Le plan Chlordécone qui a vu le jour en 2008 est un des aspects de la prise en compte par l’Etat de la crise économique et sanitaire générée par la pollution massive des terres au pesticide.

 

Le premier plan Chlordécone 1 d’une durée de 2 ans (2008-2010), s’il a permis d’opérer d’énormes progrès dans la connaissance des mécanismes et des conséquences de la pollution a montré ses limites et devait tout naturellement être parachevé et complété notamment dans la recherche de solution de dépollution, dans la prise en compte de l’extension de la pollution aux milieux marins et aquatiques et aussi dans la prise en charge des incidences sanitaires.

Cette nouvelle version tient en partie compte des remarques faites en Forum en septembre et octobre 2010 et en GREPHY au mois de décembre 2010. Le plan chlordécone 2 comprend en gros les mêmes grands axes que le précédent à savoir le renforcement de la connaissance des milieux, la réduction de l’exposition des populations, l’information des populations, tous sujets nécessitant un complément de temps et de recherche.

Si on peut déplorer l’absence de certaines propositions des partenaires locaux en matière sanitaire et économique, plusieurs suggestions faites au FORUM et au CROS GREPHY ont été validées et intégrées au plan 2 comme l’augmentation des moyens offerts aux Laboratoires d’analyses locaux.

Il y a des avancées nettes qu’il faut saluer notamment l’effort considérable pour contrôler la situation agricole.

Certes ce plan chlordécone 2 est mis en œuvre avant la fin de l’évaluation du précédent mais cette évaluation risquait de demander encore des mois et ce deuxième plan n’apporte pas de changement majeur de cap.

On note l’engagement de l’Etat dans la gestion de la crise avec l’implication de six Ministères, deux Secrétariat d’Etat sous la coordination d’un Délégué interministériel en la personne du Directeur général de la Santé, relayé localement par un délégué régional.

 

Des avancées nettes sur le plan agronomique.

Sur le plan agricole le plan chlordécone 1 qui avait des objectifs ciblés a bien avancé en 2 ans. Il y a eu un travail considérable de réalisé dont il faut saluer la qualité. L’aspect le plus perceptible est le point un du plan chlordécone 1 à savoir le renforcement de la connaissance des milieux.

Ce travail sur la recherche agronomique mené par l’INRA a été capital pour dégager des repères de transfert de la molécule du sol vers les plantes et proposer des solutions aux planteurs selon le produit planté.

Cela a permis d’orienter la population dans le choix d’aliments potentiellement à risque de concentration importante de pesticide alors que jusqu’ici la méfiance se développait vis-à-vis de tous les produits de la terre.

Il a notamment permis de mieux connaître la biologie de la chlordécone dans les sols et son développement en fonction des cultures ; d’avoir une idée approximative puisqu’extrapolée de l’importance de la contamination des sols donc potentiellement des populations exposées, soit à des taux faibles, soit à des taux importants ou très importants de pesticide afin d’élaborer un dispositif de réduction de cette exposition.

Tout ceci permettra au fil des ans à condition que tous se sentent concernés ce qui n’est pas le cas d’assurer une alimentation saine et de gérer les milieux contaminés.

Par conséquent la réduction de l’exposition devrait être de mieux en mieux assurée du fait de l’élimination des aliments très contaminés et la réduction dans la consommation de ceux qui gardent des traces de pesticides.

Le plan chlordécone 2 va pousser plus loin la recherche et surtout l’étendre en l’intensifiant à l’élevage qui avait mis de côté dans le plan précédent alors que la réalité de la bioconcentration était soulignée ; recherche étendue à la pêche, les eaux souterraines et marines récoltant de plus en plus les déchets de pesticides.

Le plan 2 prévoit d’encourager la recherche sur l’impact de la chlordécone sur les écosystèmes notamment les communautés coralliennes.

Il prévoit également dans le cadre de la recherche de décontamination des sols non pas uniquement les solutions chimiques ou physiques ou microbiologiques mais aussi la phytoremédiation et la phytoimmobilisation,

 

Un point qui pourrait être amélioré

Le peu de sollicitation des professionnels de l ‘agriculture de terrain, les planteurs, dans ce vaste chantier de recherche. L’expertise locale n’est pas valorisée alors même qu’il s e pourrait que ces agriculteurs concernés au plus haut chef aient des suggestions à faire sur cette phyto remédiation ou sur des solutions alternatives. L’agriculteur faisant corps avec la terre la connaît mieux que quiconque.

On peut déplorer également que les situations économiques des agriculteurs ne soient pas prises en compte sous forme d’indemnisation mais seulement d’accompagnement à la reconversion.

 

Sur le plan sanitaire les avancées sont nettement moins perceptibles.

Curieusement, les professionnels de la santé participants es- qualité, au Forum (Conseil de l’Ordre des médecins, Union Régionale des Médecins Libéraux) n’apparaissent pas aux côtés des « Professionnels » de l’agriculture, de la pêche ou des chercheurs » mais dans le groupe des « associations » c’est dire de la société civile. Alors même que l’enjeu majeur de cette contamination est bien l’alimentation humaine donc la santé des humains comme l’indiquent les points 2 et 3 du plan chlordécone 1 repris par le plan chlordécone 2.

« Réduire l’exposition et mieux connaître les effets sur la santé et Assurer une alimentation saine et gérer les milieux contaminés. »

Le plan 1 prévoyait des actions qui ont été mis en place comme le registre des malformations génitales, la recherche épidémiologique sur le cancer de la prostate, la définition des doses minimales admissibles de chlordécone dans les aliments, les conséquences sur le développement neurocomportemental des enfants de la contamination in utero, la réduction de l’exposition alimentaire des populations (Plan JAFA°).

Seule l’Etude TIMOUN est encore attendue pour un an ou deux et c’est bien dommage car elle aurait éclairé sur la conduite à tenir en matière d’allaitement maternel si le lait maternel est contaminé.

On sait désormais qu’il y a un lien certain entre l’exposition de longue durée (une trentaine d’année ce qui est le cas actuellement aux Antilles puisque l’utilisation s’est étendue de 1972 à 1992) et l’apparition d’un cancer de la prostate. On sait également que 80 % de la population guadeloupéenne a un taux positif de chlordécone dans le sang ce qui doit être dans la même proportion en Martinique.

Ces deux informations importantes pourraient permettre au nom du principe de précaution de prendre des décisions plus immédiates au lieu d’attendre encore comme cela est prévu dans le plan chlordécone2 de « poursuivre et renforcer les recherches toxicologiques et épidémiologiques » ce qui suppose une infrastructure adéquate aux Antilles. On complique encore par une recherche d’approche spatialisée du risque et une hiérarchisation des solutions. La surface de la Martinique n’est que de 1 100 km carré et les grands réservoirs d’eau se trouvent dans le Nord à proximité des zones polluées. Le risque est donc généralisé à la Martinique entière à peu de choses près en tous cas quand les résultats parviendront il se sera généralisé. !!!

On peut déplorer que les recommandations du Conseil scientifique n’aient pas été suffisamment reprises par le plan chlordécone 2 à savoir « le suivi à long terme de l’état de santé des populations surtout des enfants qui selon lui revêt une importance particulière notamment dans la recherche du lien entre pesticides et diabète ou obésité deux pathologies en plein essor en Martinique. La question du dépistage systématique du cancer de la prostate est soumise à la Haute autorité de santé alors qu’elle est sollicitée par des cancérologues oeuvrant en Martinique et des médecins antillais.

La question des autres cancers dont l’augmentation exponentielle est aussi grave que celle de la prostate (sein, colorectal, myélome) n’a pas été envisagée. Pas d’avancée non plus sur la question du Laboratoire de dosage biologique de la chlordécone dans les matrices tissulaires (sang, organes, graisse) qui permettrait d’avancer bien plus vite dans la connaissance des effets sanitaires chroniques.

L’Etude MADIPROSTATE prévue semble totalement inutile si on dispose d’un budget limité comme cela a été souligné au CROS GREPHY. Elle n’apportera que peu d’éléments complémentaires à KAUPROSTATE pour un délai et un budget conséquent.

Un investissement dans le Laboratoire aurait été plus judicieux.

Un point positif la mise en place d’une surveillance médicale des ouvriers agricoles actifs ou retraités.

Autre question restée sans réponse celle des doses minimales admissibles LMR (limite maximale de résidu) définies par l’AFFSSA qui pose un problème de fonds cette fois à savoir la notion « d’admissibilité » de tolérance dans l’alimentation de substances toxiques, cancérogènes et cumulatives dont l’élimination définitive de l’organisme est illusoire. Cette question est tout à la fois éthique et médicale. Bien que soulevée à plusieurs reprises par les médecins de l’URML aux Forum elle n’a jamais été prise en compte. Nous continuons à réclamer des produits agricoles sans chlordécone (tolérance zéro pour les organochorés dits CMR Cancérigènes Mutagènes et Reprotoxiques) et la mise à disposition des consommateurs de produits Labellisés cultivés sur les 40 % de terres indemnes de contamination ou sur les terres contaminées si la preuve est faite de l’absence de transfert sol–plante.

II avait semblé aux médecins participant à la concertation important que l’expertise des médecins de proximité pourrait être sollicitée pour le repérage, le dépistage et la prise en charge des pathologies liées à une intoxication maintenant chronique aux pesticides sur laquelle la communauté scientifique internationale est peu documentée. Cette suggestion n’a pas été retenue alors qu’elle nous semble pragmatique et peu onéreuse.

 

La question économique

Absente des préoccupations du plan chlordécone 1 elle apparait fort heureusement dans le plan chlordécone 2.

La situation catastrophique des agriculteurs dont la terre est polluée alors même qu’ils n’ont pas utilisé de chlordécone mais se trouvent sur un bassin versant.

La situation non moins catastrophique des éleveurs, des marins pécheurs et de ceux qui pratiquent l’élevage d’écrevisses en eau douce qui récupèrent une pollution qu’ils n’ont pas générée.

Le plan 2 expose leur situation et fait des recommandations. mais avec quel budget les indemnisera-t-on ? Là encore on ne peut que déplorer la répartition des fonds et la part laissée à la recherche sur les prises en charge immédiates.

 

L’information. La communication

– Comment gérer les zones contaminées et assurer l’information de la population.

Un point positif parmi toutes les revendications présentées lors des Forum : l’obligation légale (loi du 12 juillet 2010) pour les propriétaires d’informer les locataires ou les acheteurs de la situation de leur terre eu égard à la contamination par la chlordécone.

 

La note d’humour

Elaborer une stratégie de « développement durable de la qualité de la vie » dans le contexte de la pollution à la chlordécone.

Un développement de qualité de vie avec un toxique cancérigène !!! Sans commentaire.

C’est le même humour qui fait dire qu’il faut « apprendre à vivre avec la chlordécone. »

Alors que les agriculteurs les pêcheurs sont déprimés devant l’abandon de leur culture, la culpabilisation qui retombe sur eux, une reconversion difficile à envisager à 50-60 ans, la misère et l’absence de perspective dans un pays qui compte 30 % de chômeurs, les pollueurs ministres ou autres n’ont pas d’état d’âme.

 

Conclusion

La balle est désormais dans le camp de chacun de nous agriculteur professionnel de santé, groupement phytosanitaire, chambre d’agriculture, médecine du travail, usager, pour mettre en œuvre avec des budgets réduits les actions prévues dans ce plan.

Dr J. JOSPELAGE.

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