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Le lac Baïkal gelé au crépuscule (Sibérie – Russie)
Crédit : Eszter Miller / Pixabay – Licence : CC0

Avec le réchauffement climatique et l’exploitation minière dans les régions les plus reculées et froides de notre planète, nos activités font courir le risque de réactivation de virus et bactéries endormis depuis des milliers d’années et dont les conséquences sanitaires sur les animaux et l’humanité pourraient être hors de contrôle.

Les virus et bactéries existent depuis les débuts de la vie sur Terre, il y a environ 3,5 milliards d’années. Ils ont donc évolué, muté et ont été confronté aux extinctions massives et aux grands cycles climatiques de notre planète. Certains micro-organismes sont ainsi restés prisonniers dans le pergélisol (couche de sol gelé en permanence des régions arctiques) pendant des dizaines de milliers voire des millions d’années.

Or, les activités humaines réchauffent significativement notre planète et plus particulièrement les régions périglaciaires de l’hémisphère nord qui devraient connaître une augmentation de température de 3 à 5°C d’ici 2050 et de 5 à 9°C en 2080. C’est suffisant pour faire fondre la couche supérieure du permafrost et ainsi réactiver des virus et bactéries endormies par le froid.

En 2014, des scientifiques français et russes découvraient un nouveau virus inconnu et géant appelé Pithovirus, dans des échantillons de permafrost de Sibérie de 32 000 ans d’âge. En 2015, des chercheurs français du CNRS et du CEA découvraient un autre virus géant d’un genre totalement nouveau : Mollivirus sibericum.

Le réchauffement climatique et l’exploitation minière vont réactiver des virus et bactéries potentiellement dangereuses

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La découverte de nouveaux micro-organismes pathogènes prisonniers de sols gelés est source d’inquiétude car la fonte de la glace sous l’effet du réchauffement climatique devrait remettre en circulation d’anciens micro-organismes à l’origine de maladies potentiellement mortelles et contagieuses, on parle de “virus zombies” dans le grand public.

C’est le cas d’une bactérie de Sibérie qui vient d’être analysée et dont les résultats ont été publiés en septembre 2021 dans le journal Biology.
La bactérie Acinetobacter lwoffii, isolée d’échantillons de pergélisol en Yakoutie (Sibérie) vieux de milliers ou de millions d’années, a été étudiée. Si les Acinetobacter lwoffii sont répandus dans une grande variété d’habitats et sont généralement non pathogènes, leurs proches parents, d’autres espèces du genre Acinetobacter, peuvent provoquer des maladies infectieuses dangereuses chez l’homme et les animaux.

Bien sûr, on peut espérer qu’ils seront sensibles aux antibiotiques modernes, mais nos recherches indiquent que ce n’est peut-être pas le cas“, a déclaré Andrey Rakitin, auteur de l’étude.
L’étude du génome complet des souches isolées du pergélisol a montré que cette bactérie était résistante aux antibiotiques les plus courants comme la streptomycine, la spectinomycine, le chloramphénicol et la tétracycline. De plus, ils sont résistants aux éléments traces métalliques et à l’arsenic.

Les bactéries que nous avons étudiées, ont été isolées d’un pergélisol qui a entre 15 000 et 1,8 million d’années, mais elles ont beaucoup de points communs avec les souches modernes [de bactéries]. Nos collègues ont obtenu des résultats similaires et la situation est effrayante. Le réchauffement climatique ne peut être que ralenti, mais il ne peut plus être arrêté, et il pourra déclencher de nouvelles infections. Une étude de ces agents pathogènes potentiels maintenant enfouis dans le pergélisol pourrait sauver nos vies et notre santé à l’avenir” avertit Nikolai Ravin, chef du laboratoire de clonage moléculaire au Centre de recherche en biotechnologie RAS (Russie).

Le réchauffement climatique mais aussi l’exploitation de plus en plus importante des ressources minières et énergétique[1] des régions périglaciaires fait courir le risque d’apparition de nouveaux micro-organismes pathogènes mais aussi de résurgence de virus considérés aujourd’hui comme éradiqués, tel celui de la variole (officiellement éradiqué depuis 1980). En effet, des chercheurs français ont découvert en 2012 la présence d’ADN génomique du virus de la variole au sein des tissus d’un corps momifié inhumé il y a environ 300 ans dans la région de Yakutsk (République de Sakha, Sibérie orientale).
Ce scénario fait partie des travaux du laboratoire français “Information génomique et structurale” qui vient de publier un éclairage sur les risques sanitaires liés au réchauffement de l’Arctique.

Jean-Michel Claverie[1] (professeur émérite de l’université Aix-Marseille et ancien praticien hospitalier de l’APHM en santé publique) et Chantal Abergel (directrice de recherche et directrice du laboratoire IGS depuis 2018), auteurs de cet article indiquent que des “nombreux microbes stockés depuis des milliers d’années dans les sols de l’Arctique sibérien seront remis en circulation à l’occasion de leur dégel de plus en plus profond, ou des multiples activités minières qui y sont projetées“. Ils confirment que le “risque infectieux lié à la persistance de bactéries dans le pergélisol est connu depuis longtemps, grâce notamment aux travaux de l’école russe de microbiologie des sols.

En ce qui concerne le virus de la variole, les auteurs sont plutôt rassurants : “la libération de virus des couches superficielles de pergélisol, même si elle s’amplifie en moyenne chaque été, ne nous paraît pas associée à un danger qualitativement nouveau. Dès qu’elles apparaissent à la surface, les particules virales sont soumises au pouvoir stérilisant de la lumière et de l’oxygène de l’air, puis sont emportées par les eaux de ruissellement dans le cours d’eau le plus proche, où elles se diluent bien avant d’atteindre la mer.

Ce qui préoccupe davantage les deux chercheurs français se sont les virus et bactéries enfouis dans le pergélisol profond comme Pithovirus et Mollivirus recueillis à environ 30 m de profondeur et qui correspondent à 30 000 ans en arrière. “Or cette période est contemporaine de l’extinction rapide de plusieurs grands animaux alors très abondants tels que les rhinocéros laineux (il y a 14 000 ans), les mammouths (il y a 10 000 ans), ou les derniers Néandertaliens (il y a 30 000 ans). Ainsi, les mêmes échantillons de pergélisol qui ont livré nos virus d’amibes préhistoriques pourraient être la source de virus encore infectieux, ayant participé à l’extinction de ces espèces, mais encore jamais entrés en contact avec les espèces modernes de ruminants, éléphants ou autres mammifères, dont l’homme. Leur éventuelle pathogénicité dans le contexte actuel est donc inconnue et imprévisible.“.
Pour éviter toute épizootie voire une pandémie, les chercheurs français n’ont bien sûr pas tenter de réactiver ces virus. Ce n’est pas le cas de l’institut russe Vector, situé à Novosibirsk, qui “vient d’annoncer son intention de lancer un programme de « paléovirologie » à partir de restes animaux exhumés de pergélisol ancien (rhinocéros, mammouth, etc).” ajoutent J-M. Claverie et C. Abergel.

Le cas de la bactérie à l’origine de l’anthrax

Une bactérie, capable de sommeiller pendant des années et de ressurgir est particulièrement connue et surveillée : il s’agit de la bactérie Bacillus anthracis, agent de la maladie du « charbon » (anthrax en anglais).

Elle est à l’origine de nombreuses épidémies qui ont décimé “les troupeaux de rennes au cours de l’histoire contemporaine, les années particulièrement chaudes étant associées à un risque accru de remettre en circulation des agents infectieux. Des chercheurs russes ont estimé que le pergélisol sibérien renferme 1,5 millions de carcasses de rennes infectés par la bactérie du charbon, dont les spores sont connues pour y survivre plus de 100 ans (et sans doute beaucoup plus).” précisent J-M. Claverie et C. Abergel.

Le réchauffement climatique et plus particulièrement l’exploitation des ressources du sous-sol font courir le risque de résurgence de virus et bactéries enfouies depuis des milliers d’années dans les couches profondes du permafrost sans qu’aucune précaution ne soit mise en oeuvre.

Notes

  1. La Russie, aidée de centrales nucléaires flottantes, explore son littoral (mer de Laptev, mer de Sibérie orientale), “où des couches de pergélisol profondes de plusieurs centaines de mètres et vieilles d’un million d’années surplombent un sous-sol riche en ressources minérales de toutes sortes (hydrocarbures, barytine, apatite, cuivre, nickel, zinc, tungstène, uranium, or, argent, diamant, fer, platine)” (J-M. Claverie, C. Abergel).
  2. Dans un autre registre, il dénonce notamment la “vaccination” anti-COVID chez les enfants dont le rapport bénéfice / risque est très mauvais.

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