Terra Nova
12 mai 2020 | Par Les Gracques
Le compte à rebours de la reprise a commencé…
Le confinement aura été du point de vue économique le plus grand choc connu par le pays en temps de paix. La perte d’activité instantanée s’élève à un tiers et atteint même 50 % sur le secteur marchand[1]. Sur l’ensemble de l’année, le FMI et le Gouvernement anticipent désormais un recul du PIB de près de 8 % en 2020, contre 2,9 % en 2009 pendant la crise financière.

Transférer durablement à l’État le financement d’une économie à l’arrêt n’est ni souhaitable, ni possible. Chaque jour de confinement coûte environ 2 milliards d’euros à l’économie française. Deux mois de confinement représentent déjà une perte de 6 points de PIB annuel, dont environ deux tiers à la charge des administrations publiques, du fait des « stabilisateurs automatiques » et des mesures de soutien mises en œuvre. La situation est d’autant plus critique que la France est entrée dans cette crise sans avoir reconstitué de marges de manœuvres au plan budgétaire : notre endettement excède de 40 points de PIB celui de l’Allemagne, alors qu’ils étaient encore comparables en 2010. Si nous disposons d’un « capital-confiance » précieux sur les marchés, il n’est pas illimité. En l’état, le déficit et la dette atteindraient respectivement 9 % et 115,2 % du PIB fin 2020, sans même que les prévisions gouvernementales n’incluent le coût du futur plan de relance.

Au moment où se profile la fin du confinement, la question clé est donc d’en réussir la sortie et de la réussir aussi vite que possible : d’abord sanitairementbien sûr, faute de quoi les sacrifices consentis auraient été inutiles et la protection de nos concitoyens resterait non assurée ; budgétairement ensuite, pour limiter le creusement des déficits, insupportable dans la durée, et retrouver la croissance indispensable à la production, l’investissement et l’emploi de la septième puissance mondiale ; économiquement enfin : faute d’un redémarrage rapide de la demande, de nombreuses entreprises risquent de ne pas passer l’été malgré les aides à la trésorerie et n’auront donc pas le temps de mettre en place les financements durables, en fonds propres, ainsi que nous l’avons recommandé dans notre note “Pour une stratégie de fonds propres”.
Il faudrait y ajouter une dimension politique, au sens le plus noble du terme. La crise appelle en effet à ouvrir des perspectives nouvelles, nationalement et internationalement – dont l’aggiornamento européen – qui auront toute leur place pour mobiliser le corps social.

Notre propos ici n’est pas de discuter les conditions sanitaires ou politiques de cette sortie mais de nous concentrer sur les conditions nécessaires à sa réussite au plan économique, une fois définies les règles du déconfinement. Notre analyse est qu’en dépit de toutes les incertitudes actuelles, plus tôt seront prises les mesures de soutien, plus tôt l’activité productive viendra supplanter l’indemnisation du chômage partiel, meilleures seront les anticipations des ménages comme celles des entreprises et mieux nous réussirons la reprise sur l’ensemble des territoires.
Même si le retour à une situation normale nécessitera un effort de long terme, dès le 11 mai, c’est bien un sprint économique qui est lancé pour rattraper le temps et la croissance perdus.

I. LE RISQUE D’UN REBOND EN TROMPE-L’ŒIL
Il a été beaucoup question au cours des semaines passées d’un alphabet de la
reprise économique.
La lettre V symbolise l’idée d’une reprise aussi rapide que l’a été la chute, avec un
retour à court terme à la situation antérieure.

La grève de mai 1968 en fournit un exemple notable : le PIB avait brutalement chuté de 5,3 % au deuxième trimestre – la plus forte baisse de l’après-guerre –, avant de rebondir de 8,3 % dès le trimestre suivant.
Cette fois, une reprise en V paraît excluedu seul fait que le shutdown a été brutal, alors que le déconfinement sera nécessairement progressif. Au plan international, tous les pays n’en sortiront pas au même rythme, perturbant les chaînes de production. Au plan interne, c’est près de 5 % de l’économie française qui restera à l’arrêt bien au-delà du 11 mai, de l’hôtellerie-restauration au transport aérien en passant par les arts du spectacle vivant et autres activités récréatives –
et même 10 % en ajoutant les consommations intermédiaires nationales de ces secteurs. Contrairement à la fin de la grève de 1968, la fin du confinement ne dissipera pas les peurs : le risque est grand que ménages et entreprises adoptent des comportements de précaution tant que le spectre d’un nouveau confinement ne sera pas écarté, ce qui n’arrivera que lorsque nous disposerons d’un vaccin.
Cela peut conduire à envisager des hypothèses bien moins favorables, symbolisées par une courbe en W : c’est celle du reconfinement, qui dépend avant tout de paramètres sanitaires, et non économiques.
Entre les deux, notre scénario de reprise est plutôt celui du célèbre logo de Nike : un rebond significatif puis progressif de l’activité vers son niveau d’avant-crise, après une baisse très brutale.
Un tel cadre est compatible avec des rythmes de reprise très différents : il y a rebond dans tous les cas, seule la pente change. Ainsi, même une banque pessimiste concernant la croissance française comme Unicredit, qui anticipe un recul du PIB de 14 % sur l’année 2020, table sur un rebond significatif au troisième trimestre (+ 11 %). Pourquoi ? Du fait de la reconstitution des stocks et du report des décisions de consommation. Rappelons que le restockage constitue toujours un puissant relais de croissance en phase de rebond : il a ainsi représenté la moitié de la croissance française en 2011 et près de 40 % en 1976 et 1994.
Le véritable risque, c’est celui d’une dynamique de sortie de confinement en trompe-l’œil,qui s’affaisserait rapidement sans permettre de rattraper le terrain perdu pendant la crise, au point de dessiner progressivement un « L » dont les conséquences économiques et sociales seraient néfastes. Après la crise financière de 2008, la France avait ainsi mis près de trois ans à retrouver son niveau initial.

Après un choc aussi brutal sur l’activité que celui que nous traversons, l’économie française ne peut tout simplement pas se permettre une reprise aussi lente.
Elle va devoir déjà affronter d’ici à la rentrée, en dépit des prêts garantis par l’État et des mesures de soutien sans précédent adoptées, les conséquences d’un long gel de l’activité. Faillites, pertes d’emplois, difficultés à reprendre les processus de fabrication, allongement des délais de paiement et épargne de précaution sont autant d’écueils à surmonter. La dimension psychologique jouera un rôle majeur, tant pour inciter à la reprise du travail que pour encourager l’investissement et la consommation, à un moment où le premier réflexe serait plutôt celui de l’attentisme.
La question stratégique qui se pose alors pour les décideurs publics est celle de la gestion du temps : en raison de toutes les contraintes et des incertitudes pesant sur le déconfinement, doit-on attendre la rentrée de septembre pour stimuler l’économie ? Ou bien faut-il pousser dès le 11 mai les feux de mesures favorables à la croissance ?
Pour nous, le choix d’une stimulation rapide s’impose, avec l’objectif clé de prolonger la dynamique initiale de sortie de confinement. Car le troisième trimestre sera décisif et sa préparation doit mobiliser toutes les énergies.
Attendre la rentrée reviendrait pour le Gouvernement à acter une récession à deux chiffres en 2020. En effet, l’hypothèse gouvernementale d’un recul du PIB de 8 % sur l’ensemble de l’année 2020 suppose un retour de la production à son niveau d’activité de fin 2019 dès septembre, ce qui paraît exclu en l’absence de mesures immédiates de soutien à la reprise. À cette fin, un nouveau projet de loi de finances rectificative devrait être déposé dès le mois de mai.
Pour les Français, la différence entre une reprise rapide (scénario du FMI) et une reprise lente (scénario de la banque Unicredit), c’est une perte supplémentaire de richesse de près de 180 milliards d’euros à la fin de l’exercice 2021.
(PIB, base 100)

Nombre d’activités ont leur pic au 3ème trimestre, telle la filière touristique, qui pèse à elle seule 7,4 % du PIB – 3 points de plus qu’en Allemagne – et voit arriver la saison estivale avec angoisse ; ou le bâtiment, dont le retard pris dans certains chantiers peut remettre en cause leur existence.
En outre, une production nationale ralentie risque d’augmenter les importations venant de pays mieux et plus vite déconfinés que nous, au sein même de l’Union Européenne ou ailleurs. Rappelons que le degré de paralysie de l’économie est beaucoup plus faible en Allemagne, en raison d’un confinement moins strict : cela se traduit par un niveau d’activité plus élevé dans de nombreux secteurs clés, du transport de fret (100 % d’activité, contre 60 % en France) à l’automobile (passée en quelques semaines de 20 % d’activité à 60% d’activité, contre 10 % à 30% en France) en passant par le textile (60 % d’activité, contre 30 % en France) ou encore la construction (70 % d’activité, contre 20 % en France). La spécialisation géographique de nos exportateurs est également un handicap : les entreprises françaises sont davantage exposées aux marchés du Sud de l’Europe, qui ont beaucoup plus chuté que ceux du Nord et mettront davantage de temps à redémarrer.
Sur le plan budgétaire, les finances publiques ne peuvent prendre en charge de manière prolongée plus de 10 millions de salaires du secteur privé tout en subissant en parallèle une chute brutale des recettes. Et ce d’autant moins que, inéluctablement, la vague des chômeurs va monter, par l’effet combiné de la fin des CDD et missions d’intérim ainsi que de l’arrivée d’une nouvelle classe d’âge sur le marché de l’emploi à l’automne. Sans omettre les risques de faillites d’entreprises et de déclenchement des plans sociaux au quatrième trimestre, lorsque les dispositifs du chômage partiel ne réduiront plus la facture pour les entreprises et que celles-ci chercheront des gains de productivité pour limiter les pertes de l’exercice.
Historiquement, les pics de défaillance sont toujours observés lors du redémarrage de l’activité, lorsque les entreprises font face à des besoins accrus de fonds de roulement difficilement finançables.
L’ensemble de ces arguments justifient une approche volontariste de la reprise, sans délai.
Certes, le volontarisme macroéconomique ne suffira pas. Le redémarrage après déconfinement s’appuie aussi sur une série de préalables opérationnels, voire physiques. Les salariés doivent être formés aux nouveaux protocoles sanitaires de sorte que les chaînes de production commencent progressivement à redémarrer au plus vite et en sécurité. La sécurité juridique des opérations doit être assurée, pour éviter la tendance très française à la judiciarisation de la vie des entreprises ce qui suppose de clarifier et stabiliser les règles de protection sanitaires, et vérifier leur application. Il faut aussi s’assurer de la disponibilité de l’ensemble des éléments des chaînes de valeur : elles ont la solidité de leur maillon le plus faible (on ne vend pas une voiture sans essuie-glaces…). Les services publics devront aussi se mobiliser, notamment dans les transports, et auront à apporter leur contribution à l’effort collectif, à l’image des personnels de santé. D’autres goulots d’étranglement devront être corrigés, y compris la main d’oeuvre dans certains secteurs.

Mais tous ces préalables opérationnels ne valent que si la confiance des agents économiques dans la reprise s’installe.
Pour ce faire, l’Allemagne a pu mobiliser son « bazooka » financier. La France doit concentrer son action sur la création des conditions psychologiques de la confiance, pour que le surplus d’épargne des ménages généré par le confinement s’oriente vers l’investissement et la consommation ; et soutenir les professionnels indépendants, commerçants et artisans, qui ont subi la crise le plus durement, tout en étant les moins bien protégés socialement, puisqu’ils ne bénéficient pas du chômage partiel.

II. TROIS LEVIERS POUR UNE REPRISE RÉUSSIE
Il y a donc urgence à accompagner la reprise. Les priorités sont claires :
une communication positive, rassurante et précise, de nature à susciter un choc de confiance, essentiel tant la psychologie des acteurs sera clé pour la reprise ;
un suivi des meilleures pratiques de déconfinement mises en œuvre en Europe pour s’en inspirer et en légitimer la pratique, en évitant les polémiques qui nous tirent vers le bas ;
enfin, un mix de mesures ciblées et innovantes, permettant à la fois de soutenir les secteurs prioritaires et les ménages les plus fragilisés, tout en mobilisant des ressources disponibles rapidement et à moindre coût pour les finances publiques.
C’est sur ce dernier aspect, plus strictement économique, que nous entendons apporter une contribution, en évitant deux écueils :
celui d’une relance générale et indifférenciée de la demande, qui serait coûteuse et peu efficace: inutile pour les plus hauts revenus, elle serait d’un faible effet de relance sur la consommation des classes moyennes, dont la propension marginale à consommer est limitée à court terme – rappelons qu’en juin 2019, près des deux tiers du supplément de pouvoir d’achat apporté par les mesures mises en œuvre pour répondre à la crise des « gilets jaunes » étaient encore placées sous la forme d’épargne[2] ;
celui de la poursuite indéfinie d’un soutien généralisé de l’offre (chômage partiel et prêts garantis), qui constitue une réponse pertinente pour « geler » temporairement l’économie mais ne peut être durablement prolongé en sortie de confinement, au risque de grever excessivement les finances publiques et de voir se multiplier les « entreprises zombies », telles celles qui ont durablement pesé sur la productivité japonaise après l’explosion de la bulle immobilière et boursière.

Bâtir une stratégie de reprise efficace suppose à l’inverse de mobiliser les atouts dont dispose l’économie française pour s’attaquer à ses fragilités de manière ciblée. Nous en identifions principalement deux.
Tout d’abord, l’épargne forcée accumulée par les ménages pendant le confinement.
D’après les analyses convergentes de l’Insee et de la Banque de France, la baisse de la consommation a été aussi forte que celle de la production[3], alors que les revenus des ménages ont été relativement préservés grâce au plan de soutien, qui a jusqu’à présent permis d’éviter les faillites et la flambée du chômage[4].
Il en résulte mécaniquement une hausse brutale du taux d’épargne, passé de 15 % à 25 %, conduisant à une thésaurisation de 55 milliards d’euros au cours des deux mois de confinement[5].
Ce réservoir de croissance très significatif (2,5 % du PIB) doit pouvoir en partie être mobilisé au cours des prochains mois. En effet, si la constitution d’une épargne de précaution paraît inévitable et même légitime pour les actifs exposés à un risque de chômage accru[6], elle ne l’est pas pour les 20 millions de retraités et fonctionnaires, qui représentent 40 % de la population adulte. En outre, lesménages français vont bénéficier progressivement de l’effet massif de la baisse du prix du pétrole : une stabilisation des prix autour de 20$ représenterait, au bout d’un an, un gain de pouvoir d’achat de l’ordre de 10 à 15 milliards d’euros, même s’il pourrait prendre plus de temps pour se matérialiser du fait des contraintes sur les déplacements.

À ce levier de l’épargne s’ajoute le levier budgétaire, qui constitue notre deuxième atout majeur pour la reprise, à condition d’être correctement utilisé. En effet, les taux sur les obligations souveraines françaises sont négatifs jusqu’à une maturité de huit ans et au voisinage de zéro à dix ans. Ils le resteront nécessairement au cours des prochains mois, compte tenu de l’engagement très ferme de la Banque centrale européenne (BCE) à éviter toute fragmentation financière au sein de la zone euro pendant la crise sanitaire. Seul un redressement brutal de l’inflation pourrait conduire la BCE à revoir sa politique mais celui-ci est très peu probable[7], compte tenu de la hausse à venir du chômage, des comportements de précaution des ménages et de la baisse du prix du pétrole. Les anticipations d’inflation à moyen terme (inflation à cinq ans dans cinq ans) se situent d’ailleurs autour de 1,1 % en zone euro.
Cela n’autorise pas à financer des dépenses pérennes de grande ampleur car les taux pourraient remonter à plus long terme. Il ne faut donc pas prendre le risque de financer à crédit des dépenses structurelles.
En revanche, cela offre une marge de manœuvre importante pour financer des dépenses ponctuelles et réversibles avec des effets d’entraînement importants sur l’activité à court terme.
Quelles dépenses est-il opportun de stimuler ?
Les dépenses d’investissement privées et publiques offrent un ciblage optimal,
dès lors qu’elles ont l’avantage d’avoir un effet multiplicateur élevé et de stimuler la croissance potentielle.

Un tel soutien apparaît d’autant plus opportun que l’investissement des entreprises (13 % du PIB) sera déprimé – du fait des comportements attentistes des dirigeants face à l’incertitude sanitaire, de la diminution de la capacité d’autofinancement des entreprises[8] et du resserrement de leurs conditions financières, déjà perceptible sur certains segments du marché de la dette –, tout comme l’investissement public (3 % du PIB, dont 2 % pour les territoires), en raison du prolongement du cycle électoral municipal et de la baisse des recettes des collectivités territoriales. L’incertitude conjoncturelle devrait également peser sur l’investissement immobilier des ménages (5 % du PIB), qui pourrait même s’effondrer en cas de baisse des prix, comme ce fut le cas en France après la crise financière de 2008.

Ce soutien à l’investissement devra être orienté vers les filières et objectifs prioritaires comme la santé, l’environnement, la relocalisation d’activités industrielles prioritaires et les secteurs abrités pour lesquels les fuites par les importations sont limitées.
Il devra surtout tenir compte de la réalité d’une économie française dont l’investissement repose à 70 % sur l’immobilier et les services marchands, contre 17 % pour l’industrie, loin de la France des Trente Glorieuses et du miroir déformant allemand.
En dehors des dépenses d’investissement, le levier budgétaire est également indispensable pour financer des dépenses ponctuelles ciblées sur les plus fragiles.

Au niveau des entreprises, cela passe par un soutien aux secteurs à forte composante d’emplois sur lesquels le confinement va continuer de peser, tels que l’hôtellerie-restauration et les industries du spectacle.
Au niveau des ménages, il s’agit d’abord d’apporter une aide ciblée aux plus modestes, souvent fragilisés indirectement par la crise (ex : fermeture des cantines, fin des « petits boulots », etc.)et qui bénéficient peu des mesures de soutien classiques (ex : chômage partiel). Pour ces publics, l’effet de déperdition par l’épargne est nul, tant ils sont contraints financièrement : après déduction des dépenses pré-engagées et incontournables, le reste à vivre des 10 % des ménages les plus pauvres s’élève ainsi à 80€ par mois[9].
Ce soutien aux plus fragiles doit également s’accompagner d’une action ciblée sur les « nouveaux précaires » de la crise, à savoir les indépendants, commerçants et artisans, les titulaires de contrats courts, les jeunes entrants sur le marché du travail et nombre de membres des professions libérales.

2.1. Flécher l’épargne vers la consommation dans les secteurs fragilisés
Pour être réussi, le second semestre doit être celui du rebond de la consommation, après une « pause » forcée de deux mois.
À cette fin, nous proposons trois mesures fortes pour créer un « choc de consommation ».
a) Six mois de soldes
Cette mesure de nature réglementaire ne coûte rien. Elle part du constat que le second semestre doit être fait de six mois de soldes, dans un contexte où le coût marginal du client supplémentaire n’a jamais été aussi bas, où de multiples secteurs ont des stocks à écouler et où les professionnels du commerce ont besoin d’une respiration après une succession de séquences qui ont précarisé pour beaucoup leur situation économique.
Puisque les entreprises sortiront de cette période de confinement dans des situations très contrastées, nous plaidons pour qu’elles disposent d’un maximum de flexibilité pour adapter leur politique tarifaire : l’interdiction de revente à perte serait ainsi levée pendant 6 mois.
Cela inciterait les Français à ne pas différer plus longtemps les achats non effectués depuis mars, de l’habillement aux biens d’équipement en passant par les services de confort.
b) Une prime à la reconversion automobile renforcée
S’agissant des biens d’équipement, l’automobile occupe une place singulière par son poids économique, son impact dans les territoires et l’enjeu qu’elle représente dans la transition énergétique. Cette triple dimension crée une forte opportunité dans la logique de rebond accompagné qui est la nôtre.
La mesure de soutien pourrait prendre la forme d’un renforcement temporaire de la prime àla conversion, dont les critères, durcis l’an dernier, devaient ramener de 400 000 à 200 000 le nombre de bénéficiaires
Rappelons que si la filière automobile ne représente qu’1 % du PIB en France, ses effets d’entraînement sur l’activité sont très importants : d’après l’Insee, 1€ de valeur ajoutée générée par le secteur automobile se traduit par 3,1€ de valeur ajoutée générée dans le reste de l’économie[10]. Elle emploie 990.000 salariés partagés entre l’amont et l’aval. Sa chaîne de valeur est très profonde puisqu’elle implique 149.000 entreprises, dans la production, la distribution et la réparation. Avec un puissant effet d’entraînement sur tous les territoires, le secteur automobile peut être un fort contributeur à la relance économique française post covid-19.
L’expérience chinoise montre que ce secteur est capable d’un redémarrage rapide, qui entraîne de façon synchronisée l’ensemble des fournisseurs, puis tout l’aval. Après deux mois de confinement, la voiture évoque ainsi liberté de déplacement et sécurité sanitaire pour 70% des chinois interrogés post- confinement.
Pour cette raison, l’Allemagne a rouvert ses concessions automobiles le 20 avril, et engagé des discussions visant à la mise en place d’une nouvelle prime à l’achat de véhicules pour accélérer le redémarrage de son industrie automobile.
En France, le marché automobile s’est effondré de 72% en mars et est à l’arrêt complet en avril. Sans mesure spécifique, il pourrait ne redémarrer que lentement à partir de septembre. Cette situation sans précédent fragilise l’ensemble des entreprises de la filière et provoquerait, en l’absence de contre-mesures, des défaillances d’entreprises en série, induisant des pertes définitives de savoir-faire et d’activité industrielle dans de nombreux territoires français.
Il est proposé en conséquence de mettre en place une mesure ciblée, forte et simple mais limitée dans le temps, permettant d’accélérer la reprise de la filière automobile, tout en remettant le secteur sur la trajectoire fixée en matière de baisse des émissions de CO2.
La prime à la conversion de 1.500€ pourrait être généralisée pendant quatre mois à compter du 1er juin, en levant les conditions de ressource du bénéficiaire d’une part, et en l’étendant d’autre part à l’achat de véhicules d’occasion récents, qui sont le plus souvent achetés par les ménages jeunes ou à revenus moyens, pour autant que ces véhicules d’occasion satisfassent les mêmes critères environnementaux que les véhicules neufs éligibles aujourd’hui à la prime.

S’agissant des véhicules apportés, on pourrait, en ciblant les véhicules essence immatriculés avant 2006, et diesel jusqu’en 2011, toucher plus de 50 % du parc actuel. Ceci devrait susciter un fort intérêt des propriétaires de véhicules diesel affectés par leur perte de valeur.
La suppression temporaire des conditions de revenu rendrait la mesure simple et lisible, permettant ainsi de maximiser son impact. Le supplément de 1.500€ serait ramené à 1.000€ après quatre mois et s’éteindrait au bout de sept mois ayant ainsi couvert les 3ème et 4ème trimestres.
Il est proposé en outre d’étendre le bonus écologique aux véhicules hybrides à hauteur de 2.000€, contre 6.000€ pour les véhicules électriques.
On pourrait ainsi viser un impact de l’ordre de 500.000 véhicules dont la vente serait anticipée sur le 2ème semestre 2020, ce qui permettrait à la fois de reconstituer la trésorerie de la chaine de distribution, de créer un appel d’air pour la production dès l’automne et d’accélérer le rajeunissement du parc, ce qui est positif en termes d’émissions.
La mesure pourrait en partie être financée par une augmentation de la taxe CO2 sur les véhicules les plus émissifs, qui sont aussi souvent les plus chers.
c) Le «chèque-déconfinement »
Pour inciter les ménages à «débloquer» l’épargne accumulée pendant le confinement, tout en orientant leurs dépenses vers les plus secteurs fragilisés, nous plaidons pour la généralisation rapide de « chèques- déconfinement» (vouchers) dématérialisés et bénéficiant d’un co-financement public.
Le Gouvernement a fait un premier pas dans cette direction en portant de 19 à 95 euros le plafond d’utilisation des « tickets restaurant ». Il faut changer d’échelle.
Sur le modèle des « chèques vacances », qui bénéficient déjà à près de 4,5 millions de Français, des « chèques-déconfinement » pourraient ainsi être proposés à près de 70 % des ménages[11], pour un montant maximum variant de 300 à 700 euros selon la composition du foyer, avec un co-financement public s’étalant de 10 à 100 % selon le niveau de revenu.

Par rapport à un soutien monétaire classique, le chèque-déconfinement présente l’avantage majeur de flécher la dépense ou l’épargne vers les secteurs les plus fragilisés par la crise – hébergement, restauration[13] et culture – sans risque de thésaurisation et en réduisant les effets d’aubaine. Les « chèques- déconfinement » auraient d’abord une vocation sociale pour les ménages les plus modestes, qui n’auraient rien à débourser ; mais aussi une vocation économique, en encourageant les « classes moyennes » à puiser dans leur épargne accumulée, pour bénéficier du co-financement public[12]. C’est l’effet multiplicateur et donc vertueux de cette forme d’incitation, qui permet en outre d’alléger les aides directes aux opérateurs des secteurs concernés d’une façon positive, c’est à dire par l’activité.
Leur durée de validité serait relativement courte (6 mois), afin de garantir un effet déclencheur maximal pendant la phase de rebond, qui est aussi la période d’activité la plus importante de l’année pour les secteurs concernés.
Leur déploiement s’appuierait sur les nouvelles technologies, pour permettre une montée en charge rapide. En effet, s’ils restent disponibles au format papier, les véhicules de dépenses fléchés sont désormais complètement dématérialisés et portés par des applications mobiles universelles. En la matière, la France a la chance de disposer d’opérateurs spécialisés capables de déployer rapidement des solutions opérationnelles. C’est une entreprise française qui a été chargée de mettre en place en quelques jours les titres alimentation à destination des enfants défavorisés au Royaume-Uni, sous forme de QR code utilisables dans un réseau défini de commerces alimentaires. Cette solution garantit à plus d’un million d’élèves britanniques l’accès à une allocation journalière de 15£ depuis le début du confinement, en remplacement de la cantine gratuite.
En France, unmilliard d’euros pourrait ainsi être mobilisé pour octroyer un chèque de 300€ à 700€ financé à 100 % aux 2,3 millions de foyers modestes bénéficiaires de minimas sociaux entrant dans le champ de la « prime de Noël », ainsi qu’aux 300 000 étudiants boursiers bénéficiant des aides au logement, qui demeurent à ce jour exclus de la prime exceptionnelle annoncée par le Gouvernement.
Grâce au fléchage, le chèque pourrait stimuler le secteur du tourisme en France cet été, en particulier le tourisme social où la France possède le plus grand parc de campings d’Europe, et par exemple permettre le départ en vacances de familles et d’enfants de milieux défavorisés, qui ont été soumis au confinement dans des espaces souvent réduits, alors que moins d’une famille sur deux part au moins une semaine en vacances l’été[14].

Le dispositif existe déjà (chèques VACAF de la CNAF), il faut en augmenter l’enveloppe, au demeurant fort modeste (90 millions d’euros) pour permettre à des centaines de milliers de Français de partir en vacances dès cet été. Ces colonies de vacances seraient un symbole fort d’un monde qui change.
Pour assurer le sauvetage de la saison d’été, un déploiement rapide serait nécessaire, s’appuyant à la fois sur le secteur public et le secteur privé, par exception au monopole de l’Agence Nationale du Chèque Vacances[15].
À l’orée d’une saison pauvre en touristes étrangers, cette incitation à consommer serait à la fois efficace et bienvenue. Elle permettrait également de soutenir les activités culturelles et sportives liées à la saison d’été qui seraient autorisées dans les contraintes de l’urgence sanitaire (entrées dans les musées, spectacles vivants, etc.).
Bénéficiant aussi aux « classes moyennes », sous conditions de revenus, le chèque-déconfinement aurait pour objectif d’atteindre 12 millions de ménages pour un budget total de l’ordre de 3 milliards d’euros, qui permettrait une dépense fléchée de 6 milliards d’euros, en faisant l’hypothèse d’un taux moyen de co-financement de 50 %.
Pour les principaux secteurs bénéficiaires (hôtellerie-restauration, arts et activités récréatives), cela représenterait un soutien direct équivalent à 7 % de leur valeur ajoutée, donc un effet significatif sur leur activité.
D’un point de vue budgétaire, ce type de soutien est de nature à alléger le besoin d’aides directes via le fonds de solidarité ou le chômage partiel. Les finances publiques bénéficieraient en outre du surcroît de recettes fiscales généré par cette reprise d’activité dans les différents secteurs concernés.
2.2. Soutenir les « nouveaux précaires » de la crise
Au-delà du soutien traditionnel aux plus fragiles, des actions ciblées sur les « nouveaux précaires » de la crise doivent être mises en œuvre.
Il s’agit d’abord des titulaires de contrats courts (intérim, CDD), qui représentent 17 % de l’emploi total, ainsi que des 700 000 jeunes terminant cette année leur formation initiale, qui vont se présenter sur un marché du travail en pleine contraction de celui-ci. Lors de la précédente crise, la « génération 2010 » avait ainsi vu son insertion sur le marché du travail fortement ralentie, en particulier pour les moins qualifiés[16].

Pour ces publics, la première priorité, c’est de limiter au maximum le basculement vers le chômage.
Pour cela, nous avons déjà recommandé[17], la mise en place d’une « prime à l’embauche », dont les économistes s’accordent sur l’efficacité en bas de cycle, pour faciliter le renouvellement des contrats courts et soutenir l’emploi [18]. Une telle prime pourrait être bonifiée pour les premières embauches de jeunes en sortie de formation initiale, afin de faciliter l’insertion sur le marché du travail de la « génération 2020 ».
En complément, un assouplissement temporaire des règles d’indemnisation du chômage pourrait être envisagé, en réduisant de six mois à trois mois la condition de durée d’affiliation minimale pour ouvrir droit à indemnisation, afin d’éviter au maximum le basculement brutal de l’emploi vers les minimas sociaux, qui entraîne une chute de revenu très significative.
En complément, une attention particulière doit être portée à la situation des indépendants, qui sont fortement présents dans les secteurs les plus touchés par le confinement. Ainsi, la moitié des 3 millions de non-salariés exercent dans le secteur des services marchands[19]. Parmi eux, 380 000 sont touchés par les fermetures obligatoires[20] et ont donc vu leur chiffre d’affaires réduit à zéro pendant deux mois, alors même qu’ils ne peuvent pas bénéficier du chômage partiel. La perte de revenus pour les indépendants liée au confinement est ainsi estimée à 7,2 milliards d’euros[21].
Pour ces derniers, le Gouvernement a mis en place un fonds de solidarité, qui permet de bénéficier d’une aide d’un montant égal à la perte déclarée de chiffre d’affaires en mars et avril, dans la limite de 1.500 euros par mois. Une aide complémentaire peut théoriquement être accordée par les régions mais elle est pour l’instant réservée aux entreprises ayant au moins un salarié et soumise à des conditions très restrictives (ex : refus d’un prêt de trésorerie par la banque).
En dépit des améliorations apportées, le fonds de solidarité français reste sous- calibré pour les non-salariés.
Par comparaison, les subventions des fonds de soutien du Royaume-Uni[22] et de l’Allemagne[23] sont plafonnées à 9 000 euros pour les indépendants afin de couvrir les pertes occasionnées sur une période de trois mois.
Dans ce contexte, il conviendrait donc de rehausser significativement le plafond français pour les non-salariés et de prendre en compte les pertes déclarées en mai 2020.

En contrepartie,les modalités de calcul du fonds de soutien allemand pourraient être transposées en France, afin d’éviter les effets d’aubaine. Pour rappel, le montant de la subvention n’est pas égal en Allemagne à la perte de chiffre d’affaires mais correspond à la « différence entre les dépenses matérielles et financières liées à l’entreprise (par exemple les loyers ainsi que les dépenses d’énergie ou de location de matériel) et le chiffre d’affaires prévisionnel»[24]. En d’autres termes, c’est une compensation des seuls frais fixes non couverts par l’activité, ce qui est moins arbitraire et apporte une réponse mieux calibrée à la question des loyers. C’est d’ailleurs l’approche désormais retenue par le Gouvernement pour les professionnels de santé libéraux.
En dépit de ces mesures de soutien, la crise entraînera inévitablement une cessation d’activité pour de nombreux indépendants. Rexecode anticipe ainsi un taux de faillite de 15 % dans les secteurs qui ne redémarreront pas le 11 mai (hébergement-restauration, arts et spectacles)[25].
Dans ce contexte, les conditions d’indemnisation des indépendants par l’assurance-chômage pourraient être améliorées. Un tel ajustement apparaît d’autant plus nécessaire que l’ouverture de l’assurance chômage aux indépendants, qui figurait parmi les principales promesses de campagne d’Emmanuel Macron, a été largement vidée de sa substance pour des motifs budgétaires. Ainsi, les travailleurs indépendants dont l’activité a cessé peuvent bénéficier depuis le 1ernovembre 2019 d’une allocation limitée à 800 euros pendant 6 mois.
Un signal fort doit être envoyé à ces publics pour lesquels un injuste manque de considération et le sentiment d’être les oubliés du modèle social français feraient le jeu des partis extrêmes.
2.3. Faire de la construction un moteur de la reprise de l’investissement durable
Avec la reprise de la consommation et l’aide aux « nouveaux précaires » de la crise, le soutien à l’investissement constitue le troisième levier de notre stratégie de reprise.
Dans le cadre de notre précédente note consacrée à la «Stratégie de fonds propres», nous avons proposé des mesures générales visant à relancer l’investissement privé (ex : dispositif d’amortissement exceptionnel) et public (ex : renforcement temporaire du fonds de compensation pour la TVA), qui conservent leur pertinence[26].

Au vu de la profondeur du recul d’activité, ces mesures générales doivent s’accompagner d’un soutien ciblé complémentaire aux secteurs très sensibles au cycle économique et dont le poids macroéconomique est significatif.
En la matière, il importerait de prévoir sans tarder des plans sectoriels, construits avec les entreprises et les syndicats au plus près des besoins, de façon à lever les freins à la reprise, en particulier sur le plan réglementaire et sanitaire.
De ce point de vue, la construction doit figurer en tête des priorités sectorielles.
Son impact macroéconomique est majeur, puisque ce secteur représente un tiers de l’investissement (construction et entretien-rénovation), porté par les bailleurs sociaux et les foncières, ainsi que 8 % de l’emploi.
Il est aujourd’hui pratiquement à l’arrêt, avec une perte d’activité estimée à 80 % pour la construction, selon le dernier point de conjoncture de l’Insee.
Or, il s’agit d’un secteur qui a toujours eu beaucoup de mal à redémarrer en France. Même dans le cadre de la reprise en « V » postérieure à mai 68, la construction était en retrait et n’avait retrouvé son niveau de production initial qu’au troisième trimestre 1969. Plus près de nous, le recul de l’investissement immobilier des ménages avait fortement freiné la reprise française après la crise financière, en pesant sur la croissance à hauteur de près de 0,2 point par an sur la période 2008-2015, ce qui explique les deux tiers de l’écart de croissance avec l’Allemagne[27].
En comparaison avec d’autres secteurs, on peut présumer que la demande de construction n’est pas perdue mais seulement reportée : c’est donc undomaine privilégié pour appliquer la logique du « rebond accompagné ».
Pour réussir la reprise dans ce secteur stratégique, le premier obstacle à surmonter est d’abord de nature réglementaire et concerne les permis de construire. Si le sujet des délais de recours est désormais derrière nous[28], des adaptations équivalentes doivent encore être prises s’agissant des délais de retrait des autorisations d’urbanisme et s’agissant des retraits et recours contre les autorisations environnementales qui sous-tendent les permis de construire[29]. Par ailleurs l’accélération de la délivrance des permis reste un enjeu majeur et une grande vigilance de l’État s’impose en la matière, notamment du fait du report des municipales.
En complément, dans un contexte où les anticipations de baisse des prix et les comportements de précaution risquent de nourrir l’attentisme des ménages, un soutien budgétaire paraît indispensable.
En premier lieu, dans le contexte de la transition énergétique, il y a une opportunité de conditionner ce soutien au « verdissement » des dépenses. Dans le cadre de la note déjà citée, nous avons déjà plaidé pour un renforcement significatif des aides de l’Anah en faveur de la rénovation énergétique de grande ampleur des logements des ménages modestes, ainsi que pour un soutien aux fonds propres des bailleurs sociaux conditionné à un surcroît d’investissement[30]. En outre, les travaux de rénovation thermique à domicile pourraient être l’une des utilisations possibles du chèque-déconfinement sur le modèle de l’éco-chèque belge.
Nous proposons aujourd’hui d’aller plus loin, en suggérant la mise en place d’un prêt à taux négatif pour les primo-accédants souhaitant acquérir un logement neuf ou un logement ancien avec travaux de rénovation, sous conditions de ressources.
En effet, la baisse des taux d’intérêta fortement érodé les niveaux d’aide sur le traditionnel « prêt à taux zéro » (PTZ)[31], alors même que les leviers classiques mobilisés pour contrebalancer cette évolution (maturité, quotité, différé) ont déjà été poussés au maximum de leur capacité.
Il s’agit d’un enjeu majeur pour le secteur, puisque les quelques 87.000 PTZ accordés en 2018 représentaient près du quart des permis délivrés pour des maisons individuelles, et 10 % pour les logements collectifs, pour un « équivalent- subvention» de l’ordre de 13.000 euros par ménage.
Hormis une modification de nature législative, aucun obstacle technique ou prudentiel ne s’opposerait à la mise en place d’un tel prêt à taux négatif, dès lors que la compensation pour les banques prendrait, comme aujourd’hui, la forme d’un crédit d’impôt étalé sur cinq ans, dont le niveau est calculé pour correspondre à la subvention implicite du prêt. La mesure permettrait de diminuer le taux d’effort des ménages par rapport au PTZ classique et ne s’accompagnerait d’aucune dérogation aux conditions d’octroi de crédit recommandées par le Haut Conseil de stabilité financière. Soulignons d’ailleurs que des prêts immobiliers à taux négatif ont déjà été proposés par le passé au Danemark, sans soutien public[32].
Sur un plan psychologique, l’impact auprès des ménages d’un prêt à taux négatif pourrait être très significatif, surtout si celui-ci était clairement annoncé comme temporaire et lié à la reprise de l’activité.
Il pourrait inciter les parents et les grands-parents à déboucler une partie de l’épargne accumulée pendant le confinement pour aider à la constitution de l’apport de leurs enfants et petits-enfants. Il pourrait aussi inciter des locataires à accéder à la propriété dans les classes d’âge plus élevées.
Sur le plan social, il contribuerait à contenir la très forte hausse des inégalités d’accès à la propriété entre jeunes ménages observée en France au cours des dernières décennies, avec une division par deux du taux de propriétaires chez les plus modestes[33]. Il serait un élément d’équité entre générations.
Enfin, en favorisant la rénovation du parc, il aurait un effet positif sur les émissions carbone.
Le dispositif pourrait être calibré pour retrouver un coût par cohorte proche des niveaux atteints lors de la précédente crise[34], soit autour de 2-2,5 milliards d’euros, contre 1,2 milliard d’euros en 2018, avec l’objectif de construire ou rénover 50 000 logements supplémentaires.

III. 1 POINT DE PIB POUR ACCOMPAGNER LE REBOND
Au total, le coût ex ante de l’ensemble des mesures proposées dans la présente note pour soutenir la reprise seraitde 0,8% point de PIB, dont une partie pourrait être étalée sur plusieurs exercices (amortissement exceptionnel, prêt à taux négatif…), et une autre serait compensée par des économies de dépenses et des recettes.

La situation structurelle des finances publiques ne serait pas affectée, compte tenu de la nature ponctuelle des dépenses.
S’y ajouterait une mesure de trésorerie sans coût budgétaire pérenne consistant à anticiper certains investissements publics prévus au niveau de l’État au cours des exercices suivants, pour un montant qui amènerait l’effort de soutien global en 2020 à un niveau proche de 1 % du PIB.
L’effort budgétaire supplémentaire permettrait de combler un tiers de l’écart avec le plan de soutien allemand, dont l’impact sur le déficit public s’élève d’après le FMI à 4,4 % du PIB, contre 1,9 % du PIB en France[35].
Son coût doit être mis en regard des recettes engendrées et des dépenses évitées, notamment les faillites et les dépenses sociales directes (chômage, activité partielle). S’il est difficile à chiffrer, cet effet d’entraînement sur l’activité serait vraisemblablement très significatif, compte tenu du niveau élevé des multiplicateurs budgétaires en bas de cycle et de l’effet de levier attendu sur les dépenses privées.
À titre d’illustration, à partir des épisodes de consolidation budgétaire observés dans l’Union européenne entre 2004 et 2013, les services de la Commission européenne ont estimé le multiplicateur des dépenses à 1,2 en bas de cycle [36]. Cela signifie concrètement que le plan de soutien de 0,8 point de PIB ici proposé aurait un effet positif sur le PIB de 1 point à court terme. Il s’agit vraisemblablement d’un minorant, l’ampleur du choc macroéconomique étant bien plus fort que lors de la précédente crise, ce qui devrait accroître le niveau des multiplicateurs budgétaires.
Compte tenu de la sensibilité du déficit public à la croissance observée historiquement en France [37], la hausse des recettes publiques et la baisse des dépenses sociales qui résulteraient de ce surcroît d’activité d’1 point de PIB réduirait le déficit public de 0,6 point de PIB environ. Ainsi, pour un coût budgétaire ex ante de 0,8 point de PIB, le déficit public ne se dégraderait en réalité qu’à hauteur de 0,2 point de PIB ex post, du fait de l’effet d’entraînement sur la croissance des mesures proposées.
Enfin, il est à souligner que les montants en cause restent budgétairement mesurés par rapport au risque lié à la relative indétermination de la doctrine d’emploi des PGE. Les PGE en eux-mêmes sont un bon instrument pour faire face aux urgences de liquidité à court terme.

Mais, replacés dans une perspective plus longue, ils peuvent devenir une véritable bombe à retardement budgétaire, en cas de non-remboursement. A cet égard, les propositions faites dans notre note « Pour une stratégie de fonds propres » avaient précisément pour objet de ne pas obérer les ressources budgétaires, et de les réserver pour des actions sélectives comme celles développées dans la présente note.
Pour un coût raisonnable, l’ensemble du plan de soutien ici présenté permettrait donc à la France de se donner une chance de rattraper à horizon 2022 le niveau de production qui était le sien avant la crise sanitaire et de limiter ainsi les écarts de performance économiques avec nos partenaires du Nord de l’Europe.
[1] En excluant les services publics non marchands et les loyers imputés des propriétaires occupants, structurellement peu sensibles aux fluctuations macroéconomiques.
[2] Banque de France, projections macroéconomiques de juin 2019.
[3] Dans la dernière note de conjoncture de l’Insee, la production apparaît en baisse de 35 %, tandis que la consommation des ménages serait quant à elle inférieure de 33 % à sa normale. Cf. Insee, point de conjoncture du 23 avril 2020.
[4] DARES, Situation sur le marché du travail durant la crise sanitaire au 14 avril 2020, 15 avril 2020. [5] OFCE, « Évaluation au 20 avril 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des
mesures de confinement en France », Policy brief, 20 avril 2020.
[6] Céline Antonin, « Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises », OFCE Working papers 19, 2018.
[7] Olivier Blanchard, « High inflation is unlikely but not impossible in advanced economies », PIIE, 24 avril 2020.
[8] L’OFCE évalue la diminution du taux de marge en sortie de confinement à 2,9 points pour le secteur marchand.
[9] Denis Colombi, Où va l’argent des pauvres, Éditions Payot, 15 janvier 2020.
[10] « Construction aéronautique et construction automobile, deux secteurs qui ont un effet
d’entraînement marqué sur le reste de l’économie », Note de conjoncture, Insee, mars 2012, p. 91-94.
[11] Pourraient être ciblés les foyers fiscaux dont le revenu imposable par part est inférieur à 30 000 euros, qui représentent un peu plus de 70 % des 38 millions de foyers fiscaux.
[12] Un co-financement public de 50 % signifie que le ménage doit débourser 50 euros pour obtenir un chèque d’une valeur de 100 euros.
[13] Le titre-restaurant représente en temps normal 15 % du volume d’affaires de la restauration commerciale.
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[14] « Moins d’un Français sur deux part au moins une semaine l’été », DGE, Études économiques, n° 65, 2016.

[15] Le volume d’émission de chèques vacances pourrait être doublé et ainsi porté à 3 milliards d’euros.
[16] « Des débuts de carrière plus chaotiques pour une génération plus diplômée – Génération 2010 », Céreq Bref, n° 382, Octobre 2019.
[17] Les Gracques, « Pour une stratégie de fonds propres », 8 avril 2020.
[18] Trésor-éco, « Les aides à l’embauche : un outil efficace de soutien à l’emploi ? », 22 août 2016. [19] Insee, « Emploi salarié et non-salarié par activité », Chiffres-clés, 14 avril 2020.
[20] OFCE, « Évaluation au 20 avril 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France », Policy brief, 20 avril 2020, p. 12.
[21] Ibid.
[22] « Claim a grant through the coronavirus (COVID-19) Self-employment Income Support Scheme »,
HM Revenue & Customs, 26 mars 2020.
[23] « German government announces €50 billion in emergency aid for small businesses», communiqué de presse du ministère des finances allemand, 23 mars 2020.
[24] Sénat, rapport n° 406 (2019-2020) fait au nom de la commission des finances.
[25] Rexecode, « Un essai de perspectives macroéconomiques pour la France à l’épreuve du
confinement », 27 avril 2020, p. 5.
[26] Les Gracques, « Pour une stratégie de fonds propres », 8 avril 2020, p. 16.
[27] Direction générale du Trésor,« Le redressement de l’investissement immobilier résidentiel est-il durable ? », Trésor-Éco n° 201, 11 juillet 2017.
[28] « Le Gouvernement corrige l’ordonnance sur les délais d’instruction des permis », Batiactu, 15 avril 2020.
[29] Sachant que, s’agissant d’autorisations déjà délivrée, la « suspension » plutôt que « l’interruption » des délais de recours ne saurait être regardée comme préjudiciable à l’environnement ou au droit des tiers.
[30] Les Gracques, « Pour une stratégie de fonds propres », 8 avril 2020, p. 18.
[31] Inspection générale des finances, rapport n° 2019-M-036-04 sur l’évaluation du prêt à taux zéro,
octobre 2019.
[32] Le Monde, « Au Danemark, des crédits immobiliers à taux négatif », 13 août 2019.
[33] Carole Bonnet, Bertrand Garbinti et Sébastien Grobon, « Inégalités d’accès à la propriété et de richesse immobilière au sein des jeunes en France, 1973-2013 », Documents de travail de l’Insee, n° 234, 2017.
[34] Dans le cadre du plan de relance de 2009, le montant du PTZ avait été doublé pour les prêts émis entre janvier 2009 et juin 2010, dans le neuf uniquement.
[35] FMI, Moniteur des finances publiques, avril 2020.
[36] Nicolas Carnot et Francisco de Castro, « The Discretionary Fiscal Effort : an Assessment of Fiscal
Policy and its Output Effect », Economic Papers 543, février 2015.
[37] « The Semi-Elasticities Underlying the Cyclically-Adjusted Budget Balance : An Update & FurtherAnalysis », Commission européenne, European Economy – Discussion Paper 098, 2019.
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