La Seine a déjà perdu une partie de ses grands poissons à cause de la bétonnisation, elle pourrait perdre plus encore avec la pollution

Anne Hidalgo n’avait pas encore visionné le film Sous la Seine, sorti ce mercredi sur Netflix, avant d’annoncer sa baignade du 23 juin prochain dans le fleuve qui traverse Paris. Sinon l’effet Dents de la mer (que beaucoup d’enfants des années 1970 et 1980 connaissent bien) aurait peut-être refroidi la maire de Paris.


SOURCE : 20minutes.fr – Ecrit par Romarik Le Dourneuf – Photo de couverture : « Sous la Seine » de Xavier Gens, diffusé sur Netflix, avec un requin mangeur d’hommes ayant élu domicile à Paris. - Netflix France


Dans Sous la Seine, des athlètes sont aux prises avec un terrifiant requin, « subtil » clin d’œil aux épreuves – triathlon et nage en eau libre – qui se déroulent sur et dans la Seine pendant les JO de Paris 2024. Si les chances de croiser un grand requin mangeur d’homme sont quasi-nulles (les requins ne remontent pas les fleuves), les nageurs pourront croiser de nombreuses autres espèces dans les eaux de Paris.

Crocodile, piranha, python

Certes, voir un crocodile faire la course avec les meilleurs triathlètes offrirait l’une des plus belles images de l’histoire des Jeux olympiques. Pourtant, comme lui, la plupart des animaux insolites repérés dans le fleuve y ont été amenés, sans doute abandonnés, par les hommes sans pouvoir s’y installer. C’est le cas de la fameuse femelle crocodile du Nil en 1974, d’une tortue alligator en 2009, d’un python de trois mètres en 2012 ou encore d’un cousin du Piranha, le pacu, en 2013.

Toutes les découvertes surprenantes faites dans la Seine ne sont pas le fait de l’homme. En 2022, un béluga était aperçu à 70 kilomètres de Paris. Une présence exceptionnelle qui s’était mal terminée pour l’animal malgré la mise en place d’un dispositif de secours. Selon Eric Feunteun, professeur en écologie des milieux aquatiques du Museum nationale d’histoire naturelle (MNHN), interrogé par 20 Minutes, l’animal « malade » était probablement désorienté. Un phénomène qui pourrait se multiplier avec la dégradation des océans causés par le réchauffement climatique.

Si dans la même année, une orque et un rorqual avaient été aperçus dans l’embouchure de la Seine, en Normandie, ces deux individus ne se sont jamais approchés de Paris.

Barrages et écluses verrouillent Paris

Pourtant, jusqu’au XIXe siècle, la Seine a bien abrité des cétacés. Mais la raréfaction progressive de leur nourriture, des poissons de plus petite taille (notamment en raison de la pollution), les a fait disparaître du paysage fluvial parisien. Toutefois, des espèces le réinvestissent. « On dispose d’une population grandissante de phoques communs dans l’estuaire de la Seine. À l’image des dauphins, ils bénéficient d’une certaine protection », explique Eric Feunteun.

De quoi espérer voir un jour des cétacés autour de Notre-Dame de Paris ? Hélas non. Outre la difficulté qu’auront ces espèces à trouver de quoi s’alimenter, elles se heurteraient surtout aux nombreux barrages et écluses qui jonchent la Seine autour de la capitale.

C’est la même raison qui provoque la quasi-disparition de nombreux autres gros poissons qui foisonnaient dans le fleuve il y a encore une centaine d’années. « Les espèces migratrices amphihalines comme le saumon, la truite de mer, l’anguille ou l’esturgeon ont besoin de passer de la terre, le fleuve, à la mer pour accomplir leur cycle biologique. Le saumon doit remonter à la source pour aller pondre, et ensuite retourner en mer pour grandir, détaille Eric Feunteun, c’est devenu quasiment impossible aujourd’hui. Même s’il existe quelques passes à poissons, elles sont très insuffisantes. »

Le silure, seul « monstre » marin

Un phénomène amplifié par la bétonnisation de l’Île-de-France selon le spécialiste. « Il ne reste presque plus de milieu naturel pour un écosystème qui vit au rythme des pulsations du débit. À niveau haut, le fleuve doit passer au-dessus de la plaine d’inondation et donner accès à toute une alimentation pour les poissons, un lieu qui permet au brochet de se reproduire au printemps. Avec toutes les mesures anti-inondation, cet habitat essentiel disparaît et les poissons avec. »

Mais alors que pourraient croiser les athlètes pendant les JO ? Le seul véritable « monstre » marin qui peuple le fleuve reste le silure, un poisson originaire du Danube et qui peut atteindre entre 2 et 3 mètres. Arrivé dans la Seine il y a une trentaine d’années, il est le plus gros poisson d’eau douce d’Europe. « C’est un très grand prédateur. Il mange du brochet. Tous les poissons de grande taille, il en fait son affaire, et s’il venait à manquer, il peut même devenir cannibale », raconte Eric Feunteun.

Le silure est la seule espèce qui pourrait faire penser à un requin selon le spécialiste. Pas de quoi inquiétés les nageurs toutefois puisqu’il ne s’attaque pas aux humains. « Ils se fichent royalement de notre présence. J’ai plongé dans la Loire avec des spécimens, j’ai même pu les toucher, ça ne les a pas perturbés le moins du monde. »

Un requin rôde dans « Sous la Seine », diffusé sur Netflix, et dévore les triathlètes nageant dans le fleuve.
Un requin rôde dans « Sous la Seine », diffusé sur Netflix, et dévore les triathlètes nageant dans le fleuve. - Copyright Sofie Gheysens/Netflix / Copyright Sofie Gheysens/Netflix

Les rats sont d’excellents nageurs

En revanche, en cas de disette, le silure peut très bien s’attaquer aux pigeons ou aux rats. Ces derniers représentent d’ailleurs la plus grande menace pour les athlètes. Excellents nageurs, les rats musqués, rats d’égouts ou ragondins parcourent facilement la Seine. Mais plus que leur morsure, les sportifs peuvent craindre leur urine, susceptible de transporter et transmettre des maladies comme la leptospirose.

Peu de chance de voir Anne Hidalgo se faire dévorer donc le 23 juin. Au contraire, selon Eric Feunteun, le pire est ailleurs. S’il salue les efforts déployés sur la qualité de l’eau de la Seine, le travail reste grand selon l’expert. « Il y a moins de bactéries, certes. Mais on oublie la pollution chimique », lance-t-il en nommant d’abord les résidus de pétrole qui s’accumulent sur la route et sont déversés par les pluies dans le fleuve.

Mais aussi et surtout l’autre grande menace pour la faune fluviale. Pour l’expliquer, Eric Feunteun paraphrase son collègue de l’université du Havre, Christophe Minier : « Dans la Seine, les poissons n’ont jamais mal à la tête, n’ont jamais de problèmes cardiaques, ne sont surtout pas déprimés, mais ils ne peuvent plus se reproduire. »

En effet, les niveaux de paracétamol, d’aspirine, d’œstrogènes mais aussi de tous les perturbateurs endocriniens constatés dans l’eau du fleuve perturbent les cycles hormonaux des poissons qui peinent de plus en plus à se reproduire. En y ajoutant les pesticides rejetés en amont de la Seine, les conditions actuelles pourraient mener à la disparition de la vie dans le fleuve. Ce qui fait dire à Eric Feunteun : « Plutôt que de se préoccuper de trouver des grosses bêtes dans la Seine, on devrait plutôt s’inquiéter de ne plus y trouver de bêtes du tout. »

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