Il est émancipé à l’âge adulte et, vers l’âge de cinquante ans, il mène la plus importante révolte d’esclaves de l’histoire, forçant effectivement la France à abolir l’esclavage, en 1794. Ensuite, il a réuni les populations noires et métisses de l’île sous son commandement militaire, a déjoué trois commissaires français successifs, a vaincu les Britanniques, a vaincu les Espagnols et, en 1801 – bien qu’il ait été blessé dix-sept fois au combat et ait perdu la plupart de ses dents de devant dans l’explosion d’un boulet de canon – a rédigé une nouvelle constitution abolitionniste pour Saint-Domingue, affirmant que “ici, tous les hommes naissent, vivent et meurent libres et français”.


Napoléon Bonaparte envoie d’abord vingt mille hommes pour le renverser, en rétablissant l’esclavage dans les colonies françaises, en 1802. Louverture chargea Jean-Jacques Dessalines de mettre le feu à la capitale, “afin que ceux qui viennent nous ré-esclavagiser aient toujours sous les yeux l’image de l’enfer qu’ils méritent”. Finalement captif, Louverture est déporté en France et meurt en quelques mois dans une prison du Jura

   

En 1803, l’armée de Bonaparte est vaincue, ayant perdu plus de soldats (dont son beau-frère) à Saint-Domingue qu’il n’en perdra, douze ans plus tard, à Waterloo. L’année suivante, les révolutionnaires ont établi une nouvelle nation indépendante et libre : Haïti, la première république noire du monde.

Pour l’instant, une étudiante française typique termine ses études secondaires sans entendre

beaucoup sur tout cela. Malgré l’affirmation de Marcus Garvey selon laquelle “la brillance de Louverture en tant que

soldat et homme d’État a surpassé celle  d’un Cromwell, d’un Napoléon et de Washington”.

La conviction de Césaire selon laquelle Haïti était le lieu où “la négritude s’est levée pour la première fois et a proclamé sa foi en son humanité”, malgré le fait que Louverture – salué comme “le Spartacus noir”, héros de Frederick Douglas – incarnait les idéaux de la Révolution française puis de la Révolution haïtienne, qui a inspiré le mouvement anticolonial moderne dans le monde entier, la France ne l’a pas considéré, comme un élément indispensable de son récit national. “On le considère comme une histoire mineure, pas comme la grande histoire”, a déclaré Elisabeth Landi, professeur d’histoire à la Martinique. En 2009, une inscription honorant Louverture a été gravée sur un mur du Panthéon. L’histoire de la révolution de son pays est enseignée dans les lycées de certains territoires d’outre-mer français. Dans les lycées professionnels métropolitains, dont les élèves sont plus souvent issus de la classe ouvrière et de familles immigrées, le programme récemment mis à jour reconnaît la révolution haïtienne comme une “extension singulière” des révolutions américaine et française. Mais elle n’est pas mentionnée dans le programme du lycée général. Un futur technicien à Paris saura donc que les Noirs asservis dans une colonie française ont cherché et obtenu leur propre liberté, mais une aspirante politicienne, ayant fait tous ses devoirs au lycée, peut comprendre l’émancipation simplement comme un droit accordé en 1848, par décret de la Deuxième République.

Lauren Collins est rédactrice au New Yorker

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