L’ancienne ministre de la Justice a dévoilé samedi ses intentions pour la présidentielle. L’occasion de se plonger dans le parcours de celle qui fait office de véritable icône pour une partie de la gauche.

Article rédigé par Margaux DuguetRaphaël Godet
France Télévisions
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L'ancienne ministre de la Justice, Christiane Taubira, lors d'un déplacement à Nantes (Loire-Atlantique), le 10 janvier 2022. (LOIC VENANCE / AFP)

Elle a mis fin au (faux) suspense, samedi 15 janvier. Lors d’un déplacement à Lyon, Christiane Taubira a levé le voile sur ses ambitions présidentielles, après avoir annoncé fin décembre qu’elle envisageait d’être candidate “face à l’impasse” d’une gauche plus que jamais divisée.

L’ex-garde des Sceaux avait assuré qu’elle ne serait “pas une candidate de plus” et mettrait “toutes ses forces dans les dernières chances de l’union”. Faute d’accord des candidats de gauche pour se soumettre au résultat de la primaire populaire dont elle est la seule à avoir accepté le principe, Christiane Taubira est donc devenue la sixième candidate à gauche. L’occasion pour franceinfo de rappeler les prises de position et combats marquants de l’ancienne députée guyanaise.

Son engagement pour l’indépendance de la Guyane dans les années 1970

Christiane Taubira a 26 ans quand elle entre dans l’arène politique. Nous sommes en 1978 et la professeure de sciences économiques rejoint le Moguydé, le Mouvement guyanais de décolonisation. A sa tête, Roland Delannon qui deviendra plus tard son mari et le père de ses quatre enfants. Christiane Taubira découvre alors le militantisme et la clandestinité. “Tous les deux jours, je devais changer de lieu, tout en trimbalant un bébé de 2 mois. J’ai pris des risques, mon époux a été en prison pendant un an et demi. Mes autres camarades ont été emprisonnés”, témoigne-t-elle dans une interview à StreetPress.

En avril 1993, quelques jours après avoir été élue députée de Guyane, Christiane Taubira s’explique sur son combat pour l’indépendance de son territoire de naissance. “Je ne suis pas venue à l’Assemblée nationale pour défendre[l’indépendance de la Guyane], affirme-t-elle au journaliste Jean-Pierre Elkabbach, mais je ne vais pas cracher sur mes propres fantasmes. Je ne conçois pas qu’on renonce au principe même de la souveraineté. Reconnaître que la Guyane est géographiquement ailleurs qu’en Europe, que physiquement, culturellement, historiquement, c’est autre chose, c’est aussi flirter avec l’idée d’une souveraineté.”

Sa bataille pour que l’esclavage soit reconnu comme crime contre l’humanité en 2001

La députée de la première circonscription de Guyane prend la parole à la tribune de l’Assemblée nationale : “Cette inscription dans la loi, cette parole forte, sans ambiguïté, cette parole officielle et durable constitue une réparation symbolique, la première, et sans doute la plus puissante de toutes.” Si son ton est si solennel, c’est que l’élue est la rapporteuse de la proposition de loi prévoyant la reconnaissance de la traite et de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Son texte, arraché de haute lutte, est adopté à l’unanimité le 10 mai 2001.

Christiane Taubira savoure ce moment historique. “Il me fallait à la fois dompter mon cœur et mes larmes, être à la hauteur de cette dernière étape, parce que ce n’est pas une démarche personnelle. J’ai essayé avec dignité, avec force, avec loyauté de porter une demande, une aspiration collective”, déclare-t-elle après le vote à France Télévisions. Depuis 2006, la France commémore chaque 10 mai la journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition. C’est la date d’adoption par le Sénat du texte définitif de la “loi Taubira”.

Sa candidature à la présidentielle de 2002

Des néons aux couleurs du drapeau français éclairent la scène parisienne. Sous les applaudissements, Christiane Taubira monte à la tribune en ce 1er décembre 2001.“D’habitude les mots sont mes amis, aujourd’hui, ils semblent avoir déserté ma tête, et je prends toute la mesure de la confiance, de l’audace, mais surtout du terrible défi que nous allons porter ensemble”, clame-t-elle. Le “terrible défi”, c’est sa candidature à la présidentielle. L’élue vient d’être désignée par 473 voix pour contre 102 par les membres du PRG (Parti radical de gauche). Christiane Taubira entre dans l’histoire : elle est la première femme noire, issue de l’outre-mer, à être candidate à l’Elysée.

La députée guyanaise axe sa campagne autour de “l’égalité des chances” et de la “solidarité pour tous”. Elle défend notamment l’égalité hommes-femmes et souhaite instaurer le droit de vote des étrangers aux élections locales. Le 21 avril 2002, c’est le choc. La gauche est éliminée dès le premier tour. Lionel Jospin s’incline devant Jean-Marie Le Pen qui décroche son ticket pour le second tour face à Jacques Chirac. Christiane Taubira arrive treizième avec 2,32% des voix. On la tient, à l’époque, en partie responsable de l’échec de Lionel Jospin.

Dans un entretien à Zadig en décembre 2020, Christiane Taubira s’en est défendue, assurant que “s’il fallait recommencer, je recommencerais” et rappelant la présence d’autes candidats ayant réalisé des scores plus élevés qu’elle. “Tout de même, comme candidats à gauche, il y avait, en plus de Jospin, Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère, Robert Hue et moi. Et je serais la seule à avoir posé problème, la seule coupable, la seule responsable de la défaite à gauche ? Peut-être la seule femme et peut-être pas de la bonne couleur”, déclare-t-elle. En 2017, Christiane Taubira est revenue pour franceinfo sur cette défaite douloureuse tant sur le plan physique que sur le plan psychologique. “Pendant cinq ou six mois, j’ai dormi deux heures par nuit. Le corps résiste, puis il flanche après”, témoignait-elle.

Son combat pour le mariage pour tous en 2013

“Je dois avouer que je suis submergée par l’émotion.” Nous sommes le 23 avril 2013dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Christiane Taubira s’apprête à prendre une dernière fois la parole avant le vote définitif de la loi relative au mariage pour tous. “Il faut parler à ceux qui ont été blessés par les mots, par les actes (…) ceux qui ont connu le désarroi” face à une “sublimation des égoïsmes”, déclare la garde des Sceaux. Devenue la porte-voix des personnes homosexuelles, honnie et insultée par une partie de la droite, Christiane Taubira s’adresse aux adolescents : “Gardez la tête haute. Vous n’avez rien à vous reprocher. Nous le disons haut et clair, à voix puissante !”

Quelques minutes plus tard, après cent trente-six heures et quarante-six minutes de débat, le vote a enfin lieu : 331 votes, 225 contre et 10 abstentions. Sous les cris de “Egalité ! Egalité ! Egalité !” Christiane Taubira peut apprécier le moment. C’est elle qui a porté pendant de longs mois au Parlement l’ouverture du mariage aux couples de même sexe, promesse de campagne de François Hollande.

Cette (deuxième) loi Taubira a braqué une partie des Français tout en contribuant à faire de la garde des Sceaux une icône pour une frange de la gauche. Le texte a cependant aussi déçu certains de ses soutiens qui le jugeaient incomplet, la promesse de François Hollande de rendre la PMA accessible à toutes les femmes n’y figurant pas.

Sa démission du gouvernement Valls en 2016

Le drapeau français flotte aux côtés du drapeau algérien sur une petite table garnie d’un bouquet de roses blanches. “C’est un sujet qui est toujours dans l’actualité”, lance la journaliste de la chaîne 3 de la Radio algérienne. “Oui, mais c’est un sujet qui va s’éteindre”, lui répond du tac au tac Christiane Taubira, ce 22 décembre 2015. Le sujet dont parle la ministre de la Justice est hautement polémique. Il s’agit de l’extension de la déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs d’actes terroristes.

 

Selon la garde des Sceaux, “cette déchéance de nationalité sur des personnes nées françaises, qui appartiennent depuis leur naissance à la communauté nationale, ça pose un problème de fond sur un principe fondamental qui est le droit du sol, auquel je suis profondément attachée, et qui est, dans l’histoire de la construction de la communauté française sur une base civique, un pilier fondamental”. Elle assure en outre que le projet qui doit être présenté le lendemain en Conseil des ministres ne retient pas la disposition.

La proposition est pourtant bien dans le projet de réforme constitutionnelle et le Premier ministre, Manuel Valls, désavoue sa garde des Sceaux. Début janvier, elle réaffirme sur iTélé son opposition à cette mesure, estimant que l’on “touche à un pilier important”. C’est pourtant elle qui doit porter cette révision constitutionnelle au Parlement. Le 27 janvier, son numéro d’équilibriste prend fin. Christiane Taubira remet sa démission et, dans la foulée, tweete : “Parfois résister c’est rester, parfois résister, c’est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l’éthique et au droit”.

Ironie de l’histoire : il n’y a finalement pas eu de révision de la Constitution pour y inscrire le principe de la déchéance de nationalité visant les auteurs d’actes terroristes. François Hollande y a renoncé, faute de consensus politique.

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