«Au commencement était le mot… Et dès que je le vis sur papier, je me surpris à le lire ; plus exactement, à le dévorer comme une soupe chaude les soirs d’hivernage. Le mot entrait en moi sans frapper, sans crier gare, avec une volupté gourmande. Et mes yeux se noyaient dans leur suc, leur sucre, leurs ballets de résonnance »…
Ainsi débute ce voyage à travers le mot comme un hommage ou un merci
Avec son titre d’évocation biblique, le dernier recueil de nouvelles de notre consœur, annonce ses intentions de toucher en plein cœur le lecteur. Journaliste, femme de lettres et de culture martiniquaise charismatique, Marie-Line Ampigny parle vrai dans cet hommage qu’elle rend aux mots et aux personnages réels ou imaginés de sa terre natale. La plume passionnée de l’auteure manie les mots qu’elle chérie tant avec la force d’une éveilleuse. Son éditeur, Jets d’encre, le décrit ainsi, « Entre terre et mer, souvenirs et légendes, se dessine un portrait vibrant de la Martinique et des âmes qui la façonnent. » Un ouvrage à découvrir avec plaisir et émotion pour les amoureux de la culture martiniquaise et pour les passionnés de beau verbe !
Eloge, « Man pa an pié bwa…Mé man ni fey…Fey ka palé palé palé…Man sé ki moun ? An Liv ! »
Marie-Line Ampigny dans la première nouvelle de ce recueil, «Au commencement était le mot… », remet le livre, la lecture et l’écriture, au cœur de notre humanité, comme la genèse de toute forme de création. Elle témoigne de sa passion des mots, en tant qu’auteur et en tant que lectrice, « C’est mon quatrième recueil de nouvelles. J’ai écrit des romans et un conte pour enfant mais la nouvelle est le style d’écriture que j’aime le plus. Parce que je suis à l’aise dans le court, l’intense et des sujets différents. La nouvelle me sied le mieux dans ma manière d’écrire. Ce recueil témoigne de mon regard sur le livre, le mot, il dit comment chaque livre a développé mon imaginaire, ma créativité, ma sensibilité, ma curiosité, m’a fait aller à la rencontre des autres, du monde, m’a enrichit et a développé des émotions que je ne pouvais pas soupçonner. Le livre est le seul à donner autant de richesse aux gens et à chacun d’entres nous en particulier. Par exemple, il y a de très beaux films, mais le film est l’œuvre d’un réalisateur alors qu’avec le livre le réalisateur c’est nous. Au-delà des connaissances qu’il nous apporte, il développe en nous des tas de facultés. Alors dans ces nouvelles, je veux dire aux gens et aux jeunes surtout, tout ce que le livre m’a apporté ; C’est ma manière de dire merci. Car au crépuscule de ma vie je m’aperçois que tout mon parcours professionnel et personnel, s’est bâti autour du mot. Il y a le mot lu dans le silence et la solitude. Il y a le mot dit avec lequel je suis devenu comédienne, le mot partagé à haute voix. Il y a le mot informatif qui est plus rigoureux, avec lequel je suis devenu journaliste. Et enfin, le mot plaisir, celui d’avoir écrit ces recueils, ces romans, c’est du plaisir, ma façon de voir la vie ; je laisse libre court à mon imaginaire. C’est moi ! »Une gourmandise affûtée par toutes sortes de genre littéraires et de plumes des quatre coins du monde, mais sublimée par la lecture des auteurs antillais, elle écrit, « Lire ces auteurs, c’est abreuver son âme de soifs folles, frivoles ! C’est s’attrister et s’encanailler ! C’est à la fois se dépayser et chérir son pays ! »
De l’amour des mots à la responsabilité journalistique, « …Au milieu de la litanie de la pensée unique, unicolore et uniforme, contre les diktats et les guerres d’opinion, le livre- l’art en général- me paraît être le seul rempart contre les néants qui se dessinent sous nos pieds »
Dans ces pages, elle évoque sa passion de journaliste à raconter fidèlement les auteurs et demande à la relève journalistique de « lire avant d’écrire, pour que les médias ne se changent pas, un jour, en ce que quelques-uns appellent « merdias » »… Comme une alerte aux générations qui viennent, si tentées de passer l’écriture à des plumes numériques ou à l’approbation des annonceurs, et en consœur avisée, elle prévient « Nous étions, il y a peu, avec les mots écrits et lus, au sommet du sens et du style. De nos jours, nous sommes souvent au cœur du vide et du creux, au bord de l’insipide et de l’insupportable. Lire, c’est accepter volontiers de s’asseoir sur son moi pour partir sans peur vers autrui. Ecrire, c’est aussi obligatoirement faire taire son égo pour mettre en ombre et en lumière l’autre. Lire et écrire ont en commun d’être des routes aventureuses…Aujourd’hui, le terreau des fatuités semble l’encre majeure de maints journaleux heureux de figurer dans le cercle de ce qu’on appelle le « cinquième pouvoir ». Marie-Line Ampigny reste sincère et loyale à la femme d’engagement que l’on connaît par ses écrits et ses prises de position, en tant qu’auteure et journaliste. Ainsi, si elle rend hommage à la créativité et aux initiatives martiniquaises dans les domaines artistiques touchant au mot : le livre, le spectacle vivant, elle met en garde contre l’uniformisation du monde et l’appauvrissement intellectuel, « Dans les librairies-mamouths, un peu de chaleur, plus d’animations et moins d’indigence littéraire seraient bienvenus ». Elle fait aussi le lien entre sa longue carrière dramatique et le monde littéraire. On a plaisir à se souvenir entre ces lignes des grands noms, des alliances et connivences nées sur les scènes martiniquaises, qui sont parfois partis faire voyager le monde…
Des mots pour abreuver les artistes, des artistes pour ouvrir les têtes et les horizons, de l’amour pour nourrir l’humanité
Tout dans ce recueil se rapporte au mot et à l’acte de création sous toutes ses formes. Ils sont, avec la martinicanité de Marie-Line, comme le dirait Habdaphaï, le fil conducteur de ses histoires. Elle y rend, par exemple, un hommage admiratif et sensible, à la femme et à l’artiste que fût Léona Gabriel. « Il y a dans ce recueil une nouvelle dédiée à Léona Gabriel, la chanteuse populaire qui jusqu’à maintenant (née en 1891, disparue en 1971), nous laisse des titres qui sont passés par les générations suivantes, à la postérité. Cela veut dire qu’elle est restée fertile. J’ai voulu révéler à travers son histoire, que cette femme est comme ses chansons. C’est-à-dire qu’elle a cassé tous les codes. Il faut se remettre dans le contexte de son époque. Issue d’une classe bourgeoise et mulâtresse, elle avait tout pour être une femme d’intérieur. Mais, elle, décide de gagner sa vie très tôt, ce qui va lui donner une grande indépendance. Elle ne dépend pas des hommes. Elle va revenir aux musiques qu’elle a connues au sein de la plantation de son père, c’était très risqué d’être à son époque, une femme seule au milieu de musiciens. Elle casse le code social, le code racial, le code sexiste. Elle a cassé tous les codes avec beaucoup d’aisance et de naturel. C’est une femme remarquable. Elle a fait des chansons sur les femmes qui sont toujours des femmes blessées, brisées, trahies, mais jamais elles ne pleurnichent, ce sont toujours des femmes qui se relèvent, des femmes doubout. Elle ne cache pas non plus que le chagrin d’amour est violent et turbulent mais la femme antillaise se remet toujours debout. Alors j’avais envie de témoigner mon admiration pour sa vie et pour ses musiques, elle a été très prolifique. »
La nouvelle, « Les chants du chagrin », est un texte sur les chagrins d’amour pour toutes celles et ceux qui ont connu cela. « J’y fais intervenir plusieurs chanteurs pour témoigner, imager, l’état dans lequel peut mettre un chagrin d’amour, la folie, la dépression, le remords, la tristesse, avec des chants de Carmen, de Brel, de Patrick Saint Eloi, de Rita Mitzouko. Les chants du chagrin parlent des phases par lesquelles passe mon personnage. Chaque chanson parle des phases différentes d’une rupture, le chant qui va la sortir de cet état malheureux c’est un chant de Léona Gabriel, là on sait qu’elle s’en sort et qu’elle est en voie de guérison. »
…La boucle est bouclée, mais il y a encore tant à dire, car ce recueil de cinq nouvelles est un véritable voyage, avec même un vaudeville créole, « « Le cœur est patient », une drôle d’histoire pleine d’humour, qui commence bien mais qui finit mal, et je n’en dirais pas plus… ». Ainsi, Marie-Line conclue-t-elle notre entretien, sans doute pour donner de l’appétit à son lecteur et l’amener elle-même, sur les chemins de ses mots intarissables. Bonne route aux lignes si sensibles et si belles de notre estimée consœur !
Nathalie Laulé
« Au commencement était le mot », paru aux Editions Jets d’encre est disponible sur les plateformes FNAC et Amazon, et physiquement chez Cultura et la Kaz à bulles en Martinique.
SON PARCOURS
Marie-Line Ampigny, née en Martinique, le 23 septembre 1956 est Chevalier de l’Ordre National du Mérite et Chevalier de la Légion d’Honneur. Installée dans sa ville de cœur, le Diamant, elle a beaucoup œuvré dans le domaine artistique et culturel ainsi que dans celui de l’information.
- Journaliste de 1982 à 2008, elle a travaillé au sein de France-Antilles Hebdo à Paris, puis pour TV-Mag Guadeloupe et TV-Mag Martinique, et enfin pour France Antilles-Martinique.
- Autrice de contes et de romans, nous lui devons entres autres« Edith Lefel, une flamme créole », « Le Carnaval de Clémenceau Bwabwa », «Le JT de Clémence.C », « Aston so british », conte « Le Rocher du Diamant ou la petite fille qui s’était née », ainsi que cinq recueils de nouvelles dont certains primés.
- Elle fut également comédienne au sein du TPM de Henri Melon, des Ateliers du Sermac, et du Teat Lari de José Alpha, avec des tournées internationales. Avec la compagnie Fer de Lance d’Yvan Labéjof, elle a joué dans « Solitude la mulâtresse », en tournées internationales et au Festival In d’Avignon avant de devenir à son tour, directrice et metteur en scène du Théâtre de l’Air. Ses pièces ont été jouées au Théâtre Noir de Paris, à Bruxelles et au Festival de Fort-de-France.
En 2012, elle prend la direction du Domaine de la Pagerie pour une mise en valeur du site et de l’histoire de Joséphine de Beauharnais. Elle devient ensuite, Directrice du Service Culture-Sport, Jeunesse et Communication de la ville du Diamant.
Elle est à l’initiative de nombreuses actions en faveur de la lecture et du texte en direction des jeunes publics.