L’entrée de l’école primaire Dianne Feinstein, qui devrait être rebaptisée prochainement, à San Francisco, en décembre 2020. JEFF CHIU / AP
Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)

LETTRE DE SAN FRANCISCO

Le conseil des écoles de San Francisco a décidé, mardi 26 janvier, de débaptiser quarante-quatre établissements qui portaient des noms illustres mais désormais sujets à controverse : George Washington, Thomas Jefferson, James Madison et même Abraham Lincoln.

Un tiers des écoles de la ville vont changer de nom. Parmi les bannis : les pères fondateurs de la République qui possédaient des esclaves, les conquistadors ou missionnaires espagnols, les oppresseurs et racistes de tout poil. Mais aussi des figures contemporaines comme la vénérable sénatrice démocrate Dianne Feinstein, maire de San Francisco de 1978 à 1988. « On ne devrait pas donner des noms de personnalités aux écoles, a résumé le conseiller Kevine Boggess. C’est faire des héros de simples mortels. Il faut que la manière dont nous décidons des noms de nos écoles reflète nos véritables valeurs. » 

Le school board avait décidé de créer une commission sur la question à l’été 2017 après le défilé de suprémacistes blancs armés à Charlottesville (Virginie) furieux du déboulonnage de la statue du général sudiste Robert Lee.

Le panel était composé de douze personnes, éducateurs, élèves, parents, mais aucun historien : « Surtout pas, a expliqué son président. Les faits historiques sont bien connus et établis. » Le groupe de travail a recommandé d’éliminer toute référence à des personnalités ayant : « pratiqué l’esclavage, opprimé les femmes, fait obstacle au progrès social, mené des actions ayant conduit au génocide », ou attenté « de manière significative » au droit de chacun « à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur » – une formule de Thomas Jefferson, soit dit en passant, contenue dans la Déclaration d’indépendance. Par six voix contre une, le bureau a entériné la purge.

Robert L. Stevenson, Thomas Edison

Outre les premier, troisième et quatrième présidents américains, le missionnaire Junipero Serra, canonisé en 2015 par le pape à l’indignation des populations indigènes, a été éliminé. Abraham Lincoln, universellement vénéré jusque-là comme un monument de rectitude, a été reconnu coupable d’avoir autorisé l’exécution de trente-huit Amérindiens condamnés à mort par un tribunal militaire pour avoir attaqué des colons dans le Minnesota en 1862. Thomas Edison, d’avoir un penchant pour l’électrocution des animaux, dont fut victime le pachyderme Topsy, « un éléphant de cirque très populaire à l’époque »,selon le dossier de la commission éducative.

Dianne Feinstein occupait la mairie de la ville en 1984 quand des militants antiracistes avaient arraché un drapeau confédéré, qui se trouvait devant le bâtiment depuis vingt ans. L’étendard avait été remis en place par le service des parcs et jardins, mais arraché de nouveau. L’édile l’avait finalement fait remiser. Mais « malheureusement », son cas est tombé sous le coup des critères établis par la commission, a précisé la présidente du bureau, Gabriela Lopez.

Dans plusieurs cas, les familles elles-mêmes avaient demandé le changement depuis des années, comme à la James Denman Middle School, nommée en l’honneur d’un superintendant du district scolaire, mort en 1909, qui s’était opposé à l’intégration des enfants d’origine chinoise.

La discussion, qui a duré sept heures au conseil des écoles, a été assidûment suivie sur Internet. Dans l’un des cas, le comité n’était pas trop sûr : le collège Roosevelt était-il nommé en hommage à Théodore, le président (1901-1909) naturaliste et grand chasseur, ou à Franklin (1933-1945), le héros des années de guerre et du New Deal ? Dans le doute, il a voté pour supprimer les deux : Teddy, pour s’être opposé au vote des Noirs ; Franklin pour l’internement de 130 000 Japonais et Américains d’origine japonaise en 1942.

A l’entrée de l’école Roosevelt Middle School, à San Francisco, le 27 janvier.
A l’entrée de l’école Roosevelt Middle School, à San Francisco, le 27 janvier. HAVEN DALEY / AP

Egalement mis à l’index : l’écrivain Robert Louis Stevenson et le poète pourtant abolitionniste James Lowell, pour des écrits jugés racistes. « Ce n’est pas seulement symbolique, a plaidé Mark Sanchez, un membre du conseil. C’est un message moral. »

Discussion « absurde »

La maire de San Francisco, London Breed, comme nombre de parents, a estimé que la discussion n’était pas la priorité du moment. « Une fois que nous aurons rouvert les écoles, nous pourrons parler plus longuement de la nomenclature », a-t-elle réagi, tout en soulignant que, pour avoir elle-même étudié dans une école rebaptisée du nom de la pionnière des droits civiques Rosa Parks, elle comprenait l’importance pour les élèves d’être fiers de leur établissement.

Moins diplomate, l’auteur et ancien cadre de Facebook Antonio Garcia Martinez a jugé « absurde » et « digne de l’Union soviétique » que le bureau scolaire ait passé des heures en palabres alors qu’il n’a même pas encore présenté un plan pour rouvrir les classes aux 52 000 élèves qui n’y ont pas mis le pied depuis près d’un an.

Les changements vont coûter 10 000 dollars (8 240 euros) par école. Il va falloir repeindre les salles de sport, changer les uniformes, les diplômes. Les familles et le personnel de chaque établissement ont jusqu’à la mi-avril pour proposer un nouveau nom qui sera examiné par le conseil. Parmi les propositions : Obama (Barack et Michelle), Maya Angelou, Ohlone (la tribu indienne de San Francisco) et même Roosevelt – mais pour Eleanor, l’épouse de Franklin et militante des droits de l’homme.

Certains ont estimé que, à ce stade du débat public, « Lycée Mickey Mouse » conviendrait très bien, ou « Politically Correct High ». D’autres encore ont suggéré des lettres et des chiffres comme à New York : PS 1, PS 2, PS 3, pour « public school » 1, 2, 3.. Pourquoi ne pas rebaptiser les écoles à l’image de ce qui reste actuellement de l’enseignement, a désespéré un parent : « Zoom school 1 », « Zoom school 2 »

Retrouvez ici toutes les lettres de nos correspondants.

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