illustration : Donald Trump à sa sortie de l’église Saint-John à Washington, le 1er juin 2020. | Brendan Smialowski / AFP


Spectateur des divisions de son pays, le président américain ne manquera pas de tirer la couverture à lui.

Bérengère Viennot


Le président des États-Unis barricadé dans le bunker de la Maison-Blanche autour de laquelle une palissade a été érigée en urgence, voilà un symbole dont Trump aurait bien pu se passer.



Heureusement pour lui, dans son univers, la pensée magique est la plus forte. On a appris quelques jours plus tard, de la bouche du président lui-même, qu’il n’avait fait qu’y passer quelques instants, dans ce bunker, pour l’inspecter.

Trump suit son petit bonhomme de chemin pendant qu’autour de lui une partie de l’Amérique brûle, pendant qu’une autre se fait gazer par la police et que de petits commerçants pleurent leur boutique dévastée, pendant que les médias du monde entier relaient les images de l’agonie d’un homme noir, tué par un policier blanc, qui appelle sa maman en mourant et dont le meurtre a allumé le baril de poudre que le président ne cesse d’alimenter depuis trois ans.

On ne peut que penser à Louis XVI écrivant dans son journal à la date du 14 juillet 1789: «Rien».

Quels sont les choix qui s’offrent à Trump? Qu’aurait-on pu attendre de lui? Qui n’a pas pensé que n’importe lequel de ses prédécesseurs aurait forcément fait mieux (surtout Obama, évidemment, dont l’exhortation à reprendre le pouvoir par les urnes risque d’être un peu noyée dans les gaz)? Il aura essayé, pourtant, au moins une fois. Contrairement à son discours du 29 mai, dans le Rose Garden de la Maison-Blanche, où il n’a pas prononcé le moindre mot sur le meurtre de George Floyd, tué quatre jours auparavant (ce jour-là, il s’était déchaîné contre la Chine et l’OMS), le lendemain, à l’occasion du lancement de la capsule SpaceX, il a pris la parole et prononcé des mots d’apaisement qui semblent pourtant être tombés dans le vide: «La guérison, pas la haine, la justice et non le chaos, sont les missions qui nous attendent.»

Or, malgré les images de manifestations pacifiques, malgré celles de policiers qui s’agenouillent à leur tour devant des manifestant·es, images moins relayées que celles des heurts et des gazages, c’est la haine et le chaos qui semblent pour l’instant prévaloir au plus haut niveau. Depuis ces quelques mots présidentiels, Trump semble décidé à mettre de l’huile sur le feu. Tout porte à croire qu’il se radicalise: il en appelle à la «domination» par les forces armées et ne cesse de proférer insultes, menaces et appels à la violence sur son fil Twitter.

Mais pourquoi choisir de menacer d’envoyer la garde nationale, pourquoi continuer de stigmatiser les médias, les Démocrates, la Chine et tout le bataclan alors qu’il suffirait, sans doute, d’une intervention télévisée bien calibrée, d’un discours rassembleur et unificateur, d’une reconnaissance qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume américain et son racisme systémique, pour que les feux s’éteignent et que la vie reprenne?

«À regarder les Fake News CNN ou MSDNC, on croirait que les assassins, terroristes, anarchistes, racailles, voyous, pillards, ANTIFA et autres sont les gens les plus doux et gentils et merveilleux du Monde Entier. Non, ils sont ce qu’ils sont –très mauvais pour notre Pays!» a-t-il éructé sur Twitter le 3 juin, dans un inventaire où il ne manquait que la Chine (quant aux Démocrates, pas de jaloux, ils allaient en prendre pour leur grade dans le tweet d’après).

L’économie en pleine déconfiture

Pour que la vie reprenne? Oui mais voilà, la vie d’avant les émeutes, ce n’était pas une sinécure pour un président en campagne sur un bilan moyennement glorieux. Trump s’est lancé en politique en promettant de rendre sa grandeur à l’Amérique, grandeur économique et nationaliste.

Pour ce qui est du patriotisme ardent, il faut lui rendre justice: les résultats sont bons. Une foule de migrant·es croupissent dans des camps de concentration, les États-Unis s’enfoncent dans une spirale isolationniste, tant politique qu’économique, et le pays a tout intérêt à cultiver son image de grandeur s’il veut lui rester quelque chose à célébrer.

En revanche, pour ce qui est de l’économie, s’il pouvait balancer des chiffres dans tous les sens jusqu’au premier trimestre 2020 et affirmer que l’économie américaine ne s’était jamais aussi bien portée, un petit virus venu de Chine est venu plonger ses pronostics en pleine déconfiture.

Car aux États-Unis comme en Europe, la crise du Covid-19 prélève un tribut catastrophique, à grande échelle, certes, mais avant tout auprès des plus modestes. Là-bas comme ici, ce sont les plus fragiles économiquement qui paient d’abord les pots cassés. Trump ne s’y était pas trompé: après avoir affirmé que l’économie allait se redresser et que le dernier trimestre et l’année prochaine «seraient meilleurs que jamais», il s’est érigé contre les États (Démocrates) qui ordonnaient des mesures de confinement à leurs citoyen·nes, paralysant ainsi la vie économique et condamnant des gens sans assurance santé ou chômage au pain sec et à l’eau (voire, dans des villes comme Flint, à de l’eau empoisonnée).

Si la gestion de l’épidémie a été calamiteuse aux États-Unis, où le manque de moyens sanitaires s’est au moins autant fait sentir que chez nous, Trump a bien vite compris qu’il s’assurait une popularité chez les individus les plus touchés économiquement en prenant leur parti contre les autorités des États qui les poussaient à une paralysie économique contrainte et forcée. Lors de la plupart de ses nombreuses conférences de presse au début de l’épidémie, il s’est assuré que l’Amérique avait bien compris que sa priorité, c’était sa santé économique.

Tendance à se confondre avec Dieu

Pour ce qui était de la maladie, qui au départ n’était pas si grave et allait disparaître «comme un miracle», elle a vite été sous contrôle grâce aux «milliers de respirateurs» et autres équipements sanitaires pléthoriques dans le pays, sans parler des effets curatifs de la chloroquine et du zinc, bref, point presse après point presse, Trump a affiché son indiscutable réalité: ce n’était pas le Covid-19, le problème, puisque de ce côté-là tout était maîtrisé.

Bien sûr, les médias (les «fake news», donc) ne relayaient pas les mêmes informations: le nombre de 100.000 morts dues au virus a été dépassé fin mai, et les services de santé étaient débordés dans de nombreux endroits, notamment à New York. Début juin, les États-Unis ne sont pas encore sortis d’affaire selon les informations du New York Times. Il avait beau rejeter la faute sur la mauvaise gestion des gouverneur·es Démocrates, Trump n’était pas dans une situation des plus confortables tant que la maladie restait à la une des médias.

Or depuis que la crise provoquée par le meurtre de George Floyd a éclaté, le Covid est passé loin, loin derrière les informations sur les manifestations, les émeutes, les violences policières, les appels au calme: on l’aurait presque oublié. La posture adoptée par Trump lors de cette crise, dès lors, est moins surprenante: oui, il met de l’huile sur le feu, mais au moins, pendant qu’on parle émeute, on ne parle pas crise sanitaire. Force est de constater que lorsqu’on se demande s’il faut lâcher l’armée sur les citoyen·nes qui protestent, on ne se demande pas si les maisons de retraite souffrent d’une pénurie de matériel de protection.

Il est clair que Trump n’a aucunement l’intention de jouer les présidents pacificateurs. S’il donne l’impression d’être assiégé, au fin fond de la Maison-Blanche, il s’est assuré depuis cette histoire de bunker qu’on l’avait vu en sortir. Et pour faire quoi? Pour aller à l’église. Car Trump est un homme de Dieu –pas dans le sens où il vit sa foi au quotidien, plutôt dans l’optique où il serait son représentant. Ce qui ne date pas d’hier, au vu du nombre de séances de prières organisées à la Maison-Blanche et immortalisées façon Jésus et ses apôtres.

Lors de ces sessions, Trump se retrouve régulièrement dans des positions qui laissent peu de doute sur la place qu’il y occupe. Sa relation à Dieu est toute particulière; il s’en sert d’instrument politique, comme lorsqu’il s’est rendu à l’église Saint-John ce lundi 1er juin, après qu’elle a été vandalisée, et après que les forces de l’ordre en ont nettoyé les alentours à coup de lacrymos alors que les rassemblements à Lafayette Square, devant la Maison-Blanche, étaient pacifiques.

Il a même parfois tendance à se confondre un peu avec Lui, dirait-on. Trump ne sait-il pas tout (à l’en croire, personne ne sait plus de choses que lui sur tout un tas de sujets qui vont du groupe État islamique aux tribunaux en passant par les sondages, les banques, et, bien sûr, la médecine) grâce à sa «capacité naturelle»? N’a-t-il pas l’autorité suprême, comme il le revendique lui-même?

Son moment est venu

C’est sans doute cette omniscience qui lui dicte de continuer à durcir sa politique et à se montrer de plus en plus autoritaire. La situation semble critique? C’est pourtant là que Trump est dans son élément. Certes, depuis son investiture il s’est rendu ridicule plus d’une fois lors d’interventions où son inculture et son manque de préparation sautaient aux yeux; mais aujourd’hui, alors que son pays est, sinon au bord de la guerre civile, du moins clivé comme jamais, il doit sentir que son moment est venu. Faire jouer les muscles, montrer qui est le plus fort, tracer une démarcation claire, simple, nette entre les méchants d’un côté et les gentils de l’autre: ce qui relève du cauchemar pour n’importe quel dirigeant vaguement normal en Occident, c’est pain bénit pour Trump.

Non seulement il doit se sentir dans son élément, puisque cette situation de danger et d’embrasement titille ses instincts de macho qui va nous montrer qui est le plus fort et qui commande, mais en outre elle le conforte dans l’idéologie qu’il s’est choisie: celle d’un président à droite, mais vraiment très à droite, qui estime qu’il y a «des gens très bien dans les deux camps» quand des néonazis affrontent des antifascistes.

Ce n’est pas un hasard si des responsables de la CIA, actuels et passés, expriment leur inquiétude devant la dérive autoritaire du président. Après l’incident de l’église Saint-John, Marc Polymeropoulos, ancien agent de la CIA en Europe et en Asie, a tressailli: «Ça me rappelle ce sur quoi j’ai fait des rapports pendant des années dans le tiers-monde, a-t-il confié au Washington Post. Saddam. Bachar. Kadhafi. Ils ont tous fait ça.»

Trump n’a jamais caché son admiration pour les dictateurs, pour les hommes forts; Poutine, al-Sissi, Duterte et les autres, et évidemment, pour le leader de Corée du Nord, qu’il aime d’amour. Son tour est-il enfin venu de montrer de quoi il est capable et de sortir l’artillerie lourde de sa testostérone? Ses appels récurrents à faire jouer l’armée et ses exhortations à se montrer «dur» semblent l’indiquer. «Quand les pillages commencent, les tirs commencent», a-t-il averti, reprenant ainsi les termes du chef de la police Miami, en 1967, lors des émeutes raciales à l’époque des luttes pour l’égalité des droits civiques, qui avaient conduit à une escalade de la violence (Trump a nié s’en être inspiré; on est tenté de le croire, l’histoire n’étant pas son fort).

Curieusement, comme le souligne Lili Loofbourow sur Slate.com, lorsque des manifestant·es blanc·hes et pro-Trump avaient pris des capitoles d’assaut pour protester contre les mesures de confinement, le président ne les avait pas considéré·es comme des racailles ou des voyous. «Ce sont des gens très bien, mais ils sont en colère. Ils veulent retrouver leur vie, en toute sécurité!» Trump ne veut pas unifier l’Amérique. Une Amérique unie ne voterait pas pour lui.

Ailleurs, il serait un dictateur

Devant toutes les catastrophes qui sont en train de tomber sur son pays aujourd’hui, on ne sait plus trop laquelle est la plus grave. Faut-il craindre une guerre civile? Malgré les violences policières et les réactions d’indignation qu’elles suscitent, une menace sérieuse de coup d’État semble très improbable, et il ne reste plus très longtemps avant les prochaines élections.

Reste à savoir si les institutions américaines seront assez solides pour résister à ce qui semble être le moment pour Trump d’affirmer sa mainmise sur le pouvoir. Lors d’une conférence téléphonique avec des gouverneur·es, il a de nouveau évoqué la «domination» des forces de police au Minnesota, en disant que c’était «une chose magnifique à regarder», et déploré que la garde nationale ne soit pas appelée en renfort:

«Nous allons résoudre le problème en étant juste et forts. Il faut que vous soyez forts. Utilisez notre garde nationale.» Mais aussi: «Si vous ne les dominez pas, vous perdez votre temps. Ils vont vous écrasesr, vous aurez l’air d’une bande d’abrutis.»

Après l’épisode de Lafayette Square, le symbole d’un président qui gaze son peuple pour se faire prendre en photo une bible à la main a été trop fort, même pour James Mattis, ancien secrétaire à la Défense de Trump qui est sorti de sa réserve pour dire tout haut ce que de plus en plus d’Américain·es pensent aux quatre coins de leur pays: «Nous pouvons nous unir sans lui, en nous servant de la force inhérente à notre société civile.»

Dans un tout autre pays que l’Amérique, un homme qui monte une partie du pays contre l’autre, qui limoge à tour de bras, désigne la presse comme étant l’ennemi du peuple, tente de museler des réseaux sociaux, nomme sa fille et son gendre à des positions de pouvoir, fait entrer de l’argent dans ses caisses grâce à sa position, accuse un journaliste qu’il n’aime pas de meurtre au vu et au su de tous sans la moindre preuve, prend la défense de néonazis et annonce à l’avance que les prochaines élections seront truquées s’il ne les gagne pas, et enfin demande l’intervention de l’armée pour réprimer des manifestations dont une grande partie sont pacifiques, cet homme-là aurait été taxé de dictateurdepuis longtemps.

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