La grande concertation avec les professions soignantes s’ouvre ce lundi 25 mai au ministère de la Santé. Elle a un mois et demi pour remodeler l’hôpital public.

C’est un moment plus qu’attendu, peut-être l’une des étapes importantes du quinquennat d’Emmanuel Macron, qui s’ouvre ce lundi 25 mai. Le « Ségur de la santé » (nommé ainsi parce que trop de Grenelle tue les Grenelle, et que le ministère de la Santé est situé au 8, avenue de Ségur) entend mettre à la table d’Olivier Véran les professions de santé, principalement hospitalières.

Après deux mois où les soignants français, jusque-là en butte à l’austérité budgétaire, à l’administration asphyxiante et à l’indifférence de l’exécutif, ont fait figure de super-héros, l’heure de vérité est venue. Mais le ministère Véran sera-t-il capable d’inverser le naufrage de la fonction publique hospitalière, entamé depuis deux décennies ? On le saura à la mi-juillet, date à laquelle cette grande concertation devrait prendre fin.

1. Revalorisation des salaires et des carrières

Les applaudissements à 20 heures, c’est bien… Mais l’estime que l’exécutif affirme porter aux professions de santé doit passer par du sonnant et trébuchant, proclament les syndicats. Le ministre de la Santé Olivier Véran a promis que les salaires des infirmiers rejoindraient « au moins la moyenne européenne ». Message reçu cinq sur cinq par le Syndicat national des Professions infirmières (SNPI), affilié à la CFE-CGC, qui a sorti sa calculette. « Nous réclamons 300 euros mensuels pour les 200 000 infirmiers hospitaliers de notre pays, quel que soit leur grade, quelle que soit leur ancienneté », annonce Thierry Amouroux, son porte-parole.

La demande paraît importante (elle représente 720 millions d’euros par an), mais elle n’est pas excessive au regard du fossé entre les salaires du personnel soignant français et ceux de leurs collègues des autres pays industrialisés. Selon l’OCDE, les infirmiers français d’échelon supérieur touchent ainsi 39 000 euros annuels, loin derrière les Etats-Unis, l’Allemagne ou la Suisse, loin même de la moyenne de l’OCDE (45 000 euros).

Les médecins ne sont pas en reste : « Il nous paraîtrait normal d’augmenter de 20 à 30 % les salaires des médecins à l’hôpital, soit en modifiant le point d’indice, soit en ajoutant un échelon », expose Norbert Skurnik, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), qui regroupe les principaux syndicats des médecins hospitaliers.

Cette revalorisation pourrait permettre à l’hôpital public de limiter l’hémorragie de personnel vers le privé ou vers d’autres secteurs (même si les chiffres officiels n’existent pas en la matière) et, surtout, de développer son attractivité. L’année dernière, selon la Fédération hospitalière de France, près de 30 % des postes de médecins à l’hôpital n’ont pas été pourvus !

2. Assouplissement des 35 heures

On sait combien la réforme des 35 heures a été facteur de chaos pour l’hôpital français. Dans une interview au « JDD », Olivier Véran dit vouloir « créer un cadre beaucoup plus souple pour permettre à ceux qui le souhaitent » de multiplier les heures supplémentaires, aujourd’hui strictement plafonnées. Le ministre a beau promettre qu’« il ne s’agit pas d’obliger les gens à travailler davantage », les syndicats se montrent méfiants : « Nous ne souhaitons pas de cet assouplissement, tranche Thierry Amouroux. Quand vous travaillez trop, vous travaillez moins bien. Il faut surtout créer plus de postes pour que chacun puisse poser tous les jours de repos auquel il a droit, ce que bien souvent, il ne fait pas. » Le SNPI réclame 10 % de personnel en plus, c’est-à-dire la création de 20 000 postes.

3. Rééquilibrage des pouvoirs en faveur des soignants

A l’hôpital, le mot de « gouvernance » en cache un autre, beaucoup plus cash : « répartition des pouvoirs ». Depuis au moins deux décennies, ce pouvoir a lentement échappé aux médecins hospitaliers pour atterrir entre les mains d’une administration jugée rigide et coupée des réalités de terrain.

Les « exploits » du corps médical durant la crise du Covid, couplés aux reproches adressés à certaines Agences régionales de Santé (ARS, ces bras armés de l’administration qui ont montré une approche technocratique plutôt malvenue), pourraient renverser la vapeur.

« Il est absolument impératif qu’à l’hôpital, les médecins soient de nouveau à la barre, résume Norbert Skurnik. Nous ne demandons pas qu’ils soient nommés directeurs et, bien sûr, l’administration doit continuer à exercer un rôle de contrôle. Mais il faut que le pouvoir revienne aux élus de la commission médicale d’établissement », l’assemblée qui représente les médecins. Pour lui, « il faut que les médecins président toutes les structures de décision, sauf le conseil de surveillance. L’administration ne doit plus disposer du pouvoir de nomination, ni de véto. »

Thierry Amouroux, du SNPI, réclame, lui, carrément « l’abolition immédiate des ARS ». Et préconise que les questions sanitaires au niveau régional soient désormais confiées à « un adjoint élu du président du conseil régional, en charge de la santé ». Un politique plutôt qu’un administratif, en somme. Il pourrait moduler ses décisions selon les réalités de terrain, plutôt que d’« obéir comme des super préfets aux ordres de l’Etat », dixit Norbert Skurnik.

4. Réforme des investissements de l’Etat

Le ministère Véran entend mettre en œuvre la « révision de la doctrine capacitaire ». En clair, revenir sur la politique de fermetures des lits, qui a été le leitmotiv de tous les gouvernements depuis le début des années 2000. Selon la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (Drees), ce sont ainsi près de 17 500 lits de nuit qui ont été fermés entre 2013 et 2019, dont 80 % à l’hôpital public. « Nous demandons simplement que les capacités d’accueil à l’hôpital soient dignes d’une sixième puissance mondiale », résume Thierry Amouroux, du SNPI. Lui réclame donc la réouverture de 20 000 lits, ce qui porterait le total à 420 000 lits sur le territoire national.

Mais ces réouvertures dépendent des nouveaux moyens qui seront consacrés à l’hôpital. Olivier Véran promet des « investissements au service de la réponse aux besoins de la population, sur une base territoriale », plutôt qu’une distribution standardisée de fonds. Pour Thierry Amouroux, c’est une bonne idée, mais qui ne doit pas cacher l’essentiel : « L’enveloppe budgétaire allouée chaque année par le gouvernement [dans la loi de financement de la Sécurité sociale] n’est pas assez importante pour les besoins des hôpitaux. En 2020, l’objectif de progression des dépenses d’assurance-maladie était ainsi fixé à +2,3 % par rapport à l’année précédente, alors que les besoins étaient, eux, du double. »

5. Fin de la tarification à l’activité

Pour le personnel soignant, la tarification à l’activité (ou T2A) est le symbole de tout ce qui dysfonctionne à l’hôpital. Lancée en 2004 par le ministre Philippe Douste-Blazy, elle repose sur un principe : ce sont les recettes des actes réalisés à l’hôpital qui déterminent les dotations versées par l’Etat et non le contraire. Or certains rapportent et d’autres pas. Ce qui a pu encourager les hôpitaux, publics ou privés, à multiplier certains actes techniques (par exemple les scanners et les IRM) au détriment du rôle d’« accompagnement » exercé par le personnel soignant. Et cette approche a été perçue comme inadaptée aux besoins réels rencontrés à l’hôpital.

A la place de la T2A, Olivier Véran promet donc une « tarification par population ». Ce qui suppose donc de conserver une tarification à l’acte dans certains cas (les opérations chirurgicales programmées, par exemple), mais pas dans d’autres. « Il n’existe pas d’outil magique, reconnaît Thierry Amouroux, du SNPI. Mais le bon sens enjoint d’exclure du champ de la T2A les maladies chroniques », comme le diabète, les cancers, les maladies cardiovasculaires ou psychiatriques. Ces pathologies, qui touchent environ 15 millions de Français (et ne cessent d’augmenter, en partie à cause du vieillissement de la population), nécessitent des soins réguliers sur des années et un suivi qui ne « cadrent » pas avec le fonctionnement de la T2A. Elles creusent en outre le déficit de l’assurance-maladie.

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version