Shanna Swan, spécialiste étasunienne de santé environnementale, s’attaque à un sujet « dont on ne veut pas parler » : les liens entre pollution chimique et problèmes de fertilité. Les perturbateurs endocriniens, issus notamment des plastiques, altèrent profondément la santé reproductive des femmes, des hommes et de bien d’autres espèces.

Shanna H. Swan est professeure de médecine environnementale et de santé publique à l’école de médecine Mount Sinai de New York (États-Unis).

Shanna H. Swan.

En 2017, une étude de l’équipe de Shanna H. Swan faisait le tour des médias : on y apprenait que le nombre moyen de spermatozoïdes chez les hommes occidentaux a diminué de plus de moitié au cours des quarante dernières années et que cette baisse était liée aux perturbateurs endocriniens.

La crise de la santé reproductive a de nombreuses causes environnementales, démontre, à nouveau, la scientifique dans son nouveau livre (non traduit) — Count Down (Scribner), (« Compte à rebours ») — paru en février 2021.


Reporterre — Comment votre recherche sur la fertilité a-t-elle débuté ?

Shanna Swan — Tout a commencé avec les phtalates. Des études montraient l’influence de ces perturbateurs endocriniens [1] extrêmement nocifs dérivés du pétrole sur le système reproductif des rats. En 2000, un collègue d’un Centre de contrôle et de prévention des maladies [2] m’a dit qu’on pouvait désormais mesurer, pour un coût minime, la présence de substances chimiques — dont les phtalates et autres perturbateurs endocriniens — à de faibles doses et chez un grand nombre de personnes. C’était une percée dans le domaine.

Or je venais de finir une étude sur les mères de jeunes bébés. J’avais encore l’urine des femmes enceintes, et les bébés étaient très jeunes. Je me suis dit : « Et si j’imitais l’étude sur les rats chez les humains ? »

En 2005, j’ai trouvé que les bébés garçons qui avaient été exposés dans l’utérus à quatre phtalates différents à la fin du premier trimestre avaient une distance anogénitale, ou AGD, plus courte. Cette distance entre l’anus et le début des organes génitaux est un indicateur de la quantité d’androgènes (les hormones sexuelles mâles, dont la testostérone) à laquelle un enfant a été exposé en début de grossesse. C’est un marqueur très important de la santé reproductive et des perturbations endocriniennes : des AGD plus courts chez les mâles et plus longs chez les femelles indiquent une probable moindre réussite reproductive.


Où trouve-t-on ces phtalates ?
Les phtalates ont deux usages principaux : ils assouplissent les plastiques et ils stabilisent les parfums. Or, à la maison, les objets en plastique et les produits parfumés sont nombreux. Ces substances peuvent interférer avec, ou imiter les hormones sexuelles de l’organisme, telles que la testostérone et les œstrogènes, qui permettent la reproduction. Ils peuvent faire croire à l’organisme qu’il a suffisamment d’une hormone particulière et qu’il n’a pas besoin d’en produire davantage, ce qui entraîne une baisse de sa production.

« Les phtalates ont deux usages principaux : ils assouplissent les plastiques et ils stabilisent les parfums. »


Les médias ont beaucoup parlé de votre étude sur la baisse de qualité du sperme. Cela a-t-il entraîné des actions pour réglementer l’exposition aux produits chimiques ?
Non, cela n’a rien donné. Parler dans des réunions scientifiques et écrire des articles scientifiques n’a rien donné non plus. Alors peut-être que le livre aidera.


Les perturbateurs endocriniens — dont font partie les phtalates — agissent à des doses extrêmement faibles et leurs effets diffèrent chez un embryon, un enfant, un homme ou une femme…
Nous sommes toutes et tous exposés aux phtalates, et on en trouve chez presque tout le monde. Ils sont partout. Ce type de perturbateurs endocriniens réduit le taux de testostérone, les phtalates ont donc une plus forte influence sur les hommes, en diminuant, par exemple, le nombre de spermatozoïdes et la taille du pénis. Ils sont également néfastes pour les femmes car ils diminuent la libido et augmentent le risque de puberté précoce, d’insuffisance ovarienne prématurée, de fausse couche et de naissance prématurée.

Le bisphénol A (BPA), un autre perturbateur endocrinien utilisé pour durcir le plastique et que l’on retrouve dans les tickets de caisse et le revêtement intérieur de certaines conserves imite, lui, les œstrogènes. Il est donc particulièrement mauvais pour les femmes — il augmente les risques d’infertilité — mais peut également affecter les hommes. Les hommes exposés professionnellement au BPA ont montré une diminution de la qualité de leur sperme, une baisse de la libido et des taux plus élevés de dysfonctionnement érectile.

Parmi les autres produits chimiques préoccupants figurent les retardateurs de flamme et certains pesticides. L’atrazine [un pesticide interdit mais très rémanent dans l’environnement] est ainsi associée elle aussi à une baisse de la qualité du sperme, tandis que le glyphosate diminue l’AGD chez les rats et peut-être aussi chez les humains.

« Les phtalates ont une plus forte influence sur les hommes : ils diminuent le nombre de spermatozoïdes et la taille du pénis. »


Dans le chapitre « La planète en danger », vous montrez que ces substances chimiques n’affectent pas que les humains ?
Oui. Il ne s’agit pas seulement de nous. La santé et le dynamisme des autres espèces sont importants, en tant que tels et pour la santé et l’intégrité de la planète en général. Les autres espèces n’ont pas choisi d’introduire ces produits chimiques dans leur vie et leur habitat, elles sont les victimes du comportement imprudent et inconsidéré des humains. Les perturbateurs endocriniens affectent le sexe biologique et les habitudes d’accouplement des animaux : des études montrent que des substances chimiques peuvent transformer les grenouilles mâles en femelles, féminiser les crapauds et les alligators, et modifier le comportement sexuel des oiseaux et des poissons. Et ceci pour des générations.

Comment les perturbateurs endocriniens pénètrent-ils dans nos corps ?
Les dangers liés au tabac, par exemple, peuvent être contrôlés en modifiant les comportements. Pour ce qui est des perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement et qui sont les plus susceptibles d’affecter notre santé reproductive et notre fertilité, ils sont presque impossibles à contrôler car nous ne sommes généralement pas conscients d’y être exposés.

Ils peuvent pénétrer nos corps par ingestion (aliments et eau), par absorption cutanée (cosmétiques, parfums, produits de nettoyage ou antifeu), par inhalation (vernis à ongle, laque à cheveux, produits chimiques dans la poussière, etc.) ou par contact (sextoys).

Les « non persistants », comme les phtalates et les bisphénols qui ont une demi-vie de seulement quatre à six heures, disparaissent rapidement, mais les persistants, PCB (polychlorobiphényles), dioxines, etc., peuvent être stockés dans nos graisses et ont une demi-vie très longue. La phase fœtale est la période la plus sensible aux substances chimiques qui affectent le développement. D’autres périodes peuvent être plus importantes pour d’autres paramètres, comme le cancer à l’âge adulte.

Si la personne exposée est une femme enceinte, ou un homme dans les mois précédant la conception, les produits chimiques peuvent être transmis au fœtus à naître, puis aux enfants de ce fœtus.

Évolution de la concentration spermatique, selon Santé publique France.


Est-ce que vous sonnez l’alarme ?
Je m’attaque directement à un problème caché dont les gens n’aiment pas parler : leurs difficultés à procréer, et le facteur environnemental impliqué dans ce problème. Les gens reconnaissent qu’il y a une diminution de la procréation mais refusent que cela puisse venir d’une cause chimique extérieure. Je veux leur faire admettre que c’est possible. Je ne dis pas que d’autres facteurs ne sont pas impliqués, mais je dis que les produits chimiques jouent un rôle causal majeur. Il est difficile d’utiliser ce mot, « cause », pourtant il y a un ensemble de preuves. Nous avons des modèles, des études animales et de multiples études humaines.


Le danger est-il limité à la santé et à la fertilité ?
Non. Pour aggraver les choses, les produits chimiques qui altèrent notre développement et notre reproduction, ainsi que ceux des crocodiles, des grenouilles et d’autres espèces, proviennent en grande partie d’industries qui nuisent également au climat. La plupart des substances chimiques fabriquées par les humains sont dérivées de sous-produits de combustibles fossiles fabriqués par l’industrie pétrochimique. Ces produits chimiques compromettent la santé reproductive des humains et contribuent aux risques de cancer. Nous devons sensibiliser le grand public à ces problèmes car les fabricants ne changeront pas leurs produits sans fortes pressions.

Légiférer est urgent car, comme l’a écrit un panel de cent scientifiques spécialisés dans la perturbation endocrinienne et le changement climatique dans un commentaire publié en 2016 dans Le Monde : « Les nombreuses actions nécessaires pour diminuer l’effet des perturbateurs endocriniens contribueront également à la lutte contre le changement climatique. »


Count Down : How Our Modern World Is Threatening Sperm Counts, Altering Male and Female Reproductive Development, and Imperiling the Future of the Human Race, de Shanna Swan et Stacey Colino, aux éditions Simon & Schuster, février 2021.

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