Destiné à l’étude de l’environnement dans l’océan Austral, le projet Polar Pod porté par Jean-Louis Étienne est officiellement lancé. Ce « navire vertical » devrait démarrer sa première expédition dès fin 2023. Sans coque et sans moteur, avec un lest de 150 tonnes et un tirant d’eau de 80 mètres, Polar Pop est un laboratoire révolutionnaire à bord duquel des opérateurs scientifiques et des marins se relaieront. Il dérivera dans les eaux du puissant courant circumpolaire antarctique.

Jean-Louis Étienne

Médecin Explorateur, Biographie- Docteur en médecine- Ancien Interne des Hôpitaux.

Ce projet peut sembler un peu fou ! Le projet Polar Pod prévoit la construction d’une sorte de navire vertical qui effectuera dès fin 2023 deux tours du monde dans les eaux du courant circumpolaire Antarctique, le courant le plus puissant de l’océan mondial. Portée par les courants, sans coque, mais plantée dans les masses d’eau profondes grâce à un lest, cette structure innovante est conçue pour être stable même par forte houle, sans moteur et peu perturbant pour le milieu. Parce qu’il permet de rester sur zone toute l’année, cet outil ouvre la voie à des recherches inédites !

Après des années de préparation, ce projet hors normes, qui a mobilisé des équipes scientifiques aux côtés d’architectes et d’ingénieurs navals, est entré dans une étape opérationnelle avec le lancement de l’appel d’offres pour la construction du navire. Une conférence de presse, organisée ce mardi 16 mars, a permis de rassembler les partenaires privés engagés sur le financement des années de dérive à venir et d’annoncer le calendrier. Cette étape clé lance le passage en phase opérationnelle du programme scientifique et de médiation associée. L’expédition est portée par le Dr. Jean-Louis Étienne ainsi qu’un groupe de scientifiques, sous la coordination d’un comité directeur associant le CNRS, le Cnes et l’Ifremer.

Le Polar Pod étudiera l’environnement dans l’océan Austral

L’océan Austral présente de nombreuses particularités qui en font un terrain d’étude et de recherche d’intérêt majeur. C’est en effet le seul océan dont les eaux effectuent le tour du globe sans rencontrer de masse continentale. Il est le siège d’intenses échanges avec l’atmosphère qui engendrent des phénomènes physiques, chimiques et biologiques spécifiques, à différentes échelles spatiales et temporelles.

L’océan Austral joue un rôle essentiel dans la régulation du climat

Région clé pour le stockage océanique de l’excédent de chaleur, à la fois puits et source de CO2, l’océan Austral joue un rôle essentiel dans la régulation du climat. Par sa capacité à exporter massivement des matières nutritives vers d’autres latitudes, il impacte les écosystèmes de l’océan mondial. Enfin, il représente un réservoir de biodiversité marine encore très largement méconnu. C’est pour cet ensemble de raisons que la perspective du projet Polar Pod mobilise fortement la communauté scientifique internationale.

Bien sûr, plusieurs outils sont déjà à la disposition des scientifiques pour mener à bien des recherches dans l’océan Austral. Flotteurs-profileurs dérivant librement et animaux marins équipés de capteursdélivrent des données qui ont déjà permis des découvertes essentielles. Des missions océanographiques pluridisciplinaires de grande ampleur y sont également menées régulièrement depuis de nombreuses années (telle la mission Swings qui vient de rentrer), mais elles se font sur des zones et lors de périodes ciblées pour leurs intérêts spécifiques (en particulier, lors de l’été austral). Enfin, des capteurs embarqués à bord de satellitespermettent le suivi de certaines caractéristiques de la surface de l’océan. Cependant, l’acquisition de données est limitée notamment en raison de l’importance de la couverture nuageuse qui engendre de nombreux biais et limite les mesures de calibration.

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Le Polar Pod, une sorte de navire vertical sans moteur, conçu pour résister à une forte houle. © Luxigon 

Un navire vertical sans coque

Dans ce contexte, la station à vocation océanographique Polar Pod constitue un outil exceptionnel au service de la recherche. L’outil a en effet été conçu pour répondre aux attentes des scientifiques de plusieurs disciplines. Porté par les courants, sans coque qui interagirait avec la surface (ce qui limite la précision de certaines mesures, surtout en conditions de mer fortes), il est conçu pour être stable par forte houle, sans moteur et peu perturbant pour le milieu.

Polar Pod est conçu pour être stable par forte houle, sans moteur et peu perturbant pour le milieu

Le concept se base sur l’expérience du FLIP, navire vertical de la SCRIPP (US), qui a montré le potentiel d’une telle structure. De plus, Polar Pod est proche du « zéro émission », ce qui en fait un prototype dont les enseignements seront utiles pour une adaptation des navires du futur aux contraintes environnementales. Enfin, son autonomie énergétique va faciliter la programmation de missions longues lors de périodes peu ou pas accessibles jusqu’ici comme l’hiveraustral.

Son dimensionnement (place, énergie…) a été pensé en fonction des besoins de l’équipe scientifique. L’outil dispose donc d’une grande capacité d’accueil de capteurs océanographiques et atmosphériques performants. Ces derniers (une quarantaine prévue à ce jour) ont été choisis pour fonctionner sur de longues périodes avec peu de personnels embarqués : sept personnes, trois marins et quatre opérateurs scientifiques qui pourront toutefois intervenir en temps réel. L’équipe à bord sera accompagnée à tout moment par une cellule à Terre, constituée de spécialistes des différents sujets, qui se relaieront. Alimentés par plusieurs éoliennes et batteries litium-ion, les instruments fourniront des observations qu’il sera possible de partager en temps quasi réel avec l’équipe à Terre. Les relèves d’équipage, opérées tous les deux mois environ, seront également l’occasion de rapporter sur les continents les échantillons qui seront prélevés.

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Un intérêt majeur d’envergure internationale

En raison des avantages offerts par le Polar Pod, la communauté scientifique internationale a manifesté un intérêt fort, ce qui a permis de proposer un programme scientifique organisé en cinq axes :

  • Échanges atmosphère-océan

L’océan Austral et un acteur essentiel du système climatique en raison de l’importance des échanges entre l’océan et l’atmosphère qui y ont lieu (énergie, flux de CO2…). Ces processus sont contrôlés par différents phénomènes comme les conditions météorologiques, la dynamique océanique à différentes échelles, les vagues, les bulles et les aérosols. Cependant, il existe encore de nombreux challenges à franchir pour être en mesure de simuler avec précision ces échanges entre l’océan et l’atmosphère. Ce sera l’objectif premier de cet axe : étudier l’amplitude et la variabilité spatiale et temporelle de ces échanges pour mieux comprendre les phénomènes et les représenter dans les modèles du futur.

  • Développement du potentiel des observations à distance (satellite, acoustique)

La diversité des observations viendra considérablement enrichir les bases de données utilisées dans le monde pour la calibration et la validation des observations spatiales dans cet océan (situations de vents et vagues fortes, qualité du phytoplancton, salinité…).

Par ailleurs, des hydrophones fonctionneront en continu, à plus de 75 mètres de profondeur, avec l’objectif de réaliser un inventaire sonore sous-marinet de développer des outils de détection des situations environnantes : impact sonore de la météo de surface, des tremblements de terre, craquements d’icebergs

  • Recensement de la biodiversité

Virus, bactéries, phyto et zooplancton jusqu’aux prédateurs supérieurs : la diversité des écosystèmes marins pourra être documentée pour la première fois à cette échelle et en toutes saisons. Siège d’adaptations spécifique à des conditions extrêmes, cette région représente une occasion inédite de mieux comprendre l’évolution de la diversité marine en fonction des conditions environnementales et donc en réponse aux changements climatiques. Le Polar Pod va permettre d’étendre considérablement les capacités d’échantillonnage en dérivant dans le courant qui circule autour de l’antarctique d’ouest en est sans rencontrer de continent, isolant ainsi les écosystèmes marins de l’océan subtropical.

À proximité des îles, il sera également possible d’étudier l’impact des nutriments arrachés à la terre, qui fertilisent l’océan. Le Polar POD dérivera avec le courant dans un mouvement quasi lagrangien et sera équipé des tout derniers équipements automatisés imageurs du plancton, ce qui permettra de suivre en temps réel les communautés observées. Les capteurs acoustiques, radars et caméras permettront d’étudier les prédateurs tels que les cétacés et les oiseaux marins. L’ensemble de ces données sera intégré dans un modèle reliant la structure des écosystèmes, les cycles biogéochimiques et les conditions environnementales afin de mieux comprendre le présent et l’avenir de l’océan Austral et de ses ressources marines.

  • Impacts anthropiques

Si loin de la civilisation, les eaux du grand Sud sont-elles contaminées par les activités humaines ? Quelle est l’ampleur de la pollution chimique, plastique ou encore sonore ?

Le Polar Pod devrait nous en dire plus sur ces différentes pollutions de l’eau et de l’air (chimique, plastiques, aérosols…) sur l’ensemble du courant circumpolaire antarctique et en toutes saisons. Cette base de données constituera une référence pour les études à venir.

Aventure humaine et scientifique, cette exploration constitue un formidable vecteur de partage des sciences. Un programme de médiation de grande ampleur et un programme pédagogique sont prévus pour aller à la rencontre du plus grand nombre. Des films et des expositions immersives, accompagnés dès 2022 d’évènements particuliers (minibus aménagés, concours de mini Polar Pod, Arts et Sciences…) permettront une diffusion large des enjeux de la recherche océanographique et environnementale dans leur ensemble.

Ainsi, cette aventure scientifique sera tout à la fois un bel exemple de coopération de la recherche internationale, et un vecteur de découvertes, d’innovation et de partage des sciences.

Jean-Louis Étienne prépare l’étonnant bateau vertical Polar Pod pour une odyssée antarctique

Planté dans l’eau, ce pylône flottant de cent mètres de hauteur abritera six personnes qui affronteront les pires mers du monde : les cinquantièmes hurlants, autour de l’Antarctique. Le Polar Pod, imaginé par Jean-Louis Étienne, explorateur et parrain de Futura, ne naviguera pas vraiment. Il se laissera dériver durant plus d’un an. Ce projet un peu fou est devenu une opération internationale à laquelle participent de grands instituts de recherche. Découvrez-le dans cet entretien exclusif.

Article publié le 14 octobre 2017, par Jean-Luc Goudet

Depuis plusieurs années, Jean-Louis Étienne prépare un voyage qui n’a encore jamais été fait : une dérive dans l’océan Austral autour du continent Antarctique. Son navire, baptisé Polar Pod, est des plus originaux : il est vertical, planté dans la mer comme une bouée flottante. Nous suivons ce projet depuis ses débuts et vous trouverez au bas de cet article les explications ainsi qu’une vidéo sur cet engin sans équivalent ; il restait alors à l’inventer et à le mettre au point. Ce qui a été fait.

En dérivant avec les masses d’eau durant plus d’un an, l’équipage à bord, de sept personnes, pourra effectuer de très nombreuses analyses afin de mieux comprendre les échanges océan-atmosphère. Ces mesures serviront notamment à valider les données obtenues par les satellites ; les opérateurs de ces derniers sont toujours friands de telles validations, d’où la présence du Cnes parmi les partenaires du projet. Les observations sous-marines permettront aussi des mesures, rares sur cette échelle d’espace et de temps, des courants, du plancton, des productions sonores des cétacés, etc. 

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Pour Jean-Louis Étienne, le gros chantier est la transition énergétiqueAujourd’hui, Jean-Louis Étienne nous parle de l’avancement du projet, qui se concrétise sérieusement.

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Le Polar Pod, debout dans les vagues. Mesurant 100 m et pesant 720 tonnes, il est conçu pour les vagues des « cinquantièmes hurlants », autour de 50° de latitude sud. © Jean-Louis Étienne 

Où en est votre mission Polar Pod ?

Jean-Louis Étienne : Elle est en bonne voie ! C’est devenu un grand projet international. Il regroupe aujourd’hui 52 institutions de 12 pays. C’est l’Ifremer [Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, NDLR] qui en est le maître d’œuvre. Après mon expédition, c’est lui qui l’exploitera, comme un autre navire océanographique. Je ne vais pas tous les citer mais il y a le CNRS, le Cnes, le MIT [Massachusetts Institute of Technology, NDLR], le Scripps [Scripps institution of oceanography, NDLR], d’autres encore et des contributeurs privés.

« Soyez grands ! »

Pourquoi ce vaisseau dérivant intéresse-t-il ces organismes de recherche ?

Jean-Louis Étienne : Il y a beaucoup d’attentes pour ce genre de mission. D’abord, pour la région. L’océan est très mal connu autour de l’Antarctique, encerclé par les « quarantièmes rugissants ». Au-delà, se jouent des échanges entre la mer et l’atmosphère qui sont des éléments clés pour la compréhension du climat. C’est le plus grand puits de CO2 de la planète. Ensuite, pour la durée de la mission. Les navires océanographiques ne réalisent pas ce genre d’étude. C’est un projet magnifique pour la France ; il est ambitieux techniquement et aussi scientifiquement.

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Dans leur Polar Pod, que l’on voit ici tracté à l’horizontale, Jean-Louis Étienne et son équipage réaliseront un tour complet de l’Antarctique, le long du courant circumpolaire austral, sur 24.000 km. Dans des creux de dix mètres, le déplacement horizontal au niveau de la passerelle supérieure sera de deux mètres. Le vaisseau restera habitable dans les plus grosses mers. L’énergie sera fournie par trois éoliennes et une hydrolienne. Des voiles permettront d’orienter le navire. © DR 

Un calendrier ?

Jean-Louis Étienne : Le navire sera prêt en 2018. L’expédition pourra se dérouler de 2020 à 2022. Nous en sommes actuellement aux essais en bassins, à Brest et à Nantes. Il s’agissait de voir si le Polar Podrésistera bien aux vagues les plus grosses. Ces études-là sont à peu près terminées. Donc cela avance bien.

Vous avez l’habitude de travailler avec des écoles. Leur parlez-vous de Polar Pod ?

Jean-Louis Étienne : Oui, je fais des conférences en milieu scolaire. Il y a parfois un certain manque d’intérêt ; leur formation est très orientée vers la culture générale. Et c’est vrai qu’on leur parle beaucoup de chômage. Je leur dis « soyez grands »« ne vous mettez pas de limites ! ».

Un mot sur les expéditions Tara Océans, qui sont réalisées sur votre bateau Antarctica, que vous aviez imaginé ?

Jean-Louis Étienne : Ce qu’ils font avec Tara est magnifique. Ils continuent à faire ce que j’avais entamé. C’est de la science utile, mais aussi de la vulgarisation. Ces aventures sont une passerelle attractive pour le public.

En vidéo : le Polar Pod, future station dérivante de Jean-Louis Étienne

Article de Jean-Luc Goudet publié le 29 mai 2013

Découvrez le Polar Pod, un vaisseau destiné à étudier l’océan Austral. Cet étonnant navire vertical dérivant, imaginé par Jean-Louis Étienne, est difficile à décrire, mais il se comprend très bien en images. Les voici…

Avec le Polar Pod, Jean-Louis Étienne propose aux océanographes un moyen d’étudier l’océan Austral comme on ne l’a jamais fait : en dérivant tout autour de l’Antarctique, au sein même du courant circumpolaire. Dans cet océan Austral, par 50° sud, les « cinquantièmes hurlants » des navigateurs, les conditions sont telles que peu de navires s’y aventurent à la mauvaise saison. La région est aujourd’hui l’une des moins connues du monde.

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Jean-Louis Étienne explique le Polar Pod, sa structure originale et ses missions futures autour de l’Antarctique. © Jean-Louis Étienne

Pourtant, l’importance de cette zone est grande à plus d’un titre. Les trois océans – Pacifique, Atlantique et Indien – s’y rejoignent et y reçoivent de l’eau froide profonde. En refroidissant l’air qui circule au-dessus de lui, l’océan Austral influe sur le climat de la planète. Sur le plan océanographique, il reste des études à mener et les biologistes ne savent pas tout des écosystèmes qu’il abrite.

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Une fois basculé, le Polar Pod est vertical. L’équipage de sept personnes (trois marins et quatre scientifiques) peut vivre en autarcie au milieu des éléments déchaînés, jusqu’à la relève, prévue tous les deux à trois mois. On distingue les trois éoliennes et les voiles rétractables, qui servent à orienter l’engin. © DR 

Une station dérivante pour les mers australes

Pour rester longuement – plus d’une année – dans cet environnement hostile, Jean-Louis Étienne a imaginé un vaisseau dérivant de 720 tonnes, le Polar Pod. Tracté à l’horizontal, l’engin de 125 m de long (hors-tout) emplit ses ballasts une fois parvenu à destination. Ces 150 tonnes supplémentaires font alors basculer le navire de 90°. Le voilà vertical, avec un tirant d’air de 50 m (hors-tout). Grâce à son lourd ballast, le Polar Pod ne devrait pas gîter de plus de 5°, même dans la mer redoutable de l’hiver austral. L’idée du basculement n’est pas nouvelle puisque le célèbre Flip (pour FLoating Instrument Platform, plateforme flottante instrumentée) l’a déjà concrétisée. Lancé en 1962 par le Scripps (un institut océanographique des États-Unis), ce bateau est toujours opérationnel.

Le vaisseau a été dessiné à Lorient, chez Ship Studio, et attend le bouclage du financement et des partenariats pour que commence la construction. L’expédition Polar Pod devrait prendre la mer en 2015.

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