Antilla a récemment rencontré récemment Corinne Mencé-Caster et Pascal Saffache, alors respectivement doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’UAG et président de l’UAG, Corinne Mencé-Caster et P. Saffache, alors qu’ils venaient de   publier un ouvrage intitulé «  Le Développement territorial…Une affaire universitaire. Le cas de l’UAG et de ses territoires » chez Caraibéditions-Université. Nous les avions interviewés…
Ceci se passait dans notre journal n° 1478 (en 2011). Depuis, Pascal Saffache ne s’est pas représenté aux élections qui renouvelaient les responsables de l’UAG et Corinne Mencé-Caster, elle, y a été élue avec avec 18 voix (contre 11 au Pr Fred Célimène) au conseil d’administration du  pôle Martinique de l’université. Au moment où se précisent les futures élections pour la direction de l’UAG, le regard porté par Pascal Saffache et Corinne Mencé-Caster sur notre université nous a semblé utile de publier…

 

L’interview de 2011 (Antilla 1478)

ANTILLA: Pourquoi était-il nécessaire de faire le point sur l’Université des Antilles et de la Guyane? Est-ce parce que l’institution est méconnue du grand public? Ou parce qu’elle est arrivée à un tournant de son histoire?

C. Mencé-Caster: J’ai ressenti ce besoin en raison de l’écart que je percevais entre les transformations internes de l’UAG, ses mutations et la vision externe, assez négative qui perdure. Il y avait donc à la fois l’envie d’effacer en quelque sorte cette image erronée et la volonté de faire mieux connaître une institution qui appartient en propre à nos pays et que les habitants ne se sont pas encore suffisamment appropriés. En même temps, à l’orée des 30 ans de l’UAG, il était important de tirer une sorte de bilan et de tracer des perspectives car nous sommes effectivement à un tournant de l’histoire de l’UAG… 30 ans, ce n’est pas rien pour une institution comme la nôtre…

 

P. Saffache: Dans l’Hexagone, il est assez courant que les universitaires réfléchissent sur le monde de l’université, posent un regard lucide et critique sur ce qui constitue leur quotidien… c’est beaucoup plus rare ici, peut-être parce que nous sommes encore une université jeune, en pleine construction, qui n’a pas derrière un passé séculaire. Je crois qu’il était important que des enseignants-chercheurs puissent donner leur vision de l’intérieur, présenter un univers dont les lois de fonctionnement et les logiques internes restent encore trop méconnues. L’université de demain sera un moteur du développement territorial, il faut donc que les acteurs territoriaux mais aussi le grand public se familiarisent avec cette institution pour mieux l’appréhender, sans trop de préjugés…

 

Antilla: Le titre de votre ouvrage met l’accent sur ce que vous appelez « le développement territorial ». En quoi l’UAG est-elle en mesure de contribuer à ce développement, de quelle manière et dans quels secteurs?

C. Mencé-Caster: Pendant trop longtemps, l’université s’est apparentée à un lieu sacrosaint, un temple du savoir immobile. Toutes les études menées ont montré qu’un territoire sur lequel est implanté une université ou un pôle universitaire se développe de façon plus pérenne et ambitieuse qu’un territoire où une telle structure n’existe pas. Je veux dire par là qu’il n’y a pas de développement territorial sans des ressources humaines qualifiées, sans des politiques de formation initiale et tout au long de la vie en lien avec les « niches » d’emploi, sans investissement sur l’innovation technologique et socio-culturelle. Or l’université est à la fois un lieu de formation théorique et professionnelle, un espace de recherche fondamentale et appliquée, un laboratoire de transferts technologiques et culturels. Les secteurs concernés sont multiples car l’université des Antilles et de la Guyane est par essence pluridisciplinaire, capable d’investir des secteurs aussi diversifiés que la culture, la traduction, les sciences de l’information, la biodiversité, la santé, le sport, les nouvelles technologies, l’agroalimentaire, etc. C’est en dialogue avec les autres partenaires économiques et sociaux que peuvent se définir ensuite les champs de développement territorial prioritaires.

 

P. Saffache: Développer un territoire, c’est d’abord penser son développement de manière durable, en jetant les bases d’une économie nouvelle fondée sur la connaissance. L’université, parce qu’elle permet à des jeunes bacheliers de se former et de devenir ensuite des cadres hautement qualifiés, mais aussi à des professionnels d’élever leur niveau de qualification, est l’espace idoine où peut s’élaborer les conditions nécessaires à un développement concerté. La combinaison de la formation et de la recherche constitue un formidable atout car le savoir établi côtoie le savoir innovant, le bouscule. Si je prends l’exemple du secteur de l’environnement que je connais bien, il est évident que le développement de formations bien ciblées dans ce domaine va faire émerger des compétences qui seront utiles à une approche plus écologique, que ce soit dans notre rapport à la nature, à la consommation. La recherche, pour sa part, permettra de développer des modalités de construction plus respectueuses de l’environnement et plus adaptées aux énergies naturelles dont nous disposons et que faute d’un savoir-faire suffisant, nous n’avons pas encore suffisamment exploité.

 

ANTILLA: Etes-vous satisfaits de l’état des relations de l’UAG avec les collectivités de Guadeloupe, Guyane et Martinique? En quoi votre livre apporte-t-il des idées visant à rendre celles-ci plus étroites et plus performantes?

C. Mencé-Caster: De toute évidence, avec les mutations que connaît l’université, du fait de la loi sur l’autonomie et du passage aux responsabilités et compétences élargies, il nous faut rénover les voies du dialogue avec les collectivités pour sortir d’une logique de « guichet » et entrer véritablement dans une dynamique de projets concertés. Je veux dire par là que l’université doit participer pleinement à l’élaboration et à la construction du projet de société territorial, en partenariat avec les divers acteurs territoriaux impliqués. C’est l’enjeu majeur des divers pôles universitaires que d’arriver à instaurer ce dialogue plein et entier avec les collectivités territoriales, dans le respect de l’autonomie de l’université et de ses missions fondamentales que sont la formation, la recherche et l’insertion professionnelle. C’est pourquoi à la tête de chaque pôle, il y a un vice-président chargé d’orchestrer ce dialogue et de le rendre le plus efficace possible.

 

P. Saffache: Il est toujours possible d’améliorer les choses, et en particulier les relations que l’on entretient avec des partenaires « naturels » tels que les collectivités territoriales. En ce sens, je crois qu’il nous faut nous engager résolument avec les collectivités dans la voie d’une relation partenariale fondée sur le partage d’un même projet de société, avec un rôle pour l’université reconnu et admis par tous, indépendamment des financements donnés. Il faut bien comprendre que l’université ne saurait se satisfaire d’être financée par les collectivités, si ces financements ne sont pas en prise avec des projets menés ensemble, de manière concertée, avec le même objectif de développement territorial. La qualité du dialogue dépend donc de la capacité à faire ensemble pour accroître nos chances de développement.

 

Antilla: Après l’éclatement du Rectorat Antilles-Guyane, puis de l’IUFM-Antilles-Guyane, le maintien de l’Université des Antilles-Guyane est-il réaliste? En quoi votre concept d’« université pluri-territoriale » permet-il de conjurer les vieux démons de la division?

C. Mencé-Caster: Comme nous le disons dans l’ouvrage, l’imaginaire de la division nous hante toujours, avec cette tentation d’un repli territorial et donc d’une université de plein exercice par territoire. Pourtant, après 30 ans, l’UAG reste encore une seule et même université, répartie sur trois territoires. Les besoins d’autonomie se font entendre, les visions territoriales ne concordent pas toujours et induisent alors des tentations séparatistes. C’est pourquoi le principe de l’université pluri-territoriale peut être une réponse adaptée susceptible de maintenir l’unité. En donnant à chaque territoire universitaire la possibilité de s’auto-administrer dans le respect de la politique globale de l’UAG, le schéma d’université pluri-territoriale répond à ce fort besoin d’autonomie territoriale tout en s’attachant à l’idée que celle-ci ne peut s’exercer que dans le cadre d’un établissement unique, porteur d’un projet global assumé aussi par chaque pôle.

 

P. Saffache: Il serait erroné de croire que les appétits séparatistes n’existent pas… ils sont là et s’expriment en période de difficulté ou de crise. La conviction qu’une université éclatée sur trois territoires induit un fonctionnement plus lourd, moins performant, peut faire naître l’envie d’un appareillage plus léger, plus souple, plus autonome.

Pour toutes ces raisons, le schéma de l’université pluri-territoriale constitue une réponse adaptée, car en assurant à chaque territoire universitaire une autonomie renforcée, une capacité de s’administrer dans le respect de la stratégie globale de l’université, la reconnaissance de la pluri-territorialité permet à chaque pôle de se développer en harmonie avec les autres acteurs de son territoire, en s’inscrivant dans les logiques de développement de ce territoire et en les anticipant éventuellement.

 

Antilla: Votre livre donne une toute autre image de l’UAG que celle, plutôt négative, véhiculée par divers secteurs de nos trois territoires. Peut-on dire que vous ambitionnez d’amener votre établissement vers l’excellence au cours des prochaines années? Si oui, de quelle manière?

C. Mencé-Caster: Comme je l’ai dit, il était nécessaire de donner une vision de l’intérieur qui, sans nier les difficultés, les pesanteurs, les échecs mêmes, s’attache à parler sans équivoque de ces hommes et de ces femmes qui se sont engagés au service du développement de cette université qui est la nôtre et que nous nous devons, sinon d’aimer, du moins de respecter et d’encourager. Il est temps d’en finir avec cette propension à rejeter tout ce qui nous est propre ou proche. Le mérite, que je préfère à l’excellence, car il met plus en exergue l’effort pour se dépasser soi-même, est au cœur de la philosophie universitaire française qui ne sélectionne pas les étudiants mais les accepte tous dans l’objectif de les conduire à la licence, puis au master, et enfin au doctorat s’ils le souhaitent. A l’UAG, la proximité que nous entretenons avec nos étudiants, les effectifs raisonnables, la connaissance de notre milieu, la volonté de construire des projets de développement respectueux de notre histoire, de nos contextes sont autant de moyens de susciter chez nos jeunes l’envie de faire et de bâtir ensemble. Cette envie-là quand elle émerge est le bastion du mérite et le ferment de l’excellence.

 

P. Saffache: Devenir la première université de la Caraïbe et de l’Amazonie, telle est notre ambition. L’excellence est donc au cœur de notre programme, mais une excellence qui n’exclut pas, qui ne fait pas de la sélection drastique son seul mot d’ordre. A l’UAG, nous accueillons beaucoup d’étudiants socialement défavorisés; nous voulons que l’université soit pour eux un tremplin vers un avenir meilleur, ce qui suppose déjà une forme de conversion intérieure de leur part, une capacité à transcender leurs propres limites. L’excellence, dont nous voulons, est celle qui prend le temps d’émerger et de se construire, dans la découverte progressive de soi, de ses potentialités, dans le respect de sa culture et l’ouverture à celle des autres. C’est pourquoi nous axons nos programmes d’accompagnement sur cette prise de conscience de la nécessité du projet personnel et professionnel pour inciter les étudiants à se projeter et à repousser les limites qu’ils avaient pu initialement se fixer. Nous voulons aussi qu’ils découvrent leur environnement caribéen, sa complexité et toutes les niches d’emploi dont il recèle.

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(Corinne Mencé-Caster, était au moment de cette itw doyen de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’UAG.)

 

 

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