“le gouvernement a été obligé de prendre en compte partiellement  la demande des populations locales.”

Michel Branchi.

Ancien commissaire de la concurrence et des prix, Michel Branchi réagit sur les annonces du CIOM faites par le gouvernement, le 18 juillet, à propos de la vie chère. Pour l’économiste, en prenant les mesures qui ont été annoncées, l’Etat s’est efforcé de répondre à la colère des populations d’Outre-Mer. Par conséquent, plusieurs de ces mesures ne seraient pas assez pertinentes, ni financées et donc adaptées pour répondre à l’urgence sociale de nos territoires.

Le ministre de l’économie souhaite adopter des mesures sur l’octroi de mer, car selon lui, c’est en partie à cause de cette taxe que plusieurs produits alimentaires sont chers. Que faut-il penser de ces déclarations ?

L’octroi de mer n’est pas la principale cause de la vie chère aux Antilles. Premièrement, quand on additionne le pourcentage de l’octroi de mer avec celui de la TVA Outre-Mers, on se rend compte qu’il est bien inférieur à celui de la TVA en France. L’écart de prix que l’on estime en moyenne de 40% sur les produits alimentaires, ne vient pas de l’octroi de mer, du moins principalement. Deuxièmement, il ne faut pas oublier l’utilité de cette taxe, car elle a un fonction nécessaire. L’octroi de mer sert justement de ressource aux communes et à la CTM. Il représente jusqu’à 50% des budgets des communes. Il finance les services publics. Troisièmement, l’octroi de mer s’applique surtout sur les produits importés. Il permet ainsi aux produits locaux de mieux se vendre.  Il favorise alors le développement de la production locale et donc l’emploi. Vouloir faire croire que c’est en réformant cette taxe que l’on va régler les problèmes de la vie chère relève, à mon sens, de la supercherie.

Il a été annoncé que la politique de concurrence de nos territoires serait réformée. Est-ce une bonne démarche, selon vous ?

Le gouvernement souhaite renforcer sa politique de concurrence en cherchant à sanctionner les abus de certaines entreprises qui profitent de leurs monopoles. Une critique que nous pourrions faire sur ces réformes est le fait qu’il y a un manque de moyens humains. Il y avait des agents au service d’une direction régionale de la concurrence et de la consommation. Cet organisme a été supprimé. Une autre critique qui peut facilement être faite, concerne les sanctions sur les entreprises en question qui profitent de leur monopole. Ce qui est sanctionné, ce n’est pas leur position dominante, mais juste les abus. Sanctionner les abus, c’est bien, mais chercher à supprimer la cause de ces monopoles, c’est mieux.

L’Etat français veut retourner au capital de la Banque de développement des Caraïbes. Un organisme qu’il a pourtant quitté en 2000. Est-ce dans l’intérêt des populations locales antillaises ou juste pour son intérêt d’influence dans le monde ?

C’est en effet une stratégie pour les intérêts du gouvernement. Il ne faut pas oublier que la France est une puissance mondiale très influente. Sa décision de revenir au capital de la Banque de développement caraïbes montre qu’elle ne veut pas être absente de la construction d’un nouveau pôle économique. Le CIOM était l’occasion rêvée pour l’Etat d’annoncer cette volonté. Vu que les collectivités d’Outre-mers ont fait beaucoup d’efforts pour améliorer leurs relations avec les pays de la Caraïbe, cela rend les choses encore plus faciles. Cependant, il faut reconnaître que cette initiative permettrait à la Martinique ainsi qu’à la Guadeloupe de pouvoir mieux s’intégrer dans la Caraïbe et participer aux projets économiques développés par le CARICOM.

Un casino sera construit à Saint-Martin, dans le but de favoriser le tourisme de cette île. En Martinique et dans les autres départements ultra-marin, le tourisme n’a-t-il pas besoin d’être aussi stimulé ?

Bien que les casinos rapportent beaucoup d’argent, je pense qu’il est beaucoup plus important de recentrer le tourisme sur la production locale. Le tourisme peut être un outil très utile dans le développement de l’agriculture, de la pêche ou de l’industrie. Le tourisme peut ainsi faire la promotion des produits locaux, notamment grâce aux pratiques telles que le spiritourisme. Certes un casino peut très certainement intéresser une partie des touristes, mais, à mon sens, le gouvernement devrait plutôt partir sur une base qui puisse réellement  intégrer les populations locales dans ses retombées.

Vous parlez du développement de la production locale de nos départements. Le gouvernement a aussi annoncé une aide concernant la souveraineté alimentaire. Les démarches qu’il compte prendre sont-elles crédibles ?

La crise du Covid nous a montré l’aspect négatif de la mondialisation. Chaque pays est spécialisé dans un domaine d’activité et, par conséquent, est limité sur le reste. Beaucoup de pays ont été obligés de réviser leur modèle économique, par rapport à ça. La Martinique n’a pas échappé à cette situation, vu qu’elle était fortement dépendante de l’importation de produits alimentaires. Il n’y a pas assez de diversification de l’agriculture. Or, les mesures que le gouvernement a adoptées ne font que favoriser les productions de spécialisation d’exportation, telle que la banane. Ces initiatives sont prises principalement pour l’intérêt de l’Etat et non des populations locales en maintenant la dépendance à l’égard des importations. De plus, il a été annoncé qu’il allait y avoir une aide de 10 millions d’euros pour les producteurs de fruits et légumes. Une somme pareille est très insuffisante. On ne sait même pas à quel moment cette aide qui est censée concerner l’ensemble des départements d’Outre-Mers sera délivrée. Cela montre cependant que le gouvernement a été obligé de prendre en compte partiellement la demande des populations locales. Cette démarche est juste le résultat de la prise de conscience des Outre-Mers sur les dégâts causés par la dépendance et la politique de mondialisation.

Les PME en Martinique ont-elles quelque chose à gagner ?

Le principal problème de ces entreprises est, sans surprise, le financement.  Il faut savoir que ce genre d’entreprise a beaucoup de mal à obtenir de l’argent de la part des banques multinationales. Il faudrait créer une banque martiniquaise de développement afin de pouvoir les aider. Ces entreprises sont en proie à la concurrence des entreprises du monde entier. N’importe quel pays sensé serait passé dans une phase protectionniste afin de pouvoir les préserver. Mais le gouvernement considère que le protectionnisme est une aberration. Si on veut réellement servir l’intérêt des PME, il faut non seulement les protéger mais aussi les soutenir financièrement. Ainsi, il sera plus facile pour elles d’acquérir la technologie nécessaire pour leur développement mais aussi de pouvoir recruter du personnel qualifié. Si on veut pouvoir favoriser leur résistance dans l’économie, il faut commencer par développer la productivité et je pense sincèrement que la meilleure des solutions serait la création d’une banque spéciale pour soutenir leurs investissements.

Thibaut Charles

Partager.

Laissez votre commentaireAnnuler la réponse.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Exit mobile version