre dynamisme, notre esprit critique et nos choix à coups de revenus universels et d’aides diverses. Elles sont déjà nombreuses, ces aides. Nous avons des mutuelles étudiantes, nos écoles nous proposent des bourses, les cinémas, piscines et autres lieux culturels ou sportifs nous accueillent avec des tarifs réduits, et certaines associations nous donnent même accès à des épiceries gratuites. Ne nous volez pas notre liberté et cette ouverture à la vraie vie que nous permettent nos études. Car la vraie vie n’est pas faite d’aides sociales mais de travail.

Notre jeunesse est notre plus bel apprentissage, laissez-la nous, même si nous faisons des erreurs et vivons des temps difficiles

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