Au Congrès mondial de la nature, à Marseille, la biodiversité forestière est à la peine, entre rejet de la motion sur la restauration des forêts et débat sur la protection des vieilles forêts d’Europe.
Le Congrès mondial de la nature se tient du 3 au 11 septembre à Marseille. Deux journalistes de Reporterre sont présentes à cet événement autour de la biodiversité, et proposent un suivi quotidien.
Reporterre
Marseille (Bouches-du-Rhône), reportage
Près de la moitié de la biodiversité se trouve dans les forêts. Donc, défendons les forêts ! Pas si simple, m’explique Paul Smith, du Botanic Gardens Conservation International, qui défend à Marseille une motion d’urgence pour tenir compte de la biodiversité dans la restauration des forêts. « Il existe un écart très important entre les principes de sauvegarde de la biodiversité dans la restauration forestière et les pratiques sur le terrain. Les arguments commerciaux ou de séquestration du carbone priment et la biodiversité est largement absente », dénonce l’expert qui plaide pour développer une certification biodiversité au même titre que la certification carbone.
Mais dans un courriel envoyé lundi à 17 h 45 — c’est la magie du congrès où tous les experts sont réactifs aux questions des journalistes —, il m’annonce : « Nous venons d’apprendre que notre motion a été rejetée pour un point de détail : parce qu’il ne s’agit pas d’une question nouvelle ! Nous examinons la possibilité de faire appel. » Le Botanic Gardens Conservation International dont il est secrétaire général fait pourtant autorité. Sa dernière étude publiée très à propos le 1er septembre 2021 a contribué à enrichir la dernière mise à jour de la liste rouge de l’UICN. Les conclusions montrent que 30 % des espèces d’arbres sont aujourd’hui menacées sur les 60 000 espèces évaluées. « Ces espèces menacées ne sont pas utilisées dans les programmes de plantations et de restaurations. Et dans certains cas, la plantation d’espèces exotiques est responsable de la disparition d’espèces endémiques », insiste Paul Smith.
- Au Congrès mondial de la nature, à Marseille. © Jérômine Derigny/Reporterre
« Une forêt gérée compte à peine 10 % de la biodiversité d’une vieille forêt »
S’il semble évident qu’une monoculture d’eucalyptus soit pauvre en espèces, la différence de biodiversité entre deux forêts est moins manifeste. « En Europe, une forêt gérée compte à peine 10 % de la biodiversité d’une vieille forêt », m’apprend pourtant Daniel Vallauri, chargé du programme Forêts au WWF France, en citant l’exemple emblématique de la forêt de la réserve naturelle de la Massane, dans les Pyrénées orientales, qui abrite plus de 8 300 espèces. Lui est présent au congrès pour défendre une autre motion, la numéro 125, qui propose de renforcer la protection des vieilles forêts en Europe. Pas assez consensuelle, cette motion n’avait pas été soumise au vote électronique avant le congrès. « Cette motion exclut toute exploitation de bois dans les vieilles forêts. Donc, certains pays et acteurs membres de l’UICNsont réticents », analyse Daniel Vallauri. Portée par le comité français de l’UICN, dont l’ONG fait partie, cette motion est remise en débat cette semaine.
Les prochains jours scelleront en partie sceller le sort des vieilles forêts déjà très résiduelles en Europe, où elles ne couvrent déjà plus qu’1 à 3 % des forêts du vieux continent. « Par vieille forêt, on entend des forêts de plus de 180 ans, sachant qu’un hêtre peut vivre 500 ans », explique Daniel Vallauri, en précisant pourquoi une protection forte est si nécessaire : « Le défrichement fait des dégâts sur des millénaires. On voit encore aujourd’hui la trace des défrichements à l’époque romaine, responsable de la disparition de la jacinthe et du muguet dans les sous-bois. »
- Jeu de sensibilisation à la gestion forestière, au congrès de l’UICN. © Jérômine Derigny/Reporterre
En France, le dernier parc national à avoir vu le jour est justement le Parc national de forêts dans l’Est, créé en 2019. Direction donc le stand de l’Office français de la biodiversité pour trouver un expert forestier. Xavier Morvan confirme que le parc abrite un des plus gros massifs forestiers en France. Mais ici la protection des arbres se fait au détriment des animaux puisque la chasse est autorisée dans la zone de cœur du parc. Les gestionnaires de la nature attendent de la chasse qu’elle régule la population de cervidés, qui trop nombreux risqueraient de surpâturer la forêt. Même dans la zone de réserve intégrale, officiellement soustraite à toute activité humaine, une chasse de régulation des grands ongulés est prévue. Triste principe de réalité gestionnaire qui prive ce lieu de la dimension si singulière des réserves où les animaux n’ont pas à craindre les humains.
En ligne avec son objectif de protéger 30 % des espaces terrestres et
maritimes d’ici 2030, le gouvernement a profité du congrès pour annoncer
la création ou l’extension d’aires protégés en France. Deux parcs régionaux d’abord, dans les Corbières et le Doubs, dont les niveaux de protection sont classés parmi les plus bas dans la liste verte de l’UICN qui hiérarchise l’efficacité des aires protégées dans le monde. Ensuite, une extension du Parc naturel marin d’Iroise en
Bretagne, de 39 à 1 129 hectares. Si le changement d’échelle est notable, la question de la capacité à contrôler ses espaces marins pour garantir leur protection reste entière. Enfin, une réserve intégrale dans le Parc national du Mercantour de 481 hectares.
Consanguinité des plantes
Revenons aux arbres. Ou plutôt aux plantes, car les forêts n’ont pas l’exclusivité de la richesse en biodiversité. Philippe Bardin du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) m’explique ainsi que, en Europe, ce n’est pas dans les forêts que la biodiversité des plantes dites « supérieures » est la plus grande mais dans les prairies : « Un botaniste qui fait un inventaire dans une prairie peut identifier une centaine de plantes à fleurs et de graminées. »Autre découverte, cet argument montre que l’agriculture peut être l’alliée de la biodiversité. « Les espèces de plantes actuelles sont l’héritage de l’agropastoralisme, qui a façonné les paysages européens, ce qui explique leur richesse dans les prairies et les pâturages », raconte le botaniste. 30% de ces espèces sont également en danger d’extinction en Europe, à cause de l’agriculture justement.
Peu connue, une autre grande menace pour les plantes est la fragmentation des territoires. Car si les plantes sont immobiles, graines et pollen doivent se déplacer pour assurer la reproduction végétale, par les airs ou grâce aux animaux. « Les routes, les entrepôts sont autant de barrages qui réduisent la possibilité des plantes à se reproduire. On assiste aujourd’hui à des problèmes de consanguinité chez les plantes », décrit Philippe Bardin. Triste tableau auquel il faut encore ajouter la disparition des insectes pollinisateurs. La biodiversité est mal en point.