Contribution à titre personnel,
27 octobre 2024
« Ce monde a un goût de cendre ». Monchoachi [1]
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– Une crise de la « vie chère » ?
- – « Même prix qu’en France !»
- – Le danger de fragiliser l’Octroi de mer, avec Bercy et le Rassemblement national en embuscade
- – L’exonération de 40 000 produits alimentaires demandée par le Rassemblement pour la Protection des Peuples et des Ressources afro-caribéens (RPPRAC) n’est qu’une variante des ambitions de Bercy et du Rassemblement national s’agissant de l’Octroi de mer
- – La lutte contre la « vie chère » en Martinique : un piège qui se referme sur les DOM?
- – Malgré une baisse des prix, les ferments de la colère resteront intacts en Martinique
- – Sous les feux croisés de l’ultralibéralisme et du colonialisme
- – L’essor inexorable du populisme
- – Une crise de « la vie chère » ?
2009 a ouvert un cycle de révoltes populaires dans les DOM qui, faute de réponses de l’Etat iront crescendo aux Antilles, prêtes à s’embraser à la moindre étincelle ces dernières années : destruction de statues, empoisonnement au Chlordécone, obligation vaccinale, affaire Pinto et « vie chère » aujourd’hui.
Par conséquent, traiter la crise sociale actuelle en Martinique uniquement sous le prisme de la « vie chère », et qui plus est, en agissant sur les « prix » alors que ce phénomène s’explique en grande part par les bas revenus, ne règlera en rien le mal profond qui ronge la Martinique, pressurée de tout temps à travers l’image séculaire du Béké et de toutes parts par un Etat en quête effrénée de ressources, en particulier dans ses anciennes colonies, pour compenser des allègements d’impôts somptuaires.
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« Même prix qu’en France !»
Mais quelles sont donc les marges de manœuvre pour lutter contre la « vie chère » en Martinique en agissant sur les prix de l’alimentaire comme le réclame aujourd’hui le Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéens (RPPRAC)?
Faisons donc la comparaison entre les DOM et la Corse, un territoire insulaire, situé à 150 km des côtes françaises, où il n’existe pas de taxe locale à l’import. Selon l’INSEE, en 2022, comparativement à la France, les prix sont en moyenne plus élevés de 7% en Corse et de 14% pour les produits alimentaires[2].. Difficile pour la Martinique de faire mieux que la Corse (!).
Selon l’INSEE, les écarts de prix entre les DOM et la France, varient de 9% à la Réunion (où le fret est moins cher) à 16% en Guadeloupe. S’agissant de l’alimentaire, les écarts se resserrent, ils deviennent de 37% à la Réunion contre 42% en Guadeloupe.
Pourquoi tant en Corse que dans les DOM, les écarts de prix dans l’alimentaire sont nettement plus élevés ? En réalité : les frais d’approche seraient, selon la haute autorité de la concurrence, plus élevés en proportion pour l’alimentaire.
En effet, la plupart des frais d’approche[3] sont calculés en volume et non pas en valeur, et les produits alimentaires ayant une faible valeur ajoutée supportent davantage ces frais. Par exemple, en raison des frais d’approche, selon une enquête de l’Autorité autorité de concurrence, aux Antilles « le prix de la bouteille d’eau minérale est multiplié par plus de 4, contre 1,36 pour la bouteille de champagne ».
Par conséquent, en dépit de la Pwofitasyon de la grande distribution à juguler, l’alimentaire semble le domaine où les marges de manœuvre apparaissent les plus faibles pour réduire la « vie chère » dans les DOM.
Au surplus, l’alimentaire pèse un peu moins dans le budget des ménages qu’en France :14% contre 15% en France
Selon l’INSEE, « les habitudes de consommation ne sont pas les mêmes dans les DOM. Les personnes vivant dans les DOM consacrent en moyenne une plus grande partie de leur budget aux voitures neuves et à l’assurance automobile, au carburant et à la restauration rapide…Le coût des télécommunications est supérieur de 35%… ».
La demande du RPPRAC d’alignement des prix de l’alimentaire sur ceux de la France (comme le fait l’enseigne KIABI pour des vêtements bon marché), soit une baisse de 40% au final, permet certes de mobiliser le plus grand nombre autour d’une cause légitime, mais apparaît clairement irréaliste.
Comme résultats tangibles, le mouvement social a abouti à un protocole d’accord a minima (non signé par le RPPRAC) [4] ; il a mis l’accent sur la Pwofitasyon séculaire des Békés et surtout il a fragilisé l’Octroi de mer (séculaire, lui aussi) [5] présenté dans les grands médias français comme LA cause de la « vie chère » dans les DOM.
La Pwofitasyon a été abondamment décrite ces dernières années dans différents rapports commandés par l’Etat pour lutter contre la « vie chère » en vue d’ouvrir le marché des DOM à la concurrence, avec la fin des monopoles et oligopoles, au motif que la concurrence fera baisser les prix. Le RPPRAC vise aussi les monopoles et oligopoles qui ne pourront être cassés qu’avec l’arrivée de grandes entreprises extérieures. En définitive s’agira-t-il pour le mouvement social de procéder à des arbitrages entre capitalistes ? Avec quelles garanties sur la baisse des prix ? (Cf. la fin du monopole d’Air France).
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Le danger de fragiliser l’Octroi de mer, avec Bercy et le Rassemblement national en embuscade
Après l’initiative malheureuse de la CTM de placer l’Octroi de mer au centre des débats de la table ronde sur la « vie chère », réclamer une réforme fiscale, comme le fait le RPPRAC, pour pouvoir consommer comme en France[6], tout ceci ouvre la voie à la suppression de l’Octroi de mer et à l’instauration d’une TVA à 20% dans les DOM comme le veut Bercy pour renflouer son budget de 4 Milliards d’euros à terme. Or, comme le rappelle Alain Plaisir[7], les prix des marchandises au départ de la France sont hors taxes (-20% de TVA). Arrivées aux Antilles, on leur applique l’Octroi de mer à 9% et la TVA à 8.5%, soit 17.5% de taxes au total. Par ailleurs l’octroi de mer ne taxe pas les services, qui ne sont taxés que par la TVA (8.5%). Donc les taxes ne sont pas la cause de la « vie chère » dans les DOM.
La suppression de l’Octroi de mer est aussi l’objectif principal du Rassemblement national (RN) dans les DOM[8] : cibler le bouc émissaire de la « vie chère » ne peut que recueillir la plus large adhésion…à son projet électoral.
« Parce que la puissance et le rayonnement viendront de la mer, Marine Le Pen fera de l’Outre-mer le cœur de son projet pour la France »
Et, pour ce faire, le Rassemblement national envisage de supprimer en premier lieu cet « Octroi aux portes de la mer ».
Le but ultime du RN, tout comme Bercy, c’est d’enlever une autonomie fiscale aux territoires (pour être comme en France) et d’ouvrir le marché des DOM à l’hyperconsommation de produits de la Métropole et de l’UE. Un amendement au PLF 2025 a été déposé en ce sens par Madame Le Pen.
Les opérateurs de la grande distribution réclament aussi la fin de l’Octroi de mer, en particulier les nouveaux arrivants pour augmenter leurs marges car l’octroi de mer ne leur est pas remboursé contrairement à la TVA : « Je vais demander à l’ETAT de supprimer l’Octroi de mer » déclarait le Président du Groupe Leclerc lors de l’ouverture de son enseigne en Guadeloupe en 2019[9].*
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L’exonération de 40 000 produits alimentaires demandée par le RPPRAC n’est qu’une variante des ambitions de Bercy et du Rassemblement national s’agissant de l’Octroi de mer.
Ainsi avec l’exonération massive des produits alimentaires importés[10], même s’ils ne sont pas concurrents directs de la production locale, l’on met en péril cette dernière concentrée surtout dans l’alimentaire et l’agro-alimentaire, avec pour conséquence une montée en flèche du chômage. Par ailleurs, un emploi dans l’industrie crée 3 emplois dans les services selon l’Insee. Les budgets locaux seraient aussi ébranlés.
En tout cas, l’exonération de 40 000 produits alimentaires demandée par le RPPRAC aujourd’hui, n’est qu’une variante de l’amendement du Rassemblement national qui vise tous les secteurs.[11]
Par ailleurs, si l’octroi de mer était remplacé par une dotation de compensation (comme le prévoit l’amendement du Rassemblement national), les collectivités perdraient le dynamisme de cette taxe (50 millions d’euros par an à l’échelle des DOM).
De plus, les dotations de compensation ont vocation à s’éteindre à petit feu, surtout dans le contexte budgétaire actuel de la France. Elles sont en effet utilisées comme variables d’ajustement budgétaire pour financer des dépenses que l’Etat ne souhaite pas assumer directement.
A terme 40% des recettes du budget des communes seraient ainsi menacées.
Le secteur économique des DOM étant pour une large part tributaire des collectivités, l’on s’achemine vers une déstabilisation majeure de ces territoires. Les capacités d’intervention des collectivités auprès de leurs populations seront ruinées, la taxe foncière va exploser sous l’injonction des chambres régionales des comptes pour tenter d’équilibrer les budgets locaux, les gens vendront leurs maisons, les plus fragiles quitteront le territoire, les Métropolitains arriveront en masse[12], comme c’est déjà le cas depuis une vingtaine d’années en Martinique car il y a un lien entre appauvrissement du territoire et arrivée massive de Métropolitains pour occuper l’espace vacant ? Est-ce le but de la France pour conserver ses derniers signes extérieurs de puissance ?
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La lutte contre la « vie chère » en Martinique : un piège qui se referme sur les DOM?
Les collectivités des DOM dont les ressources sont insuffisantes, particulièrement en Martinique, d’où le caractère explosif de ce territoire, seront donc plus appauvries avec la fin de l’Octroi de mer. On l’aura compris, pendant que l’on s’occupe du « ventre » du consommateur, c’est « le serpent qui se mord la queue », et l’Etat prélève sa dîme.
Santé financière comparée de l’ensemble des collectivités des DOM
Taux d’épargne brute
Guadeloupe : 12,1%
Martinique : 7,1%
Guyane : 12,8%
Réunion : 15,7%
France Hexagonale : 18,7%
Taux d’épargne nette
Guadeloupe : 8,1%
Martinique : 1,2%
Guyane : 9,9%
Réunion : 9,0%
France Hexagonale : 11,2%
Délai de désendettement
Guadeloupe : 4,4 ans
Martinique : 10,5 ans
Guyane : 2,4 ans
Réunion : 6.3 ans
France Hexagonale : 4.5 ans
DGCL 2023
En Martinique tous les voyants financiers sont au rouge en raison de facteurs exogènes[13]
Les données ci-dessus expliquent pourquoi la situation est aussi explosive en Martinique, il importe donc d’agir sur les bons leviers (comme l’ont fait la Guyane ou Mayotte, les peuples et leurs représentants unis, en exigeant de l’Etat un plan d’urgence de plus d’un milliard d’euros), plutôt que de s’appauvrir davantage (et l’ensemble des DOM in fine) avec la suppression de l’Octroi de mer, but ultime de l’Etat et du Rassemblement national, dans leur « lutte contre la vie chère outremer»…au service de la France.
Le mouvement contre la « vie chère » en Martinique pousse-t-il les DOM dans un piège tendu tant par Bercy que le Rassemblement national ?
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Malgré une baisse des prix, les ferments de la colère resteront intacts en Martinique
En tout état de cause, même si le prix des produits alimentaires ou autres étaient abaissés de 20% (ce qui, soit dit en passant, ferait un appel d’air à la colonisation de peuplement) et que tous les monopoles et oligopoles des Békés auraient été brisés (ce qui, soit dit en passant, créerait un appel d’air pour des salariés venus d’ailleurs) les ferments de la colère resteront intacts.
Car, contrairement aux idées reçues, la départementalisation a été opérée avec des transferts sociaux nettement plus faibles qu’en France hexagonale. Elle a par conséquent laissé sur le bord du chemin, tout un pan de la société, de la jeunesse aux retraités (y compris les fonctionnaires aux pensions non majorées), qui aujourd’hui, en Martinique, crie son désespoir : « BAISSEZ LES PRIX !».
Et quand les collectivités n’ont plus les moyens de rétablir les équilibres, d’amortir cette misère sociale ni de soutenir les initiatives (associations, entreprises), les territoires sont livrés au chaos et se vident de leurs forces vives : ces 6 dernières années la Martinique a perdu 25 000 habitants.
En Guyane, après 2017, l’Etat a été contraint de desserrer l’étau autour des finances locales et le pays a alors commencé aussitôt à respirer, à s’épanouir.
En Martinique, en 2024, il importe à l’Etat de décrypter ce qui se cache sous le vocable de « vie chère », plutôt que d’organiser des tables rondes, qui se transforment en Loft story où le spectateur (le peuple en l’occurrence), est invité, derrière son écran, à déchouker un à un tous les participants pour ne retenir au final que ceux qui défendent leurs intérêts immédiats et seront dotés d’une nouvelle légitimité.
La passivité de l’Etat dans ce conflit (absence de venue de ministres) est à interroger : sert-il son dessein ?
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Sous les feux croisés de l’ultralibéralisme et du colonialisme
Pendant que se joue le feuilleton de la « vie chère » en Martinique, lequel vire à la tragédie, à Paris, le rouleau compresseur de la loi de finances pour 2025 avance avec la suppression de 400 M€ du budget du ministère de l’Outremer…dans la plus grande indifférence.
400 M€ c’est aussi le montant dépensé par l’Etat pour réparer les dégâts en Nouvelle Calédonie suite à la tentative de dégel du corps électoral. L’Etat a réalisé un « effort » à l’égard des Calédoniens qui sera par conséquent remboursé principalement par les DOM sommés de ce fait de franchir un pas de plus vers l’abîme.
La baisse des crédits du ministère de l’outremer n’affectera en tout cas pas le RSMA qui pourra recycler dans l’Armée, en crise de recrutement, la misère sociale des Outremer.
Et pendant ce temps, occupée à apporter l’Octroi de mer à Bercy sur un plateau, à ouvrir un boulevard à un parti qui surfe sur l’impopularité de l’Octroi de mer, à casser des monopoles et oligopoles au bénéfice des grandes entreprises françaises, la Martinique n’a pas le temps de panser ni de penser à ses plaies : elle (ni le peuple, ni ses représentants officiels ou autoproclamés) ne demande RIEN à l’Etat sur le plan budgétaire (sauf des mesurettes). RDV à la prochaine révolte sociale.
Et, pendant ce temps, la Cour des comptes qui cherche à augmenter la pression fiscale dans les DOM pour un montant de 7 Md€ (ce qui reviendrait à multiplier par deux, le taux de la TVA en France) presse l’Etat de concrétiser son plan d’urgence de 5 Md€ pour Marseille destiné à « rattraper les retards historiques de la deuxième ville de France dont certains quartiers sont les plus pauvres d’Europe , un plan qui se veut exceptionnel par son montant et son contenu ».
Pour les DOM, c’est la fin de partie, il n’y a plus de rattrapage. En effet, qu’y a-t-il à rattraper si leur avenir est déjà écrit au passé ?
Cette différence de traitement, entre les DOM et la Ville de Marseille, porte un nom : la « discrimination structurelle » qui relève d’un racisme systémique, que l’Onu (A/78/317) en août 2023 appelle les Etats à éradiquer en leur sein et à REPARER.
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L’essor du populisme
Les DOM deviennent le terrain de jeu favori pour le populisme : agir pour le peuple, parler en son nom, l’aimer par-dessus tout, le protéger face aux profiteurs (y compris les fonctionnaires avec leurs 40%), face aux institutions (corrompues), lui dire ce qu’il a envie d’entendre avec des solutions toutes simples à sa portée, comme supprimer l’Octroi de mer qui le conduira à sa ruine. Un populisme, partant de bons sentiments ou de calculs froids mais qui prospère sur la misère humaine, laquelle se répand très vite dans les DOM sous les feux croisés de l’ultralibéralisme[14] et du colonialisme.
Dans la campagne de dénigrement sans précèdent qui a cours actuellement en Martinique, tout une série de forces obscures disparates, et ordonnancées par une sorte de main invisible régissant la toile, s’agrègent à ce mouvement social pour aboutir à une ambiance délétère qui n’épargne personne (pas même les meneurs de ce mouvement ) mais ciblent le plus souvent avec l’ efficacité redoutable d’une machine de guerre : l’octroi de mer (et accessoirement les 40%) qui serait la cause de la misère du peuple.
Or , le populisme qui se présente comme une alternative à une maltraitance institutionnelle, poussée à un plus haut point dans les outremer (« sentir sa terre s’ouvrir sous ses pieds comme un tombeau »), peut conduire à des dérives[15],: intimidations, délation chasse aux sorcières, jusqu’à chasse à l’homme y compris punitions collectives ou pogroms.
L’histoire récente de l’humanité est riche de ces avatars de la démocratie pouvant conduire jusqu’au fachisme.
Vu la persistance (structurelle)[16] de l’Etat français à faire prévaloir ses intérêts propres sur ceux de ses anciennes colonies, il importe plus que jamais que celles-ci réfléchissent par elles-mêmes à leur devenir, à leur mode de vie pour Exister et non pas seulement vivre et consommer.
NOTES
[1] Monchoachi, l’Espère-Geste.
[2] Que seraient les écarts de prix entre la France hexagonale et la Corse si cette dernière ne disposait pas d’une dotation de continuité territoriale de 230 millions d’euros par an (qui a été augmentée de 40 millions d’euros en 2024 afin de lutter contre l’inflation) pour diminuer les frais de transport ? A titre de comparaison, les outremer (2.7 Millions d’hab.) disposent d’une continuité territoriale de 42 millions d’euros.
[3] Selon la Haute autorité de la concurrence, le détail des coûts liés à l’éloignement fait apparaître jusqu’à 40 postes comptables, comme l’empotage, le fret, la surcharge carburant, les assurances, l’acconage, l’embarquement, l’octroi de mer, les taxes de douanes (pour les pays tiers), la TVA à l’import, les coûts de palettes et d’emballages, les frais de pesage, ou encore le transport local.
[4]La table ronde sur la « vie chère » a abouti à un protocole d’accord entre notamment la grande distribution, l’Etat et la CTM (non signé par le RPPRAC) pour parvenir à une baisse des prix de 20% pour 6 000 produits alimentaires (en annulant les taxes notamment) que le RPPRAC voudrait étendre à 40 000 produits, ce qui paraît tout aussi irréalisable que la baisse des prix de l’alimentaire de 40%, et fait durer le mouvement.
[5] L’Octroi de mer est présenté comme destiné à protéger la production locale alors qu’il a été créé pour apporter des ressources à la colonie, la protection de la production locale n’est apparue qu’en 1958 (Cf. livre écrit par Alain Plaisir cité plus loin). L’Octroi de mer est présenté comme un impôt colonial, alors qu’il l’est moins que la TVA qui alimente les caisses de l’Etat. Il est présenté comme moyenâgeux, alors qu’il est l’équivalent de l’Octroi de villes crée par Colbert et qui n’a été supprimé en France qu’en 1948. L’Octroi de mer a perduré pour compenser la faiblesse de la fiscalité locale directe et non pas celle de la DGF (qui est due à une discrimination structurelle). L’Octroi de mer serait une survivance de l’exclusif colonial, alors qu’il taxe indifféremment les produits quelle que soit leur origine. A cet égard, la proposition du Rassemblement national d’exonérer d’Octroi de mer tous les produits en provenance de la France et de l‘UE, hors ceux des pays tiers, rétablit d’une certaine manière un exclusif colonial.
L’Octroi de mer renchérirait le coût de la vie dans les DOM, alors qu’il ne taxe pas les services qui représentent 65% des dépenses des ménages. Les services dans les DOM sont taxés à 8.5% par la TVA. Pour les marchandises, si l’on calcule la somme TVA+ Octroi de mer, l’on obtient 17.5% contre 20% pour la seule TVA en France et les marchandises arrivent hors taxe dans les DOM. L’Octroi de mer est acquitté une fois pour toutes à l’import, alors que la TVA taxe le produit à l’import, puis tous les intermédiaires, jusqu’au consommateur final. L’on reproche à l’Octroi de mer de ne pas être transparent mais la TVA n’est transparente que pour la dernière transaction de l’acheteur.
En définitive, l’Octroi de mer est une taxe à l’import, faiblement appliquée ou exonérant la production locale, très proche de l’AIEM des Canaries.
S’épancher sur le passé dit colonial de l’Octroi de mer permet de ne pas faire face aux défis présents notamment à la colonisation de peuplement, qui double la crise sociale d’une menace identitaire.
[6] « On veut être Français, en fait, comme les autres Français, et consommer comme eux, manger comme eux. » (le RPPRAC, in journal France Antilles, 18 octobre).
[7] Alain Plaisir, ancien douanier et spécialiste de l’Octroi de mer, a écrits divers ouvrages sur cette taxes « L’octroi de mer : de la colonisation française à l’intégration européenne ». Edition ID communication- 2006
[8] Rody Tolassy, député européen au nom du Rassemblement national, pourfendeur de l’Octroi de mer a été l’un des deux seuls élus guadeloupéens à avoir répondu favorablement à l’invitation lancée aux élus guadeloupéens par le RPPRAC Guadeloupe pour une réunion sur la « vie chère » le 18 octobre dernier ( les responsables du RPPRAC Martinique avaient aussi fait le déplacement).
[9] Le PDG du Groupe Leclerc cité par Alain Plaisir
[10]Cette demande d’exonération de 40 000 produits alimentaires du RPPRAC concerne l’Octroi de mer et la TVA. L’existence de la TVA et de l’Octroi de mer est souvent présentée comme une double taxation, une double peine pour le consommateur alors que tel que vu plus avant la pression fiscale est plus faible dans les DOM.
[11] L’amendement du RN exonère d’octroi de mer tous les produits importés de la France et de l’UE, en dehors de ceux directement concurrents de la production locale. En arguant faussement que l’Octroi de mer a été créé pour préserver la production locale, tout comme le rapport Ferdi commandé par Bercy pour en finir une fois pour toutes avec l’Octroi de mer, le RN fait mine de ramener l’Octroi de mer à sa mission première.
[12] Une migration inverse de Métropolitains est favorisée, par le biais de l’emploi public d’Etat et aussi de l’emploi privé (selon une étude commandée par le ministère de l’Egalité des chances en décembre 2019, les ultramarins sont bien plus discriminés chez eux qu’en France hexagonale dans le secteur privé, où les recrutements, selon l’INED, se font sur une base affinitaire).
[13]Des facteurs exogènes expliquent la mauvaise santé financière des collectivités martiniquaises comparativement aux autres DOM : Effondrement de l’octroi de mer deux fois plus important en Martinique en 2009 (-55M€) ; stagnation de l’Octroi de mer entre 2008 et 2018 (contre +40% pour la Guyane) ; effondrement démographique en Martinique qui réduit les dotations (calculées par tête d’habitant) ; baisse des dotations de l’Etat plus importante aux Antilles pour la Contribution au redressement des finances publiques ; dotations de péréquation destinées à l’outremer ciblées sur la Guyane, Mayotte et la Réunion ; dotations de centralité 4 fois plus faibles aux Antilles ; soutien exceptionnel de l’Etat à la Guyane et Mayotte après 2017 (+1.5 Md€ chacune) ; reprise en main par l’Etat du RSA dans tous les DOM sauf aux Antilles ; prélèvement de la TVA nationale pour 1 Md€ aux Antilles et à la Réunion qui bride l’octroi de mer , a contrario la TVA n’est appliquée ni Guyane ni à Mayotte, ce qui a rendu soutenable le déplafonnement de l’octroi de mer régional en Guyane en 2018 pour faire face aux besoins croissants de la CTG.
Rappelons que comparativement à la France hexagonale, les DOM accusent un retard de leurs dotations de 200 M€. Si les Antilles bénéficiaient de dotations de péréquation plus équitables, leur déclin ne serait pas aussi accentué.
[14] Selon Pierre Bourdieu : « Le néolibéralisme reprend les plus vieilles idées du patronat, sous un message chic et moderne. C’est une « révolution » conservatrice qui veut imposer un retour à une forme de capitalisme sauvage et cynique, qui organise l’insécurité et la précarité, qui se réclame du progrès mais qui glorifie l’archaïque loi du plus fort. »
« Maintenant que s’ouvre l’abîme
(…)
Des gens venaient et lâchaient
D’infâmes milans
Comme leur fiente les merles en piaillant
Sur le muret ».
L’Espère-Geste, Monchoachi
[16] Il importe de souligner que par nature les intérêts des Métropoles sont opposés à ceux des colonies, d’où les guerres de décolonisation qui ont eu lieu partout sur le continent américain, sauf dans le pré-carré français, en dehors d’Haïti où la révolution a été menée par les esclaves et non pas les colons.
NB :
Mireille Pierre-Louis est spécialiste des fonds européens et de l’Octroi de mer, en 1992 elle avait publié avec le soutien du FEDER un ouvrage intitulé « Les politiques communautaires dans les DOM ». Aujourd’hui son travail porte plus globalement sur les financements des capitales et communes d’outremer. Ses études ont été à l’origine des principales avancées financières obtenues par celles-ci ces dernières années (Rattrapage de la DGF, création d’une dotation de centralité, meilleure compensation de la baisse des dotations,). Depuis juin 2024, elle a lancé une série d’alertes sur le risque de suppression de l’Octroi de mer, un risque accru avec les récents évènements en Martinique.
Note de la rédaction : Cet article a été récupéré sur internet et sur différends réseaux sociaux et Whatsapp