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Jean Castex, Olivier Véran, Bruno Le Maire et Emmanuel Macron lors d’un conseil de défense sanitaire durant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19.

Au royaume de l’absurdistan, qui sont les plus « coupables » : gouvernement qui préfère faire semblant d’agir, technostructure obèse et surpuissante et/ou opposition inerte ?

Guy-André Pelouze, Edouard Husson, Bertrand Cavallier et Pierre Bentata

avec Guy-André Pelouze, Edouard Husson, Bertrand Cavallier et Pierre Bentata

Atlantico : A travers sa gestion de la pandémie, l’exécutif a pris des mesures qui peuvent sembler absurdes, comme l’interdiction de se tenir debout dans les bars ou le retour des masques en extérieur. Comment expliquer de telles décisions ?

Pierre Bentata : D’un point de vue économique, ou microéconomique, en considérant que les agents sont rationnels, ça se comprend car nous avons de nouvelles informations, de nouvelles données et une progression de la pandémie. Surtout, il y a une attente de la population pour des actions publiques. Face à cela, alors que nous faisons face à une vraie incertitude sur la meilleure façon d’agir, on devrait avoir des politiques qui attendent et qui prennent des décisions sur le long terme. Mais comme tous nos voisins agissent, notre gouvernement se sent dans l’obligation d’en faire de même et il met en place des mesures qui ressemblent plus à de la communication et qui ne sont efficaces ni sur le plan sanitaire, ni économique ou politique. 

De par son inertie, l’opposition a-t-elle une part de responsabilité dans ces décisions ? Peut-on chercher d’autres responsables ? 

Pierre Bentata : Ce que l’on voit bien, et c’est la difficulté de la France par rapport à ses voisins, c’est qu’on s’approche des élections présidentielles. Dans ce cadre, il y a un certain mouvement de personnes antivax auquel se joignent des personnes qui sont souvent sceptiques, parfois à juste titre, à l’égard des mesures et des annonces du gouvernement. Face à cela, les partis d’opposition n’osent pas se positionner, ce qui aboutit à un faible nombre de critiques et de contres-propositions. En conclusion, on arrive à des mesures ubuesques sans que personne ne soit vraiment force de proposition.

De plus, on peut remarquer qu’il y a une véritable inquiétude de la part de la population, qui a aussi sa part de responsabilité dans ces décisions. Lorsque l’on analyse les commentaires et les posts sur les réseaux sociaux, on remarque qu’il y a une forme d’attente mais aussi un véritable ras-le-bol, ce qui peut sembler paradoxal. S’ajoutent alors les médias, qui, en répondant à une demande, génèrent une demande encore plus forte. Le gouvernement doit alors jongler entre ces deux attentes contradictoires de la population. 

Comment a-t-on accepté de telles décisions ?

Pierre Bentata : Selon moi, nous sommes sur un sentier de dépendance. Dès le début de la crise, il y a eu une inquiétude parfaitement légitime face à un virus inconnu. Les médias ont alors voulu montrer que les scientifiques avaient des avis très différents, ce qui a amplifié une certaine forme de confusion parmi la population. Voyant ce phénomène et comprenant qu’ils étaient en partie responsables, ils se sont concentrés sur la doctrine que préconisait le conseil scientifique, ce qui a donné l’impression que la seule vérité était celle du gouvernement et qu’il fallait censurer toute idée opposée. L’exécutif a donc mis en place des mesures de plus en plus strictes avant de revenir sur ce qu’il balayait au début de la pandémie du revers de la main, ajoutant à la confusion.

Quand on regarde tout cela après deux ans de pandémie, on remarque que la population est désespérée. Puisque le gouvernement nous a menti, que les choses n’ont pas été annoncées clairement, il y a une vraie défiance, également à l’égard des scientifiques. Le gouvernement doit donc agir tout en menant une campagne présidentielle, ce qui contribue à l’isoler davantage. Ils proposent alors des chèques inflation et des aides envers les jeunes pour ne pas contrarier la population.

Tous ces facteurs poussent le gouvernement à prendre des mesures symboliques comme le retour du masque en extérieur. Quand Angela Merkel expliquait de manière pédagogique la façon dont un virus se propage, notre gouvernement nous expliquait qu’il fallait ouvrir les fenêtres et que les masques ne servaient à rien. Nous payons donc aujourd’hui les cafouillages du début de la crise, ce qui nous différencie des pays qui ont été plus cohérents, comme la Suède et l’Allemagne.

Pensez-vous qu’il existe un problème (ou une lourdeur) administratif dans la gestion de la crise actuelle liée au coronavirus ? Si oui, pouvez-vous nous en donner quelques exemples ? 

Guy-André Pelouze : En réalité il ne s’agit pas d’avoir une opinion mais de constater des faits. La pandémie n’est pas une crise (manifestation soudaine et violente) puisqu’à la différence de la Chine nous savons depuis janvier qu’il ne s’agit pas d’une épidémie strictement asiatique. En revanche, les conséquences et les réponses apportées peuvent générer une crise. Découvrir le manque de masques fait partie de ces accélérateurs de la crise induite. Les masques sont aujourd’hui préemptés par l’Etat, ce qui est loin d’être une bonne nouvelle. En effet, en préemptant vous créez un goulot d’étranglement puisque seule l’administration peut désormais commander et obtenir des masques en France comme à l’étranger. Cette décision restreint la possibilité d’importer des masques, et comme l’Etat est très lent et très inefficace, cela crée une pénurie. La bonne décision aurait plutôt été d’interdire la vente de masques français à l’étranger, ce qui permettait à une entreprise française, à des groupements d’achat de se connecter avec une entreprise étrangère et d’importer directement des masques. 

Cette manie française de vouloir tout centraliser provoque la pénurie qu’elle soit relative ou totale.  Ce n’est pas parce que l’Etat a le monopole des masques que c’est mieux, bien au contraire ! Tous les systèmes monopolistiques dans les sociétés développées et dans l’univers de la science sont très inférieurs aux systèmes ouverts où plusieurs personnes ou entreprises en concurrence -sous régulation – fournissent un service ou un bien.

Alors que la crise liée au Coronavirus continue de perturber violemment la vie des gens, il est aisé de voir que lors des décennies passées, les gouvernements mettaient en place des processus d’anticipation face aux catastrophes (guerres, épidémies etc.). Or, il semblerait que les années faisant, la culture technocratique a endigué ces anticipations… Ces périodes d’anticipations dans le passé – notamment durant la Guerre Froide par exemple -, permettaient-elles une meilleure prise en charge de la population face aux catastrophes ? Pourquoi les politiques n’anticipent-ils plus ?

Bertrand Cavallier : Dans le domaine de la santé, il apparaît que les stocks de masques qui étaient considérables n’ont pas été renouvelés malgré la décision de Xavier Bertrand et que cette mesure aurait été prise en 2011 et 2013 par la technostructure ( Haut Conseil de Santé publique (HCSP) et le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) (1). Sur un plan structurel, ce sont 10 000 lits qui ont été supprimés en 20 ans, non seulement dans les territoires excentrés mais aussi en Seine-Saint Denis (cas de l’hôpital de Bondy) au nom notamment de la stratégie du “virage ambulatoire“ mais également de la logique avancée des fusions et concentrations. Si certaines mesures peuvent se comprendre (nécessité de spécialisations), l’on ne peut cependant que constater la dégradation générale du système hospitalier qui aujourd’hui, malgré l’engagement héroïque des personnels soignants de tout niveau, révèle ses cruelles limites.

À

La gestion de la pandémie du Covid, est un exemple d’échec frappant du gouvernement. Jusqu’où cette incapacité à agir s’étend-t-elle ? 

Edouard Husson : La gestion du COVID 19 est de bout en bout un échec du gouvernement. Incapacité à analyser correctement les informations venues de Chine en décembre et janvier; absence de tests et de masques au début de l’épidémie; incapacité à protéger la population âgée; absence d’utilisation des lits mis à disposition par le secteur hospitalier privé; incapacité à arrêter les suppressions de lits prévues depuis longtemps par la bureaucratie des ARS alors qu’on avait vu l’engorgement du printemps. On peut comprendre qu’il y ait eu une grande prudence quand on ne savait pas encore à quoi s’en tenir. Mais à présent les mesures restrictives sont désastreuses pour l’économie; l’obsession du COVID 19 amène à négliger d’autres maladies; les jeunes et les actifs sont entravés par des mesures destinées à prévenir la diffusion d’une maladie qui ne touche sérieusement que les très âgés. 

Emmanuel Macron est-il à l’origine de ce phénomène ou l’a-t-il accéléré depuis son élection ? 

Edouard Husson : Emmanuel Macron, c’est une formidable énergie au service d’un grand vide politique. Il a séduit des élites dirigeantes désemparées par les échecs successifs de Nicolas Sarkozy puis de François Hollande. Emmanuel Macron a été secrétaire général adjoint de l’Elysée puis ministre de l’Economie de François Hollande. Il était donc largement prévisible qu’il ne pouvait pas faire des étincelles. Mais quand François Fillon répétait que ce serait « Hollande bis», personne ne le prenait au sérieux. Les gens sont donc tombés de haut lorsqu’ils ont vu les cafouillages successifs: gestion désastreuse de la crise des Gilets Jaunes, fiasco de la réforme des retraites, catastrophique management de la crise du COVID). Le fait que beaucoup des collaborateurs d’Emmanuel Macron aient été autrefois dans les réseaux strauss-kahniens et ne soient pas pour autant plus compétents que les autres, ne fait que renforcer l’impression d’un déclin profond du milieu dirigean

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