Illustration : Au sommet du nouveau Krakatoa (Indonésie)

© Christophe Magdelaine / www.notre-planete.info 

Et si le volcanisme modifiait davantage le climat que les activités humaines ? Cette question récurrente sur les causes anthropiques et naturelles de l’augmentation du dioxyde de carbone dans l’atmosphère fait l’objet de plusieurs mises au point qui montrent que nous sommes largement plus émetteurs de gaz à effet de serre que les phénomènes volcaniques, même les plus puissants.


Sans parler des éruptions volcaniques massives à l’origine d’extinctions du vivant, certaines éruptions volcaniques contemporaines sont capables de modifier temporairement le climat. Ainsi, en 1991, l’éruption du volcan Pinatubo a provoqué un refroidissement planétaire à cause des émissions de souffre. Mais le volcanisme émet également des gaz à effet de serre.

Les éruptions volcaniques rejettent des cendres, des poussières, des gaz : soufre (SO2, H2S), des halogènes (Hcl, Hbr), du CO2 et de la vapeur d’eau dans l’atmosphère.

Les émissions de soufre agissent sur le climat en réduisant le rayonnement solaire, en réchauffant la stratosphère, en altérant la création d’ozone, en diminuant la température moyenne de surface et en réduisant notablement les précipitations, explique un article scientifique paru dans PAGES Magazine.
Le CO2, un gaz à effet de serre, est également émis par le dégazage du magma souterrain qui est présent sous les volcans.

Si l’on compare les émissions en dioxyde de carbone (CO2) des volcans terrestres à ceux de nos activités, la comparaison est sans équivoque. En moyenne, nos activités émettent en seulement 3 à 5 jours l’équivalent des rejets de CO2 de tous les volcans terrestres pendant une année ! Rappelons que le CO2 émis en excès dans l’atmosphère est à l’origine du réchauffement climatique en cours.

La question la plus récurrente que j’ai eue (et que j’ai encore) dans mes 30 ans de carrière en tant que géochimiste spécialisé sur les volcans de la part du grand public et des autres scientifiques des sciences de la Terre qui couvrent d’autres domaines que la volcanologie, est « Les volcans émettent-ils plus de CO2 que les activités humaines ? » Les résultats de cette étude soulignent sans équivoque que la réponse à cette question est « non » : les émissions anthropiques de CO2 surpassent largement celles issues des volcans” a déclaré Terrance Gerlach.

Nos activités émettent 140 fois plus de CO2 que les volcans !

Pour arriver à cette conclusion, le chercheur a travaillé sur cinq études publiées (dans des revues scientifiques) qui évaluent les émissions planétaires de CO2 provenant des volcans. Celles-ci sont estimées entre 100 millions et 500 millions de tonnes de CO2 par an. Terrance Gerlach a donc choisi d’utiliser le nombre de 250 millions de tonnes de CO2 par an pour réaliser ses comparaisons. Or, les émissions anthropiques (dont l’origine est humaine) de CO2 étaient de 35 milliards de tonnes (ou gigatonnes) en 2010 : c’est 140 fois plus !

L’exemple du volcan Eyjafjöll (Islande)

Au plus fort de son activité récente (avril 2010), le volcan islandais a émis entre 150 000 et 300 000 tonnes de CO2 par jour, selon des estimations de Colin Macpherson, géologue à l’université de Durham en Angleterre. Toutefois, “la quantité de CO2 émise par les volcans en général, et celui-là en particulier, est négligeable” a souligné le vulcanologue Patrick Allard, de l’Institut physique du globe de Paris. En effet, en 2010, la Chine, premier pays en terme d’émissions de CO2, relâchait déjà près de 21 millions de tonnes de CO2 par jour, soit l’équivalent d’environ 100 éruptions explosives de l’Eyjafjöll en même temps !

Nos émissions de gaz à effet de serre encore plus fortes que les supervolcans

Les calculs de Gerlach suggèrent que nos émissions actuelles de CO2 pendant une année dépasseraient même celles liées à l’éruption d’un ou plusieurs supervolcans par an. Or, ces éruptions massives, souvent à l’origine de crises biologiques majeures, sont extrêmement rares avec des périodes de retour de 100 000 à 200 000 ans.

Heureusement pour nos civilisations, l’Homme moderne n’a encore connu aucune éruption massive. L’exemple le plus récent est l’éruption de Toba il y a 74 000 ans en Indonésie et l’éruption de la caldeira de Yellowstone, aux Etats-Unis, il y a deux millions d’années. D’ailleurs, les récentes déformations topologiques du supervolcan de Yellowstone indiquent qu’une éruption massive pourrait bien se reproduire.

Comme dans tous les domaines de la recherche scientifique, les efforts doivent être maintenus afin de réduire encore les incertitudes sur les rejets liés aux dorsales médio-océaniques, aux arcs volcaniques, et aux volcans de type points chauds. Cependant, il existe un consensus scientifique certain sur la quantité bien plus faible des rejets de CO2 issus des volcans par rapport à ceux que nous émettons massivement.

Nos émissions de gaz à effet de serre encore plus fortes que les mouvement des roches magmatiques

Si les éruptions volcaniques ne rivalisent pas avec nos activités polluantes, les émissions de gaz à effet de serre libérées directement par le mouvement des roches volcaniques sont capables d’engendrer un réchauffement climatique massif selon une étude dirigée par l’Université de Birmingham et publiée début décembre 2019.

Pour arriver à cette conclusion, ils ont calculé les émissions de carbone engendrées par la province ignée nord-atlantique (acronyme NAIP en anglais) qui couvre la Grande-Bretagne, l’Irlande, la Norvège et le Groenland.

Les provinces ignées ou provinces magmatiques sont des accumulations extrêmement importantes de roches ignées (ou magmatiques) qui se forment quand un magma se refroidit et se solidifie, lorsque le magma se déplace de la croûte vers la surface terrestre.

Les géologues de l’Université de Birmingham ont créé le premier modèle mécanique des changements d’émissions de carbone pendant le Maximum thermique du passage Paléocène-Éocène (PETM) – un réchauffement de 100 000 ans il y a environ 55 millions d’années.

D’après les résultats de ce modèle et ces calculs, la libération de 0,3 à 1,1 gigatonne de carbone par an sous forme de gaz à effet de serre dans le système océan-atmosphère a augmenté la température de l’atmosphère terrestre de 4 à 5 °C en moins de 20 000 ans – une période relativement courte.

Dr Stephen Jones, maître de conférences en systèmes terrestres à l’Université de Birmingham, a commenté : “Les grandes provinces ignées sont liées aux pics de changement du climat mondial, des écosystèmes et du cycle du carbone tout au long du Mésozoïque – coïncidant avec les extinctions de masse les plus dévastatrices et le fort appauvrissement des océans en oxygène“.

Le Maximum thermique du passage Paléocène-Éocène est le plus grand événement de changement climatique naturel au Cénozoïque (65 millions d’années jusqu’à aujourd’hui) et donc un témoin important pour évaluer l’augmentation à long terme de la température moyenne de l’atmosphère terrestre à cause des activités humaines.

A ce titre, soulignons que les émissions mondiales de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles et de l’industrie ont atteint plus de 10 gigatonnes de carbone en 2019 (Global Carbon Project), c’est encore 10 à 30 fois plus que les mouvements des roches magmatiques lors du PETM…

Mais nos émissions ne sont pas comparables aux crises majeures

Il y a 252 millions d’années, la Terre connaissait sa plus grave extinction massive : la vie marine était dévastée ainsi que 3/4 de la vie terrestre. De plus en plus d’éléments concordants estiment qu’un volcanisme majeur a entraîné un effet de serre insoutenable.

Heureusement, les “anciennes éruptions volcaniques de ce type ne sont pas directement comparables aux émissions de carbone anthropiques, et en fait, toutes les réserves de combustibles fossiles modernes sont bien trop insuffisantes pour libérer autant de CO2 sur des centaines d’années, et encore moins sur des milliers d’années qu’il y a 252 millions d’années. Mais il est étonnant que le taux d’émission de CO2 de l’humanité soit actuellement quatorze fois plus élevé que le taux d’émission annuel de l’époque qui a marqué la plus grande catastrophe biologique de l’histoire de la Terre“, précise Hana Jurikova, auteur principale d’une étude publiée en octobre 2020 dans Nature Geoscience.

A contrario, le réchauffement climatique pourrait augmenter l’activité volcanique

Si les émissions volcaniques ne rivalisent pas celles de nos sociétés, le réchauffement climatique d’origine anthropique est probablement un facteur d’augmentation de l’activité volcanique selon une étude publiée en 2018 dans le journal Geology.

Le lien ne semble pas évident et pourtant : la fonte des glaciers diminue la pression qu’ils exercent sur la croûte terrestre, entraînant un rebond isostasique ou post-glaciaire, c’est à dire le rehaussement de la croûte ainsi libérée.

Ce phénomène a un impact sur le flot et la quantité de magma sous-jacent qui peut ainsi remonter vers la surface à la faveur des nouveaux espaces disponibles.

Pour étayer cette hypothèse, les chercheurs ont constaté que le nombre d’éruptions en Islande il y a 5000 ans avait chuté de manière significative avec le refroidissement du climat et l’augmentation de la couverture de glace. De plus, les éruptions restantes avaient tendance à être moins fortes.
Les scientifiques ont découvert un décalage d’environ 600 ans entre l’avancée des glaciers et la diminution de l’activité volcanique.

À l’inverse, l’équipe a constaté que plus le climat se réchauffait et que les glaciers fondaient, plus il y avait d’éruptions volcaniques. Le décalage temporel existait aussi mais il était plus court.

Cette étude peut être transposée à la situation actuelle en Islande où tous les glaciers de l’île devraient avoir disparu d’ici 200 ans. La fonte actuelle pourrait tout à fait favoriser la remontée du magma et donc les éruptions volcaniques dont on connaît les conséquences sur l’Europe, comme l’illustre l’éruption du volcan Eyjafjöll en avril 2010.


Références
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