Bill Gates lors d’une conférence du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, le 10 octobre 2019 à Lyon. | Ludovic Marin / AFP

Repéré sur Qu’orangé:

Cet article est publié en partenariat avec Quora, plateforme sur laquelle les internautes peuvent poser des questions et où d’autres, spécialistes du sujet, leur répondent.

La question du jour: «Quelles sont les caractéristiques communes à toutes les théories du complot?»

Du vrai et du faux

Ces théories mélangent un peu de vrai au faux pour masquer le faux. Par exemple, Bill Gates soutient des campagnes de vaccination (vrai) et en profite pour implanter des micro-puces (faux). Si, si, je vous assure, croyez-moi!

Appui sur les émotions

Elles accrochent leurs victimes sur des émotions primaires, généralement la peur. Elles mettent toutes les chances de leur côté pour rester bloquées dans le cerveau reptilien et ainsi éviter une remontée jusqu’au cortex, lequel découvrirait à coup sûr la supercherie grâce à sa sagacité légendaire.

Appui sur les biais cognitifs

Les théories du complot prennent appui sur des biais cognitifs: biais de confirmation et biais d’autorité, entres autres. Comme Gilbert, écoutez ça: «Hé, tu sais quoi??? Figure-toi que Gilles Bat a financé des vaccinations de masse en Inde. Ils ont tué 500.000 enfants et en plus ils leur implantent une micro-puce! Et tout ça avec la complicité de l’ONU, de l’OMS et des gouvernements! Tu te rends compte!… Comment?… Bien sûr que c’est vrai, c’est Gisèle qui me l’a dit et tu sais que son mari il travaille pour le ministère de la Santé… Oui, il est cuisinier, et alors? Il en entend des choses là où il est! Il est bien renseigné, ha! Et puis c’est pas pour rien qu’ils veulent pas qu’on croie à l’hémopathie, c’est bien pour nous avoir jusqu’au trognon… Hein? Quoi? Ouais, c’est ce que j’ai dit: homopathie. Mais enfin, tu vois pas que tout est lié? BigPharma, gouvernements, OMS… T’es vraiment un gros naïf!» Et Gilbert, ben finalement il y croit pour pas qu’on croie qu’il est un gros naïf. Vous me suivez?

Identification à un groupe

Ensuite ces théories, devenues croyances, s’enracinent chez leur victime, voir même fusionnent avec elle grâce à l’instinct tribal: les victimes rejoignent des groupes qui partagent leurs idées et finissent par faire partie d’une grande famille qui détient LA vérité. Ils pensent être persécutés et seuls défenseurs contre le Mal. Les victimes s’identifient elles-mêmes à ce groupe et à ses idées. Et zouuu… toute discussion rationnelle devient impossible. Remettre en question leur croyance revient à s’attaquer à qui elles sont. Elles se définissent au travers de ces idées; la défense de ces idées donne un sens à leur vie. Dites bonjour au déni et à sa sœur jumelle, la dissonance cognitive. Si on tente une discussion, on est au pire à la solde des complotistes, et au mieux une victime aveugle, naïve et stupide.


Ces théories ont (em)prise sur des gens qui:

 

  • n’ont pas appris à se renseigner et ne savent pas se renseigner;
  • ne sont pas assez intelligents pour se renseigner;
  • sont trop flemmards pour se renseigner;
  • se rensaigner? Non, mais oh! Ça va pas non? Moi je veux pas saigner…
  • ont besoin d’appartenir à un groupe et de reconnaissance;
  • sont des adeptes, parfois à l’insu de leur plein gré, de l’effet Dunning-Kruger et trop contents de participer à sa démonstration;
  • un cocktail des points ci-dessus, dans des proportions variables et libres, on est en démocratie, que diable! Enfin… c’est ce que vous croyez. Dites bonjour à la caméra!

Recyclage d’intox

Ces théories se font récupérer par ceux qui fabriquent des intox sur mesure à leur propre profit. Ils connaissent bien les cinq points ci-dessus. Ils mêlent donc leurs intox à une ou deux théories, et sont ainsi certains de trouver un terreau attentif, malléable et crédule sans aucun effort.

Ces «ils», c’est au mieux le YouTubeur du dimanche qui veut se faire quelques sous: «George Soros avec la complicité de Joe Biden finance les radeaux de migrants. Et n’oubliez pas le pouce bleu; dans la description vous trouverez un lien Tipeee pour soutenir mon action contre les grands méchants.»

Au pire, ce sont les groupes d’influence (des vrais ceux-là) qui manipulent les gens dans leurs propres intérêts. Dernièrement, j’ai vu passer sur WhatsApp une intox juste extraordinaire de débilité qui ciblait les Latinos des États-Unis pour les convaincre de voter Trump: Trump aurait stoppé le déploiement de la 5G, Trump aurait stoppé l’organisation ID2020 fondée par Bill Gates (fondation ayant pour but d’implanter des puces aux gens avec la complicité des gouvernements, l’ONU et l’OMS)… Zoli messaze agrémenté de beaucoup de zolis drapeaux zaméricains. Et qui est en fait une récupération d’une ancienne intox du mois de mai. Dans le journal Le Temps d’il y a quelques jours, on pouvait effectivement lire que beaucoup de Latinos de Floride avaient voté Trump à cause des messages véhiculés sur les réseaux sociaux. M’enfin (comme dirait Gaston), je m’égare…

Tout ça pour dire que les théories du complot ont sans doute encore beaucoup d’autres points communs, comme celui d’être non crédibles uniquement par la nécessité d’assurer la complicité et le silence de plusieurs centaines, voire de milliers de personnes; d’être souvent floues sur qui sont les «ils» et les «on» qui nous mentent et nous manipulent; d’être incapables de fournir le moindre début de preuve de leurs affirmations, etc. Ah et j’allais oublier: elles ont aussi encore de beaux jours devant elles!

Bonus pour les plus courageux

Comme le dit Étienne Klein, les résultats de la science sont connus de tous (la Terre est ronde, les vaccins protègent des maladies contagieuses…) mais pour combattre les idées fausses, il ne faudrait pas simplement enseigner le quoi, mais le comment; ne pas enseigner que le résultat, qui peut être balayé d’un revers de la main, mais le chemin qui y a mené. Cela est joliment illustré par un passage d’un discours de Richard Feynman:

«Un garçon m’a demandé: “Tu vois l’oiseau sur le tronc là-bas? Quel est son nom?”
J’ai dit: “J’en ai pas la moindre idée.”
Il a dit: “C’est une grive à gorge rousse. Ton père ne t’apprend pas grand-chose en sciences.”

J’ai souri intérieurement parce que mon père m’avait déjà enseigné que le nom ne dit rien de l’oiseau. Il m’avait dit: “Tu as vu cet oiseau: en anglais on l’appelle brown-throated thrush, mais en allemand on l’appelle Halsenflügel, et les chinois l’appellent 赤颈鸫, et même si tu connais tous ces noms, tu ne connais toujours rien de l’oiseau, tu ne sais que quelque chose sur les hommes, comment ils appellent l’oiseau. En fait cette grive chante, apprend à voler à ses jeunes, et pendant l’été elle vole si loin à travers tout le pays, et personne ne sait comment elle trouve son chemin” et ainsi de suite.»

Merci à Philippe Guglielmetti pour la traduction de ce discours.


 

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