Dans un « Regard » intitulé « Manuel Valls face au défi de la vie chère outre-mer », j’ai rappelé que le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a fait de la lutte contre la vie chère dans les territoires ultramarins une priorité depuis sa nomination en décembre 2024. Il présente un projet de loi visant, selon lui, à briser les monopoles, renforcer la concurrence et soutenir la production locale afin de réduire les écarts de prix avec la métropole. Ce projet prévoit notamment un renforcement de l’Autorité de la concurrence, la réactivation des observatoires des prix et l’extension du Bouclier Qualité-Prix.
J’ai souligné que ce plan suscite des attentes élevées, mais aussi de nombreuses réserves de la part de certains élus ultramarins et des associations de consommateurs, qui jugent le projet insuffisant. De leur côté, les organisations patronales craignent une atteinte à la liberté d’entreprendre et une dérive vers une « économie administrée ». La société civile, quant à elle, réclame des mesures plus ambitieuses, telles que l’exonération de TVA sur les produits essentiels et une plus grande transparence sur les marges.
J’ai également jugé utile de rappeler que ce projet de loi intervient dans un contexte social tendu, marqué par des émeutes et un sentiment d’inégalité croissant, qui devraient inciter l’État à prendre des décisions profondes. Or, le projet est fragilisé par une baisse significative du budget dédié à l’Outre-mer pour 2025, ce qui interroge sur la capacité réelle à transformer la situation.
Enfin, le texte, qui sera débattu au Parlement à la rentrée, est critiqué pour ne pas s’attaquer aux causes structurelles de la vie chère, notamment la dépendance aux importations et la faiblesse de la production locale. Le défi pour le gouvernement sera de trouver un équilibre entre régulation, intervention publique et développement économique local. En effet, faute de compétences suffisantes, nos pouvoirs locaux restent impuissants face à la dégradation de notre situation économique.
En l’état, l’avenir des outre-mer dépend d’un ministre, véritable responsable d’un projet de loi sur la vie chère, qui apparaît totalement déconnecté des besoins des économies locales. Ce texte, qui ne propose aucun levier concret de soutien à la production ou à la transformation locale, a d’ailleurs été massivement rejeté en plénière de la CTM.
Il est évident que le ministre a peu tenu compte des attentes légitimes des Antilles, notamment en matière de refonte de la gouvernance agricole et de décentralisation des décisions stratégiques. Ce qui est attendu, ce sont des propositions concrètes, des mesures réalistes et à impact visible, qui n’exigent pas nécessairement un budget immédiat, mais pourraient être financées par un redéploiement de dépenses passives (RSA, allocations chômage, etc.). C’est, à tout le moins, ce que l’on peut attendre d’un texte de loi qui prétend prendre en charge l’économie de nos territoires.
En définitive, la question de la vie chère outre-mer ne saurait être résolue par des annonces ou des ajustements à la marge. Elle exige une véritable refonte des politiques publiques, une écoute attentive des acteurs locaux et la mise en place de mécanismes adaptés à la réalité des territoires ultramarins. Il est impératif de dépasser l’approche centralisée et descendante qui prévaut encore trop souvent, pour privilégier une co-construction des solutions avec les collectivités, les filières économiques et la société civile.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la lutte contre la vie chère ne peut se limiter à la seule question des prix à la consommation. Elle doit s’accompagner d’une politique ambitieuse de développement local, favorisant l’émergence d’un tissu productif diversifié, la valorisation des productions locales, la formation et l’insertion des jeunes, ainsi que la réduction des inégalités sociales et territoriales.
À défaut, les territoires ultramarins resteront prisonniers d’un modèle économique hérité, fondé sur la dépendance aux importations, la concentration des acteurs économiques et la fragilité des filières locales. Le risque, à terme, est de voir s’aggraver la défiance envers l’État et la montée des tensions sociales, faute de réponses concrètes aux aspirations légitimes des populations.
Il appartient donc au gouvernement de saisir cette occasion pour engager une véritable transformation structurelle, en donnant aux outre-mer les moyens d’assurer leur développement endogène et de garantir à leurs habitants un niveau de vie digne et équitable. C’est à ce prix seulement que la promesse républicaine d’égalité et de justice prendra tout son sens dans nos territoires.
Gérard Dorwling-Carter