Romain Delisle pour  IREF

Le remplacement de l’IFI par l’ISF n’a pas permis de créer un choc fiscal, en grande partie psychologique, apte à engendrer le retour des hauts patrimoines dans notre pays.

« Pauvres paysans, pauvre royaume, pauvre royaume, pauvre roi ». Dès le 18e siècle, les économistes, François Quesnay [1] en tête, avaient compris que dans une nation, l’argent circule comme le sang dans le corps humain, que cette circulation doit être fluide, et que toute perte s’avère dommageable pour la santé économique d’un pays.

C’est bien là le débat qui a occupé la société française depuis la création de l’impôt sur les grandes fortunes en 1982 par François Mitterrand, sa suppression en 1987 par Jacques Chirac alors Premier ministre et sa réintroduction par la gauche sous le titre d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 1989.

Son remplacement par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) en 2017, promesse de campagne d’Emmanuel Macron, s’insère dans cette continuité en se basant sur le postulat suivant : l’argent investi dans l’immobilier n’est pas le plus efficient économiquement parlant, limiter l’assiette de l’impôt sur la fortune à ce seul domaine est donc moins cher, aussi efficace et moins risqué politiquement qu’une suppression pure et simple.

Trois ans plus tard, il est temps de se demander si ce « en même temps » fiscal a été une vraie ou une fausse bonne idée.

L’ISF avant la réforme : un impôt à la pertinence discutable

Le premier et fréquent grief contre l’ISF était son iniquité. Comme nous l’avions évoqué en 2014, l’ISF, taxant le stock et non le flux de capital jusqu’à 1,5%, un taux en deçà d’un rendement sécurisé de l’argent, prenait de fait un caractère confiscatoire.

Même en passant sur cet argument d’ordre moral, l’ISF incitait bel et bien à la fraude, à l’expatriation et à l’optimisation fiscale. Il drainait l’épargne des plus aisés vers des secteurs de niches peu productifs, comme les œuvres d’art [2] ou la forêt. Selon une étude de l’OCDE publiée en 2017 [3], un allègement de 0,1 point d’ISF fiscalement compensé à due concurrence aurait entraîné 0,07 point de croissance supplémentaire par an, soit 1,5 point en 20 ans. Sur un plan théorique, les effets des variations de l’impôt sur la fortune étaient difficiles à mesurer ; toutefois, au vu de la complexité du recouvrement de cet impôt et de la fuite des capitaux induite, il a peu à peu été supprimé depuis les années 90 dans les pays de l’OCDE : seules la Norvège, l’Espagne et la Suisse l’ont conservé. Encore l’Espagne a-t-elle introduit une exonération de 15 à 77% au titre de l’outil de travail, portant sur la part exonérée de titres d’entreprises non-cotées, possédés par les plus hauts-revenus.

La création de l’IFI a produit des résultats en demi-teinte

À l’issue de l’exercice budgétaire 2018, le coût du remplacement de l’ISF par l’IFI s’élève à 2,9 milliards d’euros, soit le différentiel entre les recettes tirées de l’ISF, 4,2 milliards d’euros, et le rendement effectif de l’IFI en 2018, 1,3 milliards d’euros.

Le bilan de la réforme, trois après, est plutôt mitigé. D’abord, le nombre de départs des contribuables disposant d’un patrimoine supérieur à 1,3 millions d’euros a clairement été freiné et baisse de 41%, de 632 en 2016 à 376 en 2017. En revanche, le nombre de retours, de 107 en 2016 à 113 en 2017, n’a pas substantiellement augmenté.

Ensuite, l’investissement dans le secteur productif ne semble pas l’option privilégiée par les anciens redevables, comme nous le pressentions l’année dernière : selon un sondage Ipsos [4], seuls 29% de ceux-ci auraient choisi cette voie contre 42% des dépenses de consommation et 41% de l’épargne classique. L’assiette de l’IFI n’étant pas fondée sur une distinction entre actifs productifs et actifs improductifs, ceux-là ne sont pas favorisé par rapport à ceux-ci. La suppression de l’ISF-PME, en outre, si elle a été compensée à 85% par les sommes investies en provenance des anciens redevables de l’ISF [5], n’a pas été mécaniquement reportée sur l’IFI. C’eût pourtant été une belle occasion de dynamiser ce type d’investissement, comme notamment la levée de fonds par capital-risque pour les startups.

Enfin, échec patent de la réforme, du point de vue des redevables, l’IFI constitue une forme plus complexe d’imposition que l’ISF. Aux dires des professionnels du secteur auditionnés par le Sénat, « l’IFI est en réalité assorti de dispositifs souvent complexes, obéissant à des logiques parfois sensiblement éloignées de celles qui régissaient l’ISF » [6].

En somme, le « en même temps fiscal » n’a pas produit les effets escomptés. Quand bien même plus des deux tiers de l’effort fiscal ont été accomplis, c’est bien le risque politique qui semble effrayer nos gouvernants, le contexte sanitaire ne les y aidant pas beaucoup, il est vrai. En s’arrêtant au milieu du gué, le remplacement de l’ISF par l’IFI n’a pas permis de créer un choc fiscal, en grande partie psychologique, apte à engendrer le retour des hauts patrimoines dans notre pays. La France, comme le dormeur du val, a toujours deux trous rouges au côté droit, de là s’échappent ses forces vives.

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