Qu’on se rappelle la remarque du Président Sarkozy lors d’une table ronde sur le tourisme de « La Batelière » : « Tout le monde n’a pas Césaire dans son patrimoine culturel». Nous disposons en effet d’une profusion d’intellectuels, d’artistes, d’ingénieurs et de scientifiques de renom qui, agglomérée, accompagnée, encadrée, financée, pourra conduire à cette excellence, digne de nos grands Hommes.


Le 1er janvier 2011, j’écrivais les lignes éditoriales qui suivent, en pleine réflexion et préparation du Festival dédié au centenaire de la naissance d’Aimé Césaire, que devait organiser l’association Négritude.

VOUS AVEZ DIT CULTURE ?

Et si la culture et les industries créatives étaient de ces nouveaux fondamentaux devant participer au développement réel de notre pays ? Et si la culture, l’intelligence, le partage équitable de la connaissance, l’éducation, étaient à nouveau placés au cœur de la vie, au cœur du développement humain, ou comme le disait Césaire, « au plus épais du combat de l’Homme »?

Telle est en substance, la réflexion que mène depuis plus de deux ans et singulièrement depuis le décès d’Aimé Césaire, l’association NEGRITUDE. Un groupe de Martiniquais, préoccupés par l’état de délabrement de notre société et par la dure réalité d’une économie évanescente.

Réflexion osée diront certains. Je parle de ceux pour qui la culture n’est qu’un simple divertissement que l’on pratique une fois le ventre plein, ceux pour qui les artistes ne sont que des vulgaires saltimbanques et de simples amuseurs publics, ou encore ceux pour qui la culture se résume au sempiternel boudin-accra- rhum-zouk-love, ou à la simple monstration statique et béate de vagues réminiscences historiques, voire folkloriques. Ceux-là se trompent, car l’expression culturelle et d’une manière générale, celle des industries créatives sont bien plus que cela.

Pour l’UNESCO, ces dernières prennent une importance croissante au sein des économies postindustrielles modernes fondées sur les savoirs…

Elles sont, d’abord, plus prometteuses en termes de croissance et de création d’emplois que les autres secteurs…

Pour Jacques Attali, (revue « Espaces 222 » de janvier 2005) :

«Phénomène majeur, les festivals existent et valorisent par leur existence des destinations qui sans elle, resteraient inconnues et peu ou pas fréquentées. »

Pour Norman Girvan enfin, ancien Secrétaire général de l’AEC :

«Dans les Caraïbes, la création est inextricablement liée à la survie. Pour nous, survivre c’est créer. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles cette région est le foyer d’une profusion créative dans les domaines musical, artistique et culturel, complètement disproportionnée par rapport à la modeste population des îles et des territoires continentaux ».

Que dire alors plus précisément de notre Martinique qui a donné au Monde des écrivains, des poètes, des scientifiques, des top-modèles, des stylistes, des ingénieurs, de grands médecins, de grands professeurs, des chefs cuisiniers, des artistes de renom, des sportifs, des chercheurs, des aviateurs, des cinéastes ; autant de sésames possibles pour le rayonnement de notre pays et partant, pour alimenter un nouveau modèle économique.?

Exemplifions : L’expérience nous a mille fois montré au cours des derniers mois, qu’au seul et simple énoncé du nom d’Aimé Césaire, toutes les portes étaient prêtes à s’ouvrir au bénéfice de notre Martinique. De Paris à Johannesburg, de La Havane à Los Angeles, d’Atlanta à New Orléans, de Dakar à Mamoudzou, de Blida, douce terre de repos de Fanon, à Hienghène, berceau de Jean-Marie Tjibaou, de Montréal à Sydney, de Rio à Tokyo, le nom, la fulgurance et le souvenir d’Aimé Césaire furent pour nous, le plus bel accompagnateur. Qui a dit que le poète était mort ?

Hamidou Sall avait raison quand il nous disait : « Césaire nous a laissé un viatique ! » Et quel est ce viatique ? Sinon cette provision d’enseignements, cet humanisme consommé, cette vision, oui, cette vision argumentée d’une Martinique anticipée, unie, saine et prospère. Comment comprendre alors que nous demeurons ainsi figés – laminaires ? – sur des vérités et des comportements d’hier ? Comment comprendre alors que nous demeurons tous, autant que nous sommes, aveugles et sourds à un pays qui se meurt ?

Ce sont toutes ces considérations qui, entre autres, ont présidé à l’idée d’organiser en Martinique, à la faveur du centenaire de la naissance d’Aimé Césaire : PAYS NATAL 2013, Un événement dont le thème vaut à lui seul invitation au voyage, à la culture et à la table, comme le disait Senghor, du donner et du recevoir…

Mais qu’est-ce que la culture ? Chacun en a sa conception, mais parmi les plus belles, il y a celle d’André Malraux pour lequel :

« L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme ».

Il y a aussi celle de Renaud Donnedieu de Vabres (an-Coen ministre français de la culture) :

” Si s’effondre la “splendeur” d’une place financière, subsiste le rayonnement durable et fort d’une œuvre, d’un moment, d’un site, ainsi que la perfection magique et surnaturelle d’une création, la vérité lumineuse et cruelle d’un cri artistique parfois violent….

La culture donne des repères. Elle est l’alliance rare entre l’immatériel et le matériel, la fécondation de la

matière par l’esprit. Même si un geste artistique est parfois fragile et éphémère, une fulgurance géniale et fugace, le choc esthétique qu’il engendre, imprègne durablement la mémoire. Il provoque la conscience. Il génère l’être….

La culture permet tout à la fois, l’enracinement, l’har- monie et le dépassement total de soi. Le respect de l’histoire, du sol, de la tradition, mais aussi la force de créer, la capacité d’imaginer, la griserie de rêver, l’envie d’ailleurs. L’intelligence de la complexité.

L’amour du monde et de la diversité. C’est faire le lien entre le passé et l’avenir. C’est comprendre. Compren- dre les autres. Se connaître soi-même. Apprivoiser les différences….

La culture est une promesse de richesses, une source d’attractivité, d’emplois, un rêve tangible. C’est une priorité pour qui sait enfin ouvrir les yeux, voir et comprendre que dans la fureur du monde, l’harmonie qu’elle diffuse et le progrès qu’elle génère sont des va- leurs plus puissantes que les jeux d’écriture financière aux improvisations tragiques et à la “poésie” morti- fère… La culture n’est pas un opium, un luxe, une fu- tilité. Elle est un réflexe lucide, une performance orchestrée.

Même s’il est conçu dans la pauvreté, le dénuement et la précarité, l’acte artistique est une richesse et une valeur, plus puissantes et incarnées, qu’une réussite financière fugace et éphémère. »

Et puis, enfin, il y a celle de Césaire qui nous rappelle à la culture-combat :

” Nous avons toujours voulu rappeler au Peuple Mar- tiniquais, tenté qu’il puisse être de s’isoler dans le ca- tégoriel, que le combat de l’Homme est un ; que la culture n’est ni évasion hors du monde, ni indifférent au monde, ni repli égoïste sur soi, mais qu’au contraire, la culture est un combat et que le combat pour la culture, introduit et doit introduire au plus épais du combat de l’Homme, je veux dire, le combat contre tout ce qui opprime l’Homme, le combat contre tout ce qui écrase l’Homme, le combat contre tout ce qui humilie l’Homme où qu’il se trouve et que dans ce combat-là, chaque peuple quelque petit qu’il soit, tient une partie du front, donc, en définitive est comptable d’une part même infime de l’expérience humaine. “

Posons alors une question : Sommes-nous en adéqua- tion avec ce qui vient d’être lu à propos de la culture?

Autrement dit, avons-nous intégré dans notre conscience, le phénomène nommé culture ? Avons- nous entrevu a fortiori, la simple nécessité de faire émerger une culture Martiniquaise, laquelle puisse se hisser aux plus hautes marches des performances es- thétiques et émotionnelles des cultures du monde. Je dirai non ! Car en effet, s’il est vrai que nous dispo- sons de la substance, nous n’avons pas la moindre compréhension de la puissance élévatrice de la cul- ture.

Imaginez alors la fulguration d’une politique cultu- relle (une vraie), qui s’arcbouterait sur le viatique de Césaire et s’intégrerait dans le vaste mouvement créa- tif de la diaspora africaine des Amériques, (je pense à Lam, à Basquiat, à Télémaque, à Marley, ou à Morri- son). De celui des Habitants premiers de notre Amé- rique. Une politique, inondée de surcroît des fondamentaux culturels tant endogènes qu‘exogènes, propre à hisser notre Martinique, au point « glissan- tien » de ralliement des cultures du Tout-Monde.

Ainsi la percevions-nous, lors de la préparation du Festival Négritude. Lisons :

« C’est ainsi que, rescapée des pires crimes contre l’humanité, animée peut-être de cet instinct de survie qui féconde l’imagination, nourrie d’expériences mul- tiples, la Diaspora africaine des Amériques a pu créer au fil du temps sa propre existence. Mieux, sa propre identité, ou plutôt ses propres identités, offrant ainsi au monde l’avantage d’une palette infinie de sons, de couleurs, de mots, de rires, de mouvements, de danses, de musiques, de pensées, d’intelligences, d’inventions qui, aujourd’hui l’ensemencent »

[Henri Pastel dans la plaquette dédiée au festival : Pays Natal 2013]

Césaire ne disait-il pas que : « L’Afrique est une com- posante essentielle de la personnalité antillaise ».

Nous revoilà donc dans la même difficulté évoquée dans ce chapitre précédent, et avec le même question- nement à propos de nos fondements historiques, de notre identité et en fin de compte de notre culture et de nous-mêmes. En vérité, nous avons un patrimoine historique, duquel découlent un état d’esprit, une cul- ture. Pour exemple, la France s’est attribué une civi- lisation chrétienne, de laquelle découle, comme dit plus haut, une état d’esprit, des comportements, des musiques, un sens précis de l’humour, des sensibili- tés particulières, une gastronomie, bref, une certaine idée de soi, qui sont toutes, autant de composantes de

ce qui est convenu d’appeler la culture française. C’est son droit.

A contrario, et j’invite à ce que l’on me comprenne. Nous Martiniquais, et par extension, nous Antillo- Guyanais francophones, sommes-nous de la même pâte historique et culturelle que les Français (hexago- naux), au prétexte qu’une certaine loi de 1946 a fait de notre pays un Département français ?

Allons plus loin. N’y a-t-il pas là encore un gigan- tesque hiatus dans la mesure où à un moment précis, il y eut un effet de cisaillement dramatique de nos his- toires respectives, suivi d’un tunnel sans fin de néga- tion de nous autres Afrodescendants ?

Mais allons encore plus loin si vous le voulez bien, et de manière officielle. Le Président français Nicolas Sarkozy ne déclarait-il pas dans son Discours de Dakar du 26 juillet 2007:

….La colonisation fut une grande faute qui fut payée par l’amertume et la souffrance de ceux qui avaient cru tout donner et qui ne comprenaient pas pourquoi on leur en voulait autant.

La colonisation fut une grande faute qui détruisit chez le colonisé l’estime de soi et fit naître dans son cœur cette haine de soi qui débouche toujours sur la haine des autres….

Retenons plutôt que le Président français a officielle- ment, puisque le prononcé faisant foi, a établi donc de fait dans son discours – et à raison -, un distinguo entre la culture africaine et celle de l’Occident qui, recon- nait-il, en a appris de la première. Sans doute faisait- il là allusion à l’école du « cubisme », à Picasso et à bien d’autres « grands noms » de l’art européen, qui se sont largement inspirés de l’art africain.

Toujours est-il que c’est la culture occidentale qui au- jourd’hui, tend à annihiler celle des autres, notamment celle des Afrodescendants d’Amérique, donc la nôtre.

Or, quand bien même croisements il y eut, quoi de plus vrai que cette différence fondamentale, car his- torique et ethnologique, existante entre ceux du Mas- sif central ou du Morbihan, héritiers comme ils se plaisent à dire et à se considérer d’une civilisation judéo-chrétienne, niant au passage leur ascendance barbaresque, et nous, descendants déracinés des As- hantis, des Congos, des Yorubas, ou des Baoulés, (comme nous ne le disons pas suffisamment).

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Lisons encore une fois Césaire :

Allez comprendre !

…« Aucun pays colonisateur ne peut prodiguer sa ci- vilisation à aucun pays colonisé […]. Il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais, éparses dans le monde et comme on le voulait aux premiers temps de la colonisation, de « nouvelle France », de « nouvelle Angleterre, de nouvelle Espagne ». Alors, quoi de plus efficace que le bourrage de crâne médiatique et les quelques subsides chichement octroyés, pour s’assu- rer de la prééminence de la culture et de la « civilisa- tion » occidentale pour asseoir et imposer sa culture, ou comme on dit en Europe, ses valeurs en pays do- miné et objectivement colonisé, puisque jamais Paris n’a demandé à Fort de France ou Pointe à Pitre : « Quid de votre culture ? »

Le drame, est que ce sont nos propres « responsables politiques » … de « Gauche » et autonomistes qui, in- capables d’imaginer et de proposer à leurs conci- toyens et au monde, une politique culturelle d’un niveau digne de nos grands Hommes, de notre pays et de notre Caraïbe en son entier, ont fait, avec une volition publique rare, assaut de courbettes et de gé- nuflexions, pour quémander et se voir décerner la mé- daille « Scène Nationale », comble assumé d’une hétéronomie du genre «Bourgeois de Calais».

Pourquoi et dans quel intérêt, la seule structure de spectacle convenable de Martinique nommée de sur- croît «Atrium» par Césaire lui même, a-t-elle été pla- cée sous la tutelle d’un Ministère français de la culture, d’un Directeur de la culture français et de « l’esthétisme » de la « Scène Nationale » française ?

Mais comble du comble de la désinvolture, Pourquoi deux salles, l’une portant le nom de Césaire et l’autre celui de Fanon, nos deux penseurs les plus brillants, arborent-elles de concert (si j’ose le dire), l’estampille « Scène nationale… française » ?

Que la France soit sollicitée -de droit- en termes de financement et d’échanges culturels, c’est là une chose, mais se placer volontairement sous sa coupe esthétique et décisionnelle c’en est une autre et dans cette dernière condition, il s’agit ni plus ni moins d’une faute, d’une lourde faute. Faute d’esthétique sans doute, faute patrimoniale pour sûr, mais faute po- litique assurément, qu’il appartiendra à la CTM21 de corriger, toutes affaires cessantes.

Henri Pastel 01 février 2021

A suivre

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