Pour la première fois, la conférence des Nations unies sur le climat s’est attaquée directement aux énergies fossiles. Mais les pays du Nord n’ont pas répondu aux attentes des pays du Sud, plus vulnérables.
Elle avait été qualifiée de « moment historique » pour notre destin, de « sommet décisif », voire de « réunion de la dernière chance ». Si la 26e conférence des Nations unies sur le climat (COP26) n’a pas réussi à constituer le tournant pour l’humanité qu’appelaient de leurs vœux la société civile et les scientifiques, elle a pourtant suscité un premier virage vers plus d’efforts dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Cette grand-messe, qui a réuni autour de 30 000 personnes à Glasgow (Ecosse), s’est achevée samedi 13 novembre avec plus d’un jour de retard. D’autant plus attendue qu’elle avait été repoussée d’un an du fait de la crise sanitaire, elle a réussi à arracher des avancées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour s’attaquer aux énergies fossiles, principale cause du réchauffement. Elle est également parvenue à achever les règles d’application de l’accord de Paris, en suspens depuis six ans.
En revanche, la conférence, marquée par une grave défiance entre pays du Nord et du Sud, n’a pas suffisamment répondu aux besoins financiers des pays les plus vulnérables, en première ligne d’un changement climatique dont ils ne sont pas responsables, du fait d’un blocage des pays riches.
« Garder en vie » l’objectif de ne pas dépasser 1,5 °C
Lors d’une réunion plénière samedi, la plupart des pays, tout en jugeant les décisions finales « imparfaites » et en exprimant des « déceptions », ont estimé que ce « pacte climatique de Glasgow » permet de répondre au mandat de la COP : « garder en vie » l’objectif de ne pas dépasser 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle, la limite la plus ambitieuse fixée par l’accord de Paris sur le climat de 2015. Ces décisions contiennent « des pas concrets pour la suite et des étapes très claires pour nous mettre sur les rails conduisant aux objectifs de l’accord de Paris », a ainsi jugé Alok Sharma, le président de la COP26, soulignant la difficulté de trouver un consensus entre 196 pays.
« Nous sommes toujours à l’orée d’une catastrophe climatique », a averti, quant à lui, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, jugeant que la conférence a débouché sur « des pas en avant bienvenus », mais que « ce n’est pas assez ».Lire aussi Article réservé à nos abonnésCOP26 : la France mettra fin à ses subventions aux projets d’exploitation d’énergies fossiles à l’étranger fin 2022
La société civile, de son côté, a reconnu des progrès, toutefois encore loin de répondre à l’urgence climatique. « C’est une COP de pays du Nord, qui reflète les priorités des pays riches et qui n’a pas démontré de réelle solidarité », regrette Aurore Mathieu, responsable des politiques internationales au Réseau Action Climat. Elle déplore son « manque d’inclusivité » alors que le sommet s’est révélé extrêmement difficile d’accès pour les représentants des pays du Sud, en raison de prix exorbitants et de problèmes liés aux vaccins et aux visas.
« Le résultat de la COP26 est faible et l’objectif de 1,5 °C est tout juste vivant, mais un signal a été envoyé : l’ère du charbon est terminée, et cela compte », a réagi la patronne de Greenpeace, Jennifer Morgan. « Le véritable test est maintenant de savoir si les pays traduisent leurs engagements en actions », estime de son côté Ani Dasgupta, le président du centre de réflexion américain World Resources Institute.
Coup de poker sur le charbon
Les pays vulnérables n’ont cessé, pendant les deux semaines de conférence, d’adresser des messages pressants et percutants, comme celui du ministre des affaires étrangères de Tuvalu, s’adressant à la COP les jambes dans l’eau pour alerter sur la montée des eaux qui menace l’archipel. Ou de Mia Mottley, la première ministre de la Barbade, qui a lancé lors du sommet rassemblant 120 dirigeants : « Nous ne voulons pas d’une condamnation à mort et nous sommes venus ici pour dire “redoublez d’efforts, redoublez d’efforts”, car nous voulons exister dans cent ans. »
Les délégués et ministres réunis dans l’enceinte du Scottish Event Campus ne l’ont qu’en partie écoutée. Dans le paquet de textes adoptés, ils ont reconnu qu’il fallait « accélérer l’action dans cette décennie critique » et que le compte n’y est pas. Si 150 pays ont soumis à l’ONU de nouveaux engagements climatiques avant ou pendant la COP26, comme les y engage l’accord de Paris, tous ne sont pas plus ambitieux que les précédents, datant de 2015. Sur la base de ces plans, la planète se dirige vers un réchauffement de 2,7 °C à la fin du siècle.
Le pacte adopté à Glasgow demande alors aux pays de revoir leurs engagements climatiques à la hausse dès la fin 2022, soit bien avant la date de 2025 prévue à l’origine par l’accord de Paris, et « autant que nécessaire pour s’aligner » avec le traité international. Une avancée qu’ont essayé de contrer, en vain, l’Arabie saoudite, la Chine et l’Inde. Cette révision doit toutefois être faite « en prenant en compte les différentes circonstances nationales », ouvrant la voie à des aménagements pour certains pays. Les Etats doivent également soumettre à l’ONU d’ici à l’an prochain des stratégies de long terme, qui sont le « seul endroit pour vérifier la qualité des promesses de neutralité carbone », rappelle Lola Vallejo, la directrice climat de l’Institut du développement durable et des relations internationales.
Surtout, les textes mentionnent pour la première fois les énergies fossiles, responsables de 90 % des émissions de gaz à effet de serre. Les pays sont encouragés à « accélérer les efforts » vers la « diminution » de l’utilisation du charbon « sans système de capture et stockage du carbone » et la fin des subventions « inefficaces » aux énergies fossiles, dans un esprit de « transition juste ». Une formulation amoindrie à la dernière minute par l’Inde, la Chine ou encore l’Afrique du Sud qui, dans un coup de poker final, ont changé, au nom de leur « droit au développement », le terme « sortir » (du charbon) par « diminuer ». Le texte avait déjà été affaibli dans une précédente version sous l’influence del’Arabie saoudite, des Etats-Unis, de l’Australie et de la Russie. « Je suis terriblement désolé », s’est excusé Alok Sharma, les larmes aux yeux.
Pas d’avancée sur les « pertes et dommages »
Le pacte de Glasgow n’apporte en revanche pas de progrès sur un dossier au cœur des tensions des derniers jours : la question des « pertes et dommages », c’est-à-dire les dégâts irréversibles causés par le changement climatique (ouragans, inondations, sécheresses, etc.), auxquels il n’est plus possible de s’adapter. Les pays en développement sont ceux qui subissent le plus durement ces ravages alors qu’ils sont les moins responsables du changement climatique.
Le groupe de négociation « G77 et Chine », qui représente 134 pays en développement et 70 % de l’humanité, a demandé la création d’une « facilité de financement » pour leur permettre de faire face à ces pertes et dommages. Bien qu’ils aient rejoint une « coalition de la haute ambition » avec les petits Etats insulaires et les nations vulnérables, les Etats-Unis et l’Union européenne se sont opposés à cette idée. Les pays développés, historiquement responsables du changement climatique, craignent en effet que la reconnaissance des pertes et préjudices ne débouche sur des poursuites judiciaires et des demandes de compensation financière à leur égard.
Ils ont seulement accepté de soutenir une assistance technique et d’organiser un « dialogue » de deux ans « pour discuter d’arrangements sur [un] financement ». « Les pays riches poussent vers un système qui aboutirait à un forum de bavardages incessants », a dénoncé Mohamed Adow, de l’ONG Power Shift Africa. Seules l’Ecosse, la Wallonie et l’Allemagne se sont engagées à mobiliser plus de 10 millions d’euros pour les pertes et dommages, un premier pas insuffisant.
Le groupe « G77 et Chine », ainsi que de nombreuses îles comme les Maldives ou Antigua-et-Barbuda, ont exprimé leur vive déception, acceptant le texte à contrecœur. « Il y a un manque d’appétit de la part des pays développés pour reconnaître leur responsabilité historique et leur dette envers les pays en développement », a regretté le représentant de la Bolivie. « Nous ne sommes qu’au début de ce que nous devons faire sur les pertes et dommages », a promis Frans Timmermans, le vice-président de la Commission européenne.
Les discussions n’ont également pas suffisamment abouti sur le dossier crucial des finances, base de la confiance entre Etats et moteur de l’action climatique. Les pays riches n’ont toujours pas tenu leur promesse, pourtant faite il y a douze ans, de mobiliser 100 milliards de dollars (87 milliards d’euros) par an à partir de 2020 pour aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique et à réduire leurs émissions.Lire aussi Article réservé à nos abonnésClimat : l’objectif de 100 milliards de dollars pour les pays du Sud atteignable en 2023
Malgré de nouvelles annonces du Japon ou de l’Italie, les pays développés ne devraient atteindre cet objectif qu’en 2023. Le pacte de Glasgow, s’il presse ces derniers de mettre la main à la poche, ne répond pas à la question du manque à gagner d’ici là pour les pays les plus vulnérables.
Vers un doublement de l’aide à l’adaptation
Les textes prévoient en revanche que les pays développés doublent, d’ici à 2025 par rapport à 2019, l’aide spécifiquement consacrée à l’adaptation aux effets du changement climatique, une demande des pays en développement. Aujourd’hui, seulement 25 % des fonds vont à l’adaptation, contre 65 % à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, alors que les pays en développement contribuent peu à ces dernières. La majorité des fonds sont également des prêts et pas des dons, aggravant la crise de la dette dans ces pays.
Enfin, les textes achèvent les règles d’application de l’accord de Paris, six ans après son adoption. Les Etats ont notamment trouvé un accord sur l’épineux fonctionnement des marchés carbone internationaux. Ils sont parvenus à élaborer de nouvelles règles pour les échanges d’émissions de CO2 entre pays et à créer un nouveau marché international du carbone. La société civile s’inquiète toutefois de failles pouvant nuire à la lutte contre le dérèglement climatique.
Malgré la difficulté d’organiser une COP dans des conditions extraordinaires liées à la crise sanitaire, la présidence britannique « a été solide, elle n’a pas fait d’erreur », juge une source proche des négociations. « Alok Sharma a la confiance des gens. Il n’est pas un poids lourd politique mais il a été à l’écoute, ajoute la source, évoquant les 45 déplacements de préparation effectués à l’étranger par l’ancien secrétaire d’Etat britannique aux affaires et à l’énergie. Il y a juste eu une mise en scène exagérée des annonces. »
Un tourbillon d’annonces… à suivre
Car au-delà des textes de décision, et donc des négociations formelles, la COP a aussi donné lieu à un tourbillon d’annonces, menées au pas de charge par une présidence soucieuse de ne jamais faire retomber la pression. Jour après jour, les promesses se sont succédé, notamment sur quatre priorités : le charbon, les voitures, la finance et les arbres. Parmi les plus marquantes, deux alliances, comptant chacune une centaine d’Etats, ont décidé de mettre un terme à la déforestation d’ici à 2030, et de réduire les émissions mondiales de méthane, un puissant gaz à effet de serre, de 30 % entre 2020 et 2030.
Surtout, jamais une conférence climat ne s’était attaquée aussi frontalement aux énergies fossiles. D’abord, le charbon, une vingtaine de nouveaux pays promettant d’en sortir dans les années 2030 et 2040. Mais aussi le pétrole et le gaz, une étape encore rarement franchie ; une trentaine d’Etats ont annoncé mettre un terme à leurs financements publics dans les projets de combustibles fossiles à l’international fin 2022, s’ils ne sont pas adossés à de la capture du carbone. Et douze pays et nations n’octroieront plus de nouvelles licences de production et d’exploration de pétrole et de gaz, avant de fixer la fin de leur exploitation.
« Beaucoup de ces coalitions sectorielles sont intéressantes et nécessaires, mais elles sont toutes volontaires et elles sont parfois un peu gonflées », prévient toutefois Laurence Tubiana, la directrice de la Fondation européenne pour le climat, dénonçant, comme nombre d’observateurs, « beaucoup de “greenwashing” ».
Le chemin n’est pas fini, ont promis tous les représentants des pays, invoquant régulièrement leurs enfants et petits-enfants, auxquels ils doivent « rendre des comptes ». Les COP27 et COP28, qui seront respectivement organisées en Egypte et aux Emirats arabes unis en 2022 et 2023, auront encore du travail pour mettre fin aux « trente années de bla-bla » sur le climat des dirigeants, dénoncées par l’égérie de la jeunesse engagée pour le climat, Greta Thunberg.
Audrey Garric(Glasgow, envoyée spéciale)Contribuer