A l’occasion de ses traditionnels « vœux à la presse », la Chambre de Commerce et d’Industrie de la Martinique(CCIM), par la voix de son président Philippe Jock, est récemment revenue sur les actions fortes menées par l’institution, durant une année 2020 marquée par la brutalité de la crise sanitaire et ses conséquences. Un dirigeant qui, en outre, partagea plusieurs de ses attentespour 2021 mais également ses inquiétudes quant à certains « retards », hexagonaux et péyi… . Explications.


Débutant sa communication, Philippe Jock mentionna l’étude du Cabinet DME, diligentée l’an dernier par la CCIM sur l’impact économique de la crise sanitaire ; une étude ayant estimé que le recul du Produit Intérieur Brut (PIB) de la Martinique pourrait être de 9 à 10 %. « Ce recul était de -3,8% en 2009 », souligna le dirigeant, « et que nous avions mis près de 10 ans à retrouver le niveau d’avant 2009. C’est dire que cette crise est d’une ampleur beaucoup plus grande. » Puis, évoquant certains secteurs d’activités impactés par la crise sanitaire, Philippe Jock rappela que le groupement Ziléaestimait à 46% la baisse du chiffre d’affaires pour l’hôtellerie, à 21% celle des locations de meublés, et 76%celle des agences de voyage. Rendant alors hommage aux équipes de la Chambre, « qui ont répondu avec conscience et abnégation au nombre conséquent d’appels émis et reçus par la CCIM », le dirigeant souligna que « certains de ces appels étaient tellement chargés d’émotion(s) que nous avons dû signer un partenariat avec l’association SOS Kriz, pour que nos équipes soient en capacité d’absorber les messages reçus, et pour orienter les chef.fes d’entreprise qui étaient en détresse vers cette association d’accompagnement, qui a d’ailleurs formé une vingtaine de nos collaborateurs à l’écoute. » Des appels émis notamment à destination des entreprises des secteurs commercial et touristique (« avec près de 500 appels passés vers ce secteur du tourisme », indiqua Philippe Jock). Un autre hommage fut rendu par le dirigeant pour le travail réalisé par les équipes de la Chambre dans le traitement du « fonds de subvention territorial » porté par la CTM. « Plus de 1100 dossiers ont été traités par la CCIM, qui avait le statut de mandataire », expliqua-t-il, « là-aussi nos équipes se sont mobilisées ; certains collaborateurs ont même renoncé à leurs congés au mois d’août, pour que tous les dossiers soient traités. »

« Nous pourrions rattraper, avant 2025, le niveau que nous avions avant la crise sanitaire »

En Mai 2020, la CCIM réunissait une centaine d’acteurs économiques afin de formuler des propositions pour le « rebond » de notre économie. Ainsi, de nombreux ateliers, échanges et travaux aboutissaient, en juillet dernier, à la production de 41 fiches-projets, « pour environ 1 milliardd’euros ». Philippe Jock : « Un grand nombre de ces projets sont relatifs à l’environnement, l’énergie, la transformation digitale et aux infrastructures. Donc vraiment des propositions qui permettraient, si les autorités s’en saisissent, de relancer assez vite l’activité. Nous avons mesuré l’impact économique des mesures que nous proposions, quel serait leur impact sur l’emploi et le PIB si elles étaient mises en œuvre, et la réponse était que si nous arrivions à investir ce milliard – qui peut faire appel à des fonds européens, des fonds de la CTM et des fonds privés -, si nous arrivions à mettre en œuvre tous ces projets, déjà quasiment ficelés, nous pourrions rattraper, avant 2025, le niveau que nous avions avant la crise sanitaire. » Mais le président de la CCIM de partager cet autre sentiment : « Aujourd’hui je dois dire que ça n’en prend pas le chemin, car la mise en œuvre du ‘’Plan de relance’’, territorial ou national, prend de notre point de vue trop de retard. » Nous reviendrons sur ce point.

« Nous avons cette année près de 700 alternants, ce qui fait de nous le premier CFA de l’île »

Au chapitre des « grandes satisfactions » de Philippe Jock et des équipes de la Chambre consulaire, figure le nombre d’effectifs du CFA Tertiaire. « Dans ce contexte extrêmement difficile, nous avons pu augmenter de 13% les effectifs de notre CFA (Centre de Formation des Apprentis)», se réjouit-il en effet, « nous avons cette année près de 700 alternants, ce qui fait de nous le premier CFA de l’île. C’était un challenge que nous nous étions fixés – 700 apprenti.e.s avec 700 contrats signés -, il nous reste une vingtaine de jeunes pour lesquels nous sommes encore en recherche d’entreprises ; entreprises à qui nous demanderons d’avoir une action solidaire. A ce moment-là nous aurons répondu quasiment à 100% à la demande des jeunes stagiaires. » Et le dirigeant de glisser, à dessein, ce rappel : « Pour mémoire nous avions 520 apprenti.e.s en 2016, à l’arrivée de cette mandature ; c’est dire les efforts qui ont été faits. » Toujours au chapitre des satisfactions, la première publication de l’Observatoire économique de la CCIM (« l’un des projets-phares de la mandature ») fut annoncée pour ce mois de février, « avec un partenariat avec l’Insee, l’IEDOM etc., pour donner des informations au plus près du territoire et surtout dans des délais courts, de telle sorte que ces informations soient pertinentes et utiles aux éventuels investisseurs. »

« Nous avons été les meilleurs relais des politiques publiques mises en œuvre pour les mesures d’urgence… »

Quant aux ressources financières de la Chambre, Philippe Jock laissa entendre que l’horizon s’était quelque peu éclairci. « Globalement notre action a été bien comprise et accueillie par l’Etat, puisque la baisse des ressources fiscales, qui était annoncée pour 2021, a été suspendue », expliqua le dirigeant, « et celle annoncée pour 2022 a été ramenée de 100 à 50 millions d’euros pour l’ensemble du réseau des CCI. » Et de poursuivre : « Nous, CCI et Chambre des Métiers, avons été les premiers dispensateurs des informations auprès des entreprises, et les meilleurs relais des politiques publiques mises en œuvre pour les mesures d’urgence et la relance attendue. C’est une reconnaissance et satisfaction pour l’ensemble des Chambre, et singulièrement pour celle de la Martinique puisque nous avons, je crois, été à la hauteur des enjeux. » Un dirigeant qui, en outre, évoqua des ressources supplémentaires pour la CCIM « grâce à des actions financées par le réseau des CCI en termes d’accompagnement d’entreprises industrielles, et de diagnostics éponymes et numériques. » Philippe Jock qui fit également valoir l’espoir collectif que la Chambre puisse continuer d’émarger aux fonds structurels européens, et qui dit se trouver par conséquent dans l’attente (« impatiente ») des grands axes du Programme Opérationnel 2021-2027.

« Malgré les campagnes électorales qui s’annoncent, il faudra que les acteurs publics soient au rendez-vous »

« Pour 2021, notre ambition est de contribuer au rebond de l’économie martiniquaise », assura alors le dirigeant. Avant de partager son inquiétude. « Nous serons vigilants pour une relance assez rapide de l’activité », affirma-t-il, « pour éviter que la crise ne dure et que l’on n’ait même plus à rebondir… On croît au rebond, mais si on traîne trop on aura touché le fond, et il sera difficile de remonter. » Voilà qui est clairement dit. Puis de préciser : « Des sommes conséquentes sont annoncées, prévues et ‘’fléchées’’ vers les outremers. Et il nous appartiendra de titiller nos élu.es pour qu’aucune sommequi pourrait être fléchée vers la Martinique ne s’en éloigne. » Et Philippe Jock d’évoquer un autre motif de crainte. « Les années d’élection ne sont pas propices à la commande publique », indiqua-t-il en effet, « mais malgré les campagnes électorales qui s’annoncent, il faudra que les acteurs publics soient au rendez-vous et que les investissements soient lancés. » A suivre ? En tout cas pour le dirigeant une réalité est patente : l’argent pouvant contribuer à la « relance » ne manque pas. « Par exemple l’Union Européenne, avec le dispositif React-UE, a prévu près de 51 milliards d’euros pour l’ensemble de l’Europe », indiqua-t-il, « et sur lesquels nous espérons bien que la Martinique ne sera pas oubliée. Il faut là aussi que nos élu.e.s interpellent sans relâche le gouvernement, pour savoir le montant qui nous sera attribué. Et vous pouvez compter sur les élu.es de la Chambre pour être vigilants. »

Abordant la fin de sa communication, Philippe Jock fit état de la mise en place d’une « cellule de veille » pour les entreprises du tourisme (« une initiative de Carole Foulard, la 1ère vice-présidente de la CCIM ») pour que les acteurs du tourisme « aient les informations, en termes de dispositifs et mesures, en temps réel ». Puis le dirigeant revint notamment sur le changement de dénomination, il y a quelques mois, du « Pôle Consulaire de Formation » de la CCIM, devenu SKILLFOR Campus et qui désigne l’ensemble des activités de formation proposées par la structure. Un choix de nom anglophone « qui traduit bien notre volonté d’ouverture sur la Caraïbe, d’attirer des jeunes en formation chez nous et d’ouvrir nos formations à des entrepreneurs de la Caraïbe », expliqua Philippe Jock. Ainsi, 7 nouvelles filières devraient voir le jour à la rentrée 2021 : Digital et Numérique ;Tourisme et Développement durable ; Commerce et Distribution ; Marketing et Relation Clients ; Comptabilité, Finance et RH (Ressources Humaines) ; Gestion d’entreprise ;ainsi que Sciences et Technologies. « Il y a une refonte permanente de la carte de formations, pour faire en sorte qu’elle corresponde au mieux aux besoins du territoire », assura le dirigeant.

« Sa ki an fal-ou ta’w, sa ki an bèk-ou pa ta’w »

Interrogé sur ces sommes « fléchées » vers la Martinique, Philippe Jock tint à préciser « qu’elles ne sont pas encore sur le territoire ». Et d’illustrer son propos par cet exemple. « Sur ces sommes il y a 15 millions pour le BTP, et sur ces 15 millions il y en a 6 qui sont versés aux EPCI (communautés d’agglomération) pour l’eau », indiqua-t-il, « les EPCI n’ont pas encore reçu ces fonds, mais doivent lancer les chantiers, qui ne le sont pas encore car ces EPCI n’ont pas encore l’argent. Toujours sur le BTP, il y a 9 millions pour des travaux concernant les bâtiments publics. Je ne conteste pas que cette somme existe et ait été identifiée, mais aujourd’hui les entreprises martiniquaises n’ont pas encore eu l’appel d’offres, donc pas encore répondu. » Philippe Jock revint alors sur le ‘’Plan de relance’’ porté par la CTM, dont l’examen serait prévu à l’occasion de la séance plénière de l’Assemblée de Martinique, ce 04 février. « Si ce Plan de relance est approuvé le 04 février, vous imaginez à quelle(s) date(s) les premières sommes seront disponibles », sembla déplorer le dirigeant, « chez nous on dit ‘’sa ki an fal ou sé ta’w, sa ki an bèk-ou pa ta’w’’. Donc l’argent existe, mais n’est pas chez nous pour l’instant. Cet argent arrivera – je ne conteste pas que la volonté politique soit là – mais ça tarde à arriver. C’est pour ça que je dis que les défaillances d’entreprises, on les ‘’attend’’ surtout à partir du deuxième trimestre. Parce que depuis septembre (2020, NDR) on travaille sur un Plan de relance, et qu’on n’est pas en capacité aujourd’hui d’en voirles effets concrets pour les entreprises. Même si je le répète, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté(s) comme dirait un élu que vous connaissez bien (Alfred Marie-Jeanne, NDR) les sommes existent. Et les projets aussi. Il y a des dossiers d’entreprises qui sont déjà prêts, pour lesquels l’entreprise attend simplement la notification de la subvention du ‘’Programme Opérationnel’’ qui est train de se terminer. Et il y a des projets qui peuvent démarrer rapidement, mais pour lesquels il manque une signature ou un ‘’bout’’ de financement qui traine. » Le message est passé (probablement de nouveau).

Donc c’est une question politique qui fait que ça « traine » ?, fut-il demandé à Philippe Jock. « C’est vrai que c’est politique », reconnut le dirigeant, « il faut plus de fluidité dans les relations, et surtout qu’on comprenne bien que le temps de l’entreprise n’est pas nécessairement le temps administratif. Dans la situation que nous connaissons, tendue et difficile, il faut simplifier les process pour que ça aille plus vite. Parce que les projets existent et qu’ils sont nombreux. » Enfin, questionné sur le devenir de cette contribution de 41 projets, Philippe Jock procéda au rappel suivant. « On l’a présentée aux présidents respectifs du Conseil exécutif et de l’Assemblée de la CTM, au ministre des outremers et au cabinet du 1er ministre. », indiqua-t-il en effet, « certains de ces projets auraient été retenus par la CTM, mais nous en sauronsplus le 04 février. » Gageons que, là-aussi, cette attente est « impatiente ».

                                                                                                                                                        Mike Irasque

A l’issue de ces ‘’vœux à la presse’’, nous avons brièvement interrogé le président de la CCIM.

Philippe Jock : « Dans le contexte sanitaire difficile que nous avions, plus de réactivité aurait été nécessaire »

 Antilla : En termes de bilans chiffrés, quelle est la « facture » pour la CCIM eu égard à la crise sanitaire et à tout ce que la Chambre a déployé comme aide(s) aux entreprises en 2020 ?

Philippe Jock : On n’a pas fait ce calcul. En fait on a mobilisé toutes nos équipes, et c’est vrai que les fonctions-supports ont pris un peu de retard. Tout le monde a été mobilisé sur l’accompagnement des entreprises, et on ne peut pas dire qu’on ait eu des surcoûts, sauf en termes de matériel informatique puisqu’il a fallu, dans l’urgence, équiper l’ensemble des collaborateurs de la Chambre pour qu’ils soient en télétravail. Donc on a eu des factures informatiques qui ont ‘’explosé’’. Nous avons plutôt des recettes en moins, parce qu’un certain nombre de manifestations que nous avions programmées, et qui étaient subventionnées, n’ont pas pu se réaliser.

Concernant le « Plan de relance » porté par la CTM, considérez-vous qu’il y a eu une carence en réactivité de la part de la Collectivité, dans sa prise en considération de ces 41 projets de « rebond » économique ?

J’ai envie de dire que le temps administratif n’est pas souvent celui de l’entreprise. Mais que dans le contexte sanitaire difficile que nous avions, plus de réactivité aurait été nécessaire. Mais je sais que c’est une ‘’machine’’ lourde, que ce n’est pas toujours simple, qu’il faut réunir les commissions, l’Assemblée plénière (de la CTM) et que ça a pris un peu de temps. Aujourd’hui il faut très clairement que sur la mise en œuvre du ‘Plan de relance’ national et territorial, l’articulation soit bien claire et nette. Et qu’on ne perde pas de temps.

A votre connaissance cette « articulation » est-elle faite ou en cours ?

Je pense que oui, puisque la plénière de la CTM va, le 04 février*, examiner ce Plan territorial, qui a été fait enconcertation avec l’Etat. Donc c’est un premier pas. Mais il faut que ça aille plus vite.

Nous sommes dans l’année des élections à la présidence de la CCIM : êtes-vous candidat à votre propre succession, selon l’expression consacrée ?

(sourire) Non je n’ai pas encore décidé si je me représente à la Chambre de Commerce et d’Industrie. C’est en novembre prochain, et il y a des échéances avant (sourire).

Echéances sur lesquelles vous avez envie de vous exprimer à notre « micro » ?

Pas pour l’instant (sourire).

                                                                                                                     Propos recueillis par Mike Irasque

*Entretien réalisé le 26 janvier dernier. (MI)

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