Silencieux depuis la parution de « Cyclones et tsunami en Martinique » au 3e trimestre de 2021, Serge Thaly, en mode écrivain, revient avec deux ouvrages, oui deux, aux Éditions Ti Tak Liv (Tiens, ça rappelle Ti Tak Spow!), histoire peut-être de rattraper le temps perdu.
Difficiles à classer dans une quelconque catégorie, ses nouveaux livres semblent, de prime abord, différents des précédents (CTM et Ti Milat), mais, à bien regarder… à bien lire… on n’en est plus certain.
Le premier est une contribution à l’histoire politique de la Martinique, donc, en fait, dans le même registre que CTM !! Mais, contrairement à ce compte-rendu de la campagne des territoriales de 20121, l’auteur se contente de publier « Césaire : La lettre », en s’abstenant de tout commentaire. La lettre d’Aimé Césaire à Maurice Thorez, secrétaire du Parti communiste français, en octobre 1956. Rien de nouveau, direz-vous ! Certes… Mais, l’auteur évite soigneusement toute interprétation, toute analyse, et choisit, malicieusement, d’éditer, dans la foulée, tous les articles des journaux de Martinique des années 56 et 57, qui abordent cette démission et ses conséquences. Justice, l’organe des communistes, bien sûr, mais aussi la Paix catholique, l’Information, les Nouvelles, le Populaire socialiste et d’autres. À notre connaissance, c’est une première dans l’édition à la Martinique. Il fallait y penser.
Vous imaginez aisément le travail de recherche ! Chez les parents, chez les amis, les relations politiques et aux Archives territoriales. Et par-dessus tout, voilà mis à la disposition des curieux, des passionnés d’histoire, des futurs chercheurs, un recueil de documents rares et fondamentaux, un dossier inédit et original, qui éclaire quelque peu les soixante dix dernières années du microcosme politique martiniquais.
Quand on sait que cette fameuse lettre est, en quelque sorte, à l’origine de la création du Parti communiste martiniquais (PCM) et du Parti progressiste martiniquais (PPM), on salue l’idée séduisante de la double préface du livre, avec la progressiste Jeannie Darsières et avec le communiste Michel Branchi. Et comme ils font les mêmes constats quant à la justesse d’un tel livre, et qu’ils parviennent pratiquement aux mêmes conclusions …
Ce genre de livre, « Césaire- La lettre », a la particularité de permettre de gommer toute interprétation forcément subjective. Les mots, les écrits des uns et des autres sont bruts, sans artifices, sans commentaires. Ils pourraient, on l’imagine aisément, être le départ d’études plus fines et plus subjectives !
Mais pourquoi ce choix ? L’auteur répond sans ambages :
« Nous vivons une époque de fake news, de faux sachants, d’experts auto proclamés sur tous les sujets. Je crois qu’il faut rétablir certaines vérités, se pencher sur des sources fiables ; et la meilleure façon de le faire est de publier, de vulgariser les vrais documents. Il faut arrêter avec les « je crois que… », les « on m’a dit que… ». Et ça dans tous les domaines. Si j’ai la possibilité de le faire pour d’autres sujets, de publier de vrais documents, je le ferai. Les sources ne sont pas aisées à trouver, mais le travail de recherche est plutôt exaltant ! »
Le deuxième ouvrage de Serge Thaly nous a très agréablement surpris.
Nous ne le pensions pas adepte de la science-fiction, lui le féru d’histoire, de politique et de sport. Et pourtant, il utilise précisément l’histoire et la politique pour nous offrir une image utopique d’une Caraïbe, centre exemplaire d’un futur qu’on souhaiterait réel. De Cuba à Trinidad. Une Caraïbe rêvée, îlot de paix, d’humanisme, de tranquillité dans un monde décadent en voie de disparition, avec pourtant un titre qui fait craindre le pire, « Les guerriers du temps ». Mais, trompeur, car très éloigné des violences belliqueuses que le monde connaît depuis la Préhistoire !
Difficile de parler d’un livre qui, tout à la fois, vous promène du 16e au 22e siècle, vous confirme la chute des vieilles nations du monde occidental, qui glorifie le métissage ethnique (on ne s’éloigne pas de la philosophie de Ti Milat), qui vous parle d’amour, de technologie de pointe, de patrimoine, de spiritualité, de respect, d’optimisme, de tolérance … Une forme d’utopie refondatrice ? Allez savoir ! À chacun de se faire son idée.
Mais se plonger dans les pages de « Les guerriers du temps » change des lectures habituelles. Ces hommes et ces femmes assument leur passé et sont, à l’évidence, responsables de leur présent. Sans excuses ! Pas de faux fuyant ! Par moments, on se demande si l’auteur n’a pas trop lu Isaac Asimov ou Philip K.Dick, à moins qu’il ne se prenne pour Prospéro. Car il faut une sacrée dose d’imagination pour rêver ce monde là, tout en ayant comme références évidentes le « Dôme » ou le « Wakanda ».
Quand on referme les 160 pages, qui se laissent lire d’une traite, la remarque glisse, évidente : « Mais n’est-ce pas là un livre éminemment politique ? »
LÀ réponse est ferme :
« Ce livre est dans la lignée de mon premier, « Ti Milat », qui se veut un exemple du métissage de notre population, qui s’est formée par différents apports extérieurs. Nous ne sommes ni africains, ni européens, ni asiatiques ; nous sommes simplement martiniquais et, par extension, nous sommes caribéens. Car les populations de nos voisins se sont formées comme la nôtre : par mélange, par panachage ! Nous ne serions pas si nos ancêtres n’étaient pas arrivés ici. Je veux dire que ne serions pas nés en Afrique, en Asie ou en Europe ! Ce n’est pas trop difficile à comprendre !
La forme « science-fiction » est venue par accident, mais le contenu tourne résolument autour du métissage, métissage des origines, des peuples, des cultures, des modes de vie. En toute intelligence ! Ah oui, intelligemment, sans ostracisme et intolérance ! C’est un vrai rêve, n’est-ce pas ? Pour info, j’ai un autre livre en préparation : il sera dans la même veine du métissage, de l’appartenance à la Martinique ; mais cette fois par des témoignages des intéressés, qui ont choisi d’être martiniquais ! Une autre façon d’en parler ! »
En tout cas, l’auteur, avec ses deux sorties estampillées Ti Tak Liv, « Césaire- La lettre » et « Les guerriers du temps » fait dans l’originalité, tant avec son recueil de documents historiques qu’avec son rêve caribéen. À lire ! D’urgence !
Aucune excuse pour choisir ! Deux lectures différentes, deux périodes, le passé et le futur, mais deux ouvrages à prendre en considération.
Nicolas MANCEAU
Extrait de « Césaire – La lettre »
LA PAIX, du 31 octobre 1956, Journal Catholique de la Martinique
Aimé CÉSAIRE, lettre à Maurice THOREZ
Aimé Césaire, député de la Martinique et poète — parmi les plus grands — vient d’adresser au secrétaire général du parti communiste français une lettre de démission dont nous sommes en mesure de publier les principaux passages. Dans cette lettre, Aimé Césaire exprime d’une part, à l’égard de la politique adoptée par le PCF depuis la déstalinisation des critiques et des protestations dont il semble bien établi qu’elles sont partagées aujourd’hui par la majorité des intellectuels communistes, quand bien même ceux-ci hésiteraient à les exprimer au grand jour.
D’autre part, motivation aussi déterminante, sinon davantage, que l’attitude du PCF et les réticences qu’il manifeste à se déstaliniser, c’est le problème plus particulier de l’émancipation des peuples colonisés et, notamment, de l’ensemble des populations noires qui a conduit Aimé Césaire à quitter le parti communiste. Aimé Césaire pose en effet le problème de l’influence qu’a exercée le communisme français sur l’évolution des peuples colonisés, influence dont il dénonce le caractère exclusif et autoritaire. Il revendique ainsi, pour ces peuples, le droit de suivre une évolution qui ne soit pas dépendante des conditions propres au communisme français et qui n’apparaissent à leurs yeux pour de multiples raisons, que comme une forme parmi d’autres, si maîtrisée qu’elle soit, du « complexe de supériorité » de l’Occident sur les civilisations et les cultures aspirant à une authentique libération.
Extrait de « Les guerriers du temps »
Un des écrans géants de la salle s’éclaire, connecté par un hologramme, une image d’homme, comme suspendu dans l’air, apparaît, pour représenter la Confédération caraïbe. Un grand silence se fait. Son intervention était souhaitée, attendue. On a l’étrange impression qu’il est debout au milieu de l’auditoire :
– Mesdames et messieurs les délégués du monde entier, n’oubliez pas que nous avons créé notre société sur des principes que nous avons choisis ensemble. L’équilibre, la paix et l’autosuffisance. Nous ne cherchons ni à dominer ni à influencer le reste du monde. Mais nous refusons de devenir la cible de nations qui ne veulent pas changer, qui ne veulent pas modifier leurs modes de vie ni leurs principes économiques. Si vous souhaitez négocier avec nous, sachez que notre savoir n’est pas à vendre. Mais nous sommes prêts à partager nos idées et à vous enseigner ce que nous avons appris au cours des années, à condition que vous soyez disposés à adopter une nouvelle façon de penser. La survie de l’humanité ne peut pas être basée sur la compétition pour les ressources limitées. Vous vous en rendez compte enfin. Après des siècles ! Elle doit venir d’une transformation radicale des modes de vie, de vos modes de vie. Je dois ajouter que les propositions des représentants des États-Unis et de la Chine ouvrent la porte à des conflits directs, dans lesquels vous n’avez rien à gagner. Nos systèmes de défense, nos technologies nous assurent un avenir tranquille. Soyez-en convaincus ! Nous restons à votre disposition. Je vous remercie.