Le pionnier du jazz fusion, leader du groupe Return to Forever, s’est éteint, mardi 9 février, à Tampa (Floride), à l’âge de 79 ans.

Par Francis Marmande

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Chick Corea en concert, en avril 1978, au Finsbury Park Odeon, à Londres. NATIONAL JAZZ ARCHIVE/LEEMAGE


Le pianiste et compositeur Chick Corea est mort à Tampa (Floride), mardi 9 février, des suites d’une forme rare de cancer. Il était âgé de 79 ans. Le communiqué mis en ligne sur sa page Facebookmentionne un ultime message rédigé par l’artiste : « Je veux remercier tous ceux qui, tout au long du voyage, ont contribué à faire briller de mille feux la musique. »

Le communiqué poursuit : « Toute sa vie, Chick a été ravi de la liberté et de la joie à créer des formes, et de jouer aux jeux auxquels jouent les artistes. » Né le 12 juin 1941 à Chelsea (Massachusetts), dans une famille venue de Sicile et de Calabre avec branches andalouses, Armando Anthony « Chick » (« le Poussin ») Corea est installé au piano dès ses 4 ans par son père. Jo Corea est trompettiste, multi-instrumentiste et compositeur, pratiquant dans un orchestre traditionnel (dixieland), bien qu’il soit grand amateur de jazz moderne (Dizzy, Bird, Bud, Monk), autant que de classique (Beethoven, Chopin, Bach, Mozart).

Apprentissage du « Poussin » tout ce qu’il y a de plus classique, c’est la règle, avant la Columbia et la Juilliard School of Music, mais sans grande conviction. Il découvre les rythmes latinos dans le combo de Phil Barboza, et préfère Mongo Santamaria et Willie Bobo aux enseignements académiques (1959-1962). La joie du grand jeu.

« Joie de créer »

Plus tard, ses compositions (Spain ou La Fiesta) deviennent dans l’instant des standards que tout le monde veut jouer. Plus que rôdé chez Cal Tjader, Blue Mitchell, Herbie Mann et Pete La Roca, mais aussi bien Cab Calloway, il enregistre avec Woody Shaw, Joe Farrell, Steve Swallow et Joe Chambers. Il entre dans le groupe de Stan Getz, aux côtés de qui il enregistre Sweet Rain (1966), continue de travailler la batterie, ce qui retentira dans son jeu percussif aux claviers.

On se l’arrache. En 1968, il publie son premier album personnel, Tones for Joan’s Bones, enregistré en 1966. « Ma mission, dit enfin son message d’outre-tombe, a toujours été d’apporter la joie de créer partout où je le pouvais. L’avoir fait avec tous les artistes que j’admire le plus au monde aura été la richesse de ma vie… »Tel est le secret. Telle est la raison de sa silhouette d’éternel adolescent binoclard à qui l’on passe tout, surtout les facilités. Preuve par trois : un deuxième album miraculeux, Now He Sings, Now He Sobs (1968), d’une énergie stupéfiante (c’est peut-être le mot), une étincelle qui dure un temps fou avec Miroslav Vitous (contrebasse volante, né à Prague en 1947) et Roy Haynes, batteur, légende méconnue du jazz moderne.

Fidèle à Horace Silver et à McCoy Tyner, Chick Corea constitue avec Herbie Hancock et Keith Jarrett le brelan d’as de six décennies de musique

Fidèle à Horace Silver et à McCoy Tyner, Chick Corea constitue avec Herbie Hancock et Keith Jarrett le brelan d’as de six décennies de musique. Tous trois ont côtoyé les géants du siècle. Tous trois se retrouvent chez Miles Davis au cours des années 1960. Tous trois ont frayé avec l’avant-garde la plus hardie : Circle, le groupe de Chick Corea (avec le contrebassiste Dave Holland et le batteur Barry Altschul) sera rejoint par le saxophoniste, clarinettiste et flûtiste Anthony Braxton en 1971. Keith Jarrett a ce joli mot qui leur va comme un gant : « Ma musique ? Une sorte d’avant-garde pour grand public. » Tous trois connaissent une popularité qui dépasse largement les limites supposées du « public de jazz ». Ils jouent ensemble, ou deux par deux. Tous trois sont abonnés aux plus grands festivals hexagonaux, où ils font jusqu’au bout figure de stars. On tient Chick Corea et Herbie Hancock pour des inventeurs de la fusion ou du jazz-rock. C’était le monde d’avant.

Lire la critique d’un concert à La Villette (en septembre 2010) : En hauts et bas, le trio historique de Chick Corea

La nouvelle lutherie, qu’elle soit électrique ou électronique (le piano Fender Rhodes, l’oscillateur Ring Modulator) ne les intimide pas – Keith Jarrett n’aime pas des masses… La virtuosité ne leur fait pas peur, le répertoire classique non plus. Pour Corea, ce sera Mozart. Sa rencontre et ses enregistrements (1982) avec Friedrich Gulda laissent aussi sceptiques les spécialistes des deux bords (classique et jazz) qu’ils enchantent le fameux grand public.

Correspondance avec Ron Hubbard

Chick Corea était doué pour le succès. Sa fidélité à une sorte de philosophie de la joie est très communicative. Peut-être la fonde-t-il sur les enseignements de la scientologie, lesquels laissent plutôt réservés les amateurs. Il n’y allait pas de main morte, il faut dire, entretenant une longue correspondance avec le gourou Ron Hubbard, participant à son album Space Jazz (1982). Hubbard lui a fait découvrir la dianétique et quelques autres mirobolants concepts.

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Le pianiste Chick Corea, le 13 septembre 2014, lors d’un concert du festival Ajazzgo au théâtre municipal Enrique Buenaventura, à Cali, en Colombie. LUIS ROBAYO/AFP

Avant la formation en 1972 de son groupe-phare, Return to Forever (Joe Farrell, Stanley Clarke, Airto Moreira et Flora Purim), promis à bien des résurrections de ses cendres, les rencontres de Chick Corea (duos, trios, quartets, etc.) sont simples : vous prenez les plus brillants de cinq décennies, connus du public ou pas, mais les plus brillants, Gary Burton (qu’il avait remplacé chez Getz), Herbie Hancock (premier duo), Keith Jarrett, John McLaughlin (duos, 1984), Lee Konitz, Paco de Lucia, Friedrich Gulda, Stanley Clarke et Lenny White pour une tournée mondiale « unplugged » en 2008. Et vous comprendrez comment l’on enregistre plus d’une centaine d’albums…

Avec escales régulières dans le mythe ibérique (Spanish Sketch, My Spanish Heart, avec Jean-Luc Ponty au violon, Spain, enregistré avec le London Philharmonic Orchestra en 1999). Elektrik Band rimant avec Acoustic Band, sur fond d’un énième Return to Forever, parfois avec la vocaliste inspirée Gayle Moran (son épouse, dans Musicmagic), et échappées classiques (Alexandre Scriabine, Bela Bartok), duos avec le banjo de Bela Fleck (2007), les pianistes Hiromi Uehara (2008) et Stefano Bollani (Orvieto, 2011)… Ou ce féerique Rendez-vous in New York, avec Bobby McFerrin (2003). Les neuf cercles de la joie, non plus que les polyèdres de la rencontre, ne sauraient se discuter. De toute façon, les adeptes qu’il laisse en chemin, se tapotant le menton sous la lune, Chick Corea les rattrape toujours d’un aguichant revers. La Fiesta, que voulez-vous…

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Chick Corea en quelques dates

12 juin 1941 Naissance à Chelsea (Massachusetts).

1966 « Sweet Rain », avec le groupe de Stan Getz.

1966-1968 Premier album personnel, « Tones for Joan’s Bones ».

1972 Formation de son groupe-phare Return to Forever.

2008 Tournée mondiale « unplugged ».

9 février 2021 Mort à Tampa (Floride).

Francis Marmande

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