Editorial du « Monde ». Une fois de plus, une fois encore, et certainement pas la dernière, les Antilles s’embrasent. Comme avant elles la Guyane, La Réunion ou Mayotte. A première vue, la crise actuelle, déclenchée par l’opposition au passe sanitaire et le refus de l’obligation vaccinale par une minorité des personnels soignants et des pompiers, n’a que peu à voir avec la grève générale qui avait paralysé la Guadeloupe et la Martinique début 2009 pendant un mois et demi. Cependant, les germes de la contestation sont identiques.
La question sociale reste, douze ans plus tard, toujours aussi aiguë : le taux de chômage atteint 20 % en Guadeloupe, 15 % en Martinique, un jeune actif de moins de 30 ans sur trois y est au chômage, le taux de pauvreté s’élève à 34 % en Guadeloupe et à 29 % en Martinique. La question institutionnelle reste, elle, en suspens : quel statut pour ces territoires colonisés au XVIIe siècle, marqués par la mémoire de l’esclavage et de l’Etat colonial, devenus départements français au sortir de la seconde guerre mondiale, en 1946, et qui peinent depuis à trouver un modèle de développement ?
Les gouvernements successifs, depuis des décennies, ne parviennent pas à fournir de réponses convaincantes. La Guadeloupe, contrairement à la Martinique et à la Guyane, s’est opposée en 2003, à la suite d’une consultation référendaire de sa population, à la création d’une collectivité unique regroupant la région et le département. La différence de statut n’empêche pas les problèmes d’être les mêmes, ou presque.
Défiance
La relation de la France avec l’héritage de ses conquêtes coloniales est en jeu. La question se pose de façon imminente en Nouvelle-Calédonie, où le prochain référendum, prévu le 12 décembre, devra décider du maintien ou non de l’archipel dans le giron de la République française. Elle est aussi prégnante dans les mouvements de contestation qui agitent périodiquement les Antilles et qui traduisent une distance grandissante avec la représentation politique, quelle qu’elle soit. La défiance ne vise en effet pas que l’Etat. Elle affecte aussi les élus locaux, qui paraissent plus soucieux de défendre leurs prérogatives que de résoudre des problèmes pourtant vitaux. L’approvisionnement en eau potable y reste un sujet majeur et endémique.
Ces manquements ne sauraient cependant absoudre l’Etat français de ses propres responsabilités. Depuis le dernier grand mouvement social de 2009, les réponses politiques sont restées faibles. La loi sur l’égalité réelle portée, sous le quinquennat de François Hollande, par la ministre des outre-mer Ericka Bareigts a, certes, affirmé la volonté de promouvoir un avenir pour ces territoires.
Elle n’a en revanche pas permis d’éclaircir la relation des élus locaux avec l’Etat français. Les ambiguïtés, les doubles discours et les faux-semblants restent légion. Les mêmes acteurs politiques qui réclament plus d’autonomie, voire l’indépendance, sont-ils prêts à en assumer les conséquences et, surtout, les responsabilités ? Ont-ils été à la hauteur de leurs compétences face à la crise sanitaire, quand il s’agissait d’encourager la population à se faire vacciner ? Peut-on à la fois endosser un discours de défiance vis-à-vis de l’« Etat colonial » et se tourner vers lui quand il s’agit de faire face à une situation de crise ? La question de l’autonomie posée par le ministre des outre-mer, Sébastien Lecornu, avant son déplacement dans les Antilles, a été mal reçue. Elle n’était pourtant pas dépourvue de sens.