Près des terres fertiles de Gonesse, les habitants n’approuvent pas le projet du gouvernement : une gare au milieu des champs et des constructions. « Le combat dépasse le local. Il appartient à tous ceux qui luttent contre le béton », assure une habitante investie dans la lutte.

Arnouville, Gonesse et Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), reportage de Reporterre

« Des agitateurs d’opinion qui ne connaissent pas le territoire et ses difficultés. » C’est ainsi que Jean-Pierre Blazy, le maire socialiste de Gonesse, considère les défenseurs des terres fertiles du triangle de Gonesse, au nord de Paris. L’édile l’a déclaré le 7 mai dernier, jour où le gouvernement a rendu son arbitrage sur l’avenir du Triangle.

Dix-huit mois après l’abandon du projet EuropaCity, le Premier ministre Jean Castex a annoncé le maintien de la ligne 17 du métro au milieu des champs et l’urbanisation de dizaines d’hectares de terres agricoles. Sur 110 hectares, appartenant à l’établissement public foncier d’Île-de-France, le gouvernement souhaite ériger une annexe du marché alimentaire de Rungis et une cité scolaire consacrée aux métiers de l’hôtellerie et de l’agriculture. [1]

Jean-Pierre Blazy s’est empressé d’applaudir cette « feuille de route claire » : « Ce projet est avant tout celui des habitants qui voient enfin l’État rattraper une partie du manque chronique d’investissements dans l’est du Val-d’Oise. »

Est-ce vraiment le projet des habitants ? « “Ce ne sont pas des gens d’ici”, “ils ne connaissent pas nos difficultés” : on entend en boucle depuis des années ces arguments, pour décrédibiliser notre lutte et laisser penser que nous agissons contre l’intérêt des habitants, déplore Bernard Loup, président du Comité pour le triangle de Gonesse (CPTG), fondé en 2011 pour protéger les terres agricoles de la plaine de France. Pourtant, les habitants sont nombreux à s’inquiéter du bétonnage de ces terres. »

« L’évidence, c’est que la gare Triangle de Gonesse ne résoudra pas nos difficultés. »

Ahmed Saïd El Bouchikhi, père de famille de 60 ans, rencontré à la terrasse d’un café près de la gare de Villiers-le-Bel-Gonesse-Arnouville, est l’un d’eux. « Nous sommes simplement des citoyens impliqués dans l’aménagement de nos villes, s’insurge-t-il. Dire que les personnes qui s’opposent à une gare inutile, au milieu des champs, sont des “agitateurs d’opinion”, c’est une vision étrange de la démocratie. »

La gare au milieu des champs, « le sésame pour urbaniser notre poumon vert qu’est le triangle de Gonesse »

Ce demandeur d’emploi, qui habite le quartier populaire Puits-la-Marlière à Villiers-le-Bel, explique que « la ville et ses difficultés, nous les vivons au quotidien. L’évidence, c’est que la gare Triangle de Gonesse ne les résoudra pas ». La station, dont les travaux ont débuté, sera implantée à 1,7 kilomètre des premières habitations. « C’est trop loin, et ça veut dire que la galère continuera pour nous, dit Ahmed Saïd. Je continuerai à aller chercher mes enfants en voiture à Paris parce que le RER D est en panne, comme ça m’arrive des dizaines de fois chaque année. »

En février et avril 2021, les habitants du Val d’Oise ont manifesté pour dénoncer la vétusté et le manque d’investissements dans les transports du quotidien — notamment les RER B et D qui connaissent sans cesse retards et incidents.

Christelle Laurendot, 42 ans, est médiatrice sociale dans un collège. Elle vit dans le quartier populaire de la Fauconnière, à Gonesse. Rencontrée dans le centre de Villiers-le-Bel, après le travail, elle affirme « ne plus compter »les soirées gâchées à rentrer « trop tard, exténuée de courir à droite, à gauche, à cause d’un bordel des transports qui se répète ».

« Renoncer à urbaniser le Triangle, ce n’est pas abandonner le territoire », juge Irène Godard, habitante de Gonesse.

« Plutôt que d’utiliser l’argent public pour une ligne inutile, loin de nos habitations, utilisons-le pour améliorer l’existant ! » dit Carlos Bilongo, professeur en économie et gestion dans un lycée parisien. Encarté à la France insoumise, ce Beauvillésois de 30 ans a conduit les journalistes de Reporterre le long de la ligne de tramway T5 Saint-Denis / Sarcelle. Il propose « de la prolonger, pour améliorer les liaisons entre les quartiers. Et s’ils tiennent au métro, qu’ils le fassent passer plus près de la population de Gonesse ! Là, nous serions désenclavés ».

Ahmed Saïd sent que la gare au milieu des champs, « c’est surtout le sésame pour urbaniser notre poumon vert qu’est le triangle de Gonesse ». Assis sur les bancs de la gare de Villiers-le-Bel, Michel Bastien, 73 ans, partage ce point de vue. Il habite à Gonesse depuis 1991 et ne comprend pas « l’acharnement des décideurs à vouloir massacrer ces terres ».

« Des projets, j’en ai vu défiler, tous plus aberrants les uns que les autres ! »

La délocalisation de Roland Garros, un circuit de Formule 1, le mastodonte EuropaCity« Des projets, j’en ai vu défiler, tous plus aberrants les uns que les autres !, dit le retraité, qui a travaillé quarante ans dans l’usine PSAAulnay. C’est une peine, quand on imagine que ces terres sont parmi les plus fertiles d’Europe. Ici, les agriculteurs n’ont pas besoin d’arroser les récoltes. »

Une des mesures du projet de loi Climat et résilience stipule qu’il faut « mettre la France sur la trajectoire du zéro artificialisation nette ». Pour Cécile Coquel, trésorière du Comité pour le triangle de Gonesse depuis 2014, les aménageurs « n’ont pas encore intégré cette nécessité » : « La COP21 s’est tenue en décembre 2015 au Bourget, à quelques centaines de mètres du Triangle, observe la Beauvillésoise, née à Villiers-le-Bel il y a 49 ans. Ce serait un comble de recouvrir des terres qui peuvent absorber les gaz à effet de serre. D’autant qu’on vit déjà dans un territoire ultra-urbanisé et sans ces terres, il n’y aura plus rien pour compenser l’élévation des températures ».

« Ce combat appartient à toutes celles et ceux qui luttent contre le béton et son monde », pense Cécile Coquel.

Les habitantes et habitants rencontrés par Reporterre soutiennent le projet Carma, qui veut transformer le triangle de Gonesse en un pôle de production et d’innovation agricole pour la population francilienne. Ce projet permettrait de créer des emplois dans l’agriculture péri-urbaine, la transformation des produits, la rénovation thermique des bâtiments ou encore l’écoconstruction. « C’est un autre horizon, plus désirable pour nos enfants. On en a marre d’être cantonnés à des boulots déprimants », tempête Ahmed Saïd.

Actuellement, l’Île-de-France importe plus de 80 % de son alimentation. « Avec la pandémie de Covid-19, on s’est rendus compte de la précarité alimentaire et des fragilités de nos chaînes d’approvisionnement, rappelle Carlos Bilongo. Le projet Carma est dans l’air du temps. 
 » « J’aimerais qu’à la cantine mes enfants puissent manger des produits frais, sains et de proximité », dit ainsi Christelle Laurendot.

« Renoncer à urbaniser le Triangle, ce n’est pas abandonner le territoire », juge Irène Godard, habitante de Gonesse et membre du CPTG. « Pour dynamiser un territoire, on peut construire un nouveau Disneyland, mais on peut aussi préserver une ceinture agricole, comme l’ont fait Milan [avec le Parc agricole sud] ou Barcelone [avec le Parc agricole de Baix Llobregat] ». « Entre les deux, mon choix est vite fait », tranche cette administratrice des douanes à l’aéroport de Roissy.

En dix ans de lutte, le triangle de Gonesse est devenu un emblème national de la lutte contre l’artificialisation des sols. « L’enjeu de ce combat dépasse largement le local. Il appartient à toutes celles et ceux qui luttent contre le béton », pense Cécile Coquel.

« Plutôt que d’utiliser l’argent public pour une ligne inutile, utilisons-le pour améliorer l’existant ! » dit Carlos Bilongo (à droite), professeur.

En février, une Zad a même éclos sur ces terres, pour protester contre le début des travaux de la gare. Bravant le froid, les occupants avaient tenu dix-sept jours, avant d’être expulsés par les forces de l’ordre. « Si on peut encore espérer préserver ces terres et qu’EuropaCity n’est pas en cours de construction, c’est grâce aux farouches opposants, et nous les remercions,dit Carlos Bilongo. Ici, une grande partie de la population vit dans la précarité, sans travail ou bien avec des emplois précaires. Et quand on est femme de ménage ou chauffeur Uber, il est compliqué de trouver du temps et de l’argent pour se mobiliser. On a besoin des gens qui ne sont pas d’ici, mais qui se sentent concernés par les problèmes écologiques posés par ce projet. N’en déplaise à M. Blazy. »

Contacté par Reporterre, le maire Jean-Pierre Blazy avait convenu, par l’intermédiaire de son cabinet, d’un entretien téléphonique. Il ne l’a pas honoré. Les défenseurs des terres fertiles du triangle de Gonesse se réuniront, ce samedi 22 mai, place de la République à Paris, pour un rassemblement intitulé « Colère des Terres – À Gonesse et ailleurs ».

 

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