Moez-Alexandre Zouari, spécialiste des magasins de proximité s’inquiète d’une inflation injustifiée qui fait fuir les clients. sur www.lejdd.fr/ Photo : Moez-Alexandre Zouari dans les bureaux de Teract à Paris, jeudi. © NICOLAS FRIESS/HANS LUCAS POUR LE JDD

C’est l’un des hommes clés de la distribution en France. Mais c’est aussi l’un des moins visibles dans un secteur très exposé. À l’inverse de concurrents aussi médiatiques que loquaces, Moez-Alexandre Zouari cultive la discrétion. À tel point que son ascension a pu se poursuivre pendant presque vingt ans sans trop attirer l’attention. Cet entrepreneur de 52 ans, diplômé en économie de Paris-Dauphine, s’est lancé aux côtés de son épouse, Soraya, dans le commerce de proximité en 1998. Sans bruit, dans leur quartier : le 20e arrondissement de Paris. Leur première supérette, 400 mètres carrés sous l’enseigne Franprix, ouvre alors ses portes au 98, boulevard de Ménilmontant.

Des dizaines d’autres suivront, Franprix, Monop’ ou Casino, au nombre de 250. Méticuleux, attentifs à tout – de l’emplacement aux linéaires en passant par les produits, les fournisseurs et l’agencement –, ce couple de gros travailleurs se partage les tâches : à elle les équipes et l’administratif, à lui le terrain. Ensemble, ils acquièrent méthodiquement la « culture du carrelage », cette expression du milieu qui traduit l’intime connaissance du comportement des clients, de la qualité des produits et de la fiabilité des fournisseurs. « Très peu de dirigeants de la grande distribution en France peuvent en dire autant », estime un concurrent qui les connaît depuis longtemps.

Un portefeuille qui lui donne une vision complète du secteur

Master-franchisé Casino – dont le PDG, Jean-Charles Naouri, avait pris 40 % de leur capital en 2003 pour leur permettre d’accélérer le développement de leur entreprise –, Moez-Alexandre Zouari entre réellement dans la lumière fin 2019 en rachetant – à la surprise de beaucoup – 44,5 % du capital de Picard (49 % aujourd’hui), l’enseigne de surgelés régulièrement classée parmi les marques préférées des Français. Puis lors de l’acquisition coup sur coup de deux enseignes de distribution spécialisées dans la déco et la mode discount : Maxi Bazar et Stokomani, en 2021 et 2022. Un portefeuille dont la variété lui donne une vision complète de son secteur, bousculé par la pandémie puis par les conséquences de la guerre en Ukraine, dont la hausse des prix de l’énergie et des matières premières.

L’inflation alimentaire, qui atteint 14,5 % en février mais pourrait encore grimper en mars, l’obsède : « Elle est dans toutes les têtes et dans tous les chariots. On a largement dépassé les 15 % de hausse en un an. Mais le pire est devant nous, probablement au printemps. Ce niveau d’augmentation me semble injustifié, parce qu’il est en partie dû à une surenchère entre les différents acteurs. » Sa crainte ? Que les prix continuent de monter dans l’alimentaire, même une fois l’inflation endiguée globalement.

« Ce phénomène est né d’une crise momentanée, mal anticipée, causée à l’origine par l’envolée des charges et du coût de l’électricité, puis aggravée par des tensions sectorielles, explique Moez-Alexandre Zouari. Le retour à la normale prévu pour l’an prochain entraînera-t‑il les prix à la baisse dans les magasins ? Sinon, tout le monde sera perdant : les clients, bien sûr, mais aussi les industriels et les distributeurs. »

Car les consommateurs français n’ont pas tardé à riposter. Et à restreindre leurs achats pour respecter leur budget. Selon le baromètre IRI pour le magazine spécialisé LSA, les ventes de produits de grande consommation en grandes surfaces ont reculé de 3,9 % en volume la semaine dernière, par rapport à la même période il y a un an. Et même de 5 % depuis le début de l’année. Aucun magasin n’échappe à cette baisse de la consommation : – 4,6 % en un an pour les hypermarchés, – 2,8 % pour les supermarchés, – 1,4 % pour les magasins de proximité et – 8,4 % pour les achats en drive ou en livraison. Des chutes particulièrement inquiétantes pour un secteur où les marges sont naturellement faibles.

D’où une analyse sans concession de la part de celui qui se revendique commerçant avant tout : « La grande distribution donne l’image d’une guerre tous azimuts. Producteurs contre distributeurs, distributeurs entre eux, grandes marques contre distributeurs. En face, la confiance des consommateurs s’effrite. Il faut sortir de cette logique de confrontation. Je crois à la bienveillance, même si le mot paraît incongru dans cet univers. »

« Maîtriser toute la chaîne de l’alimentation »

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Aux côtés de Xavier Niel et de Matthieu Pigasse, l’actionnaire principal de Picard a également fondé la société 2MX Organic à la fin de 2020. Son but ? Faire émerger un champion de la distribution durable par le mariage avec InVivo (­Jardiland et Gamm Vert pour la distribution, et deuxième coopérative agricole européenne), qui a donné naissance à la société Teract. C’est en partie en s’appuyant sur cette nouvelle entreprise que Moez-Alexandre Zouari veut proposer « une autre façon de consommer », en restaurant des références de prix. « Le client est déstabilisé. Il a perdu ses repères, fustige l’entrepreneur. Il n’est pas dupe des promos décidées sans prendre en compte ses besoins ni des produits vendus au même prix mais en moindre quantité. »

Parallèlement aux restrictions d’achats, les performances affichées ces derniers mois par les discounters – dont les groupes allemands Aldi et Lidl au premier chef – envoient un autre avertissement aux distributeurs traditionnels : les consommateurs pourraient se détourner en masse de ce modèle pour privilégier à long terme les enseignes à prix cassés. Une catastrophe pour des groupes déjà malmenés en Bourse, comme Carrefour, ou aux prises avec des difficultés multiples, comme Auchan, demeuré en Russie malgré le conflit.

Homme clé d’une possible recomposition du groupe Casino, fragilisé par un fort endettement, Moez-Alexandre Zouari réfléchit à une alternative. « Contrôler les prix, préserver la qualité, privilégier le produit, respecter le consommateur, valoriser le salarié n’est pas contradictoire. Il faut maîtriser toute la chaîne de l’alimentation »,suggère-t‑il. Un partenariat en France entre le groupe de Jean-Charles Naouri (15 milliards d’euros de chiffre d’affaires), qui dispose d’un réseau exceptionnel de magasins en centre-ville, et Teract, qui s’appuie sur 300 coopératives agricoles, pourrait concrétiser cette offre « alternative ». « Je ne suis pas dans les opérations financières ou dans les montages industriels, affirme-t‑il. Je cherche plutôt un nouveau modèle pour changer le commerce, tourné vers la qualité, le produit et le client. »

 

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