ENVIRONNEMENT Les défenseurs d’un gel des installations des grands centres commerciaux craignent que le chef de l’État ne fasse demi-tour concernant les entrepôts de e-commerce

Julien Laloye20 Minutes

Publié le 08/07/

  • Emmanuel Macron a donné son accord à une proposition de la Convention citoyenne sur le climat visant à instaurer un moratoire sur la construction de nouvelles zones commerciales.
  • Les associations craignent que les entrepôts Amazon échappent à la nouvelle réglementation et vident le moratoire de sa substance.
  • A Rosny 2, un collectif se bat contre l’extension du deuxième centre commercial le plus rentable de France.

Quand on débarque dans le coin sans connaître, ça fait l’effet d’un labyrinthe dont on n’arrive jamais à trouver la sortie. Des grands magasins collés comme des dominos et des zones commerciales qui semblent se succéder indéfiniment avant l’autoroute. Au centre de tout, quand on a enfin compris la géographie des lieux, le gigantesque centre commercial Westfield Rosny 2, enclavé entre deux autoroutes (l’A3 et l’A86), une nationale surfréquentée et une voie ferrée de RER, à l’est de Paris.

Une belle bête de 169 magasins répartis sur 120.000 m2 au sol, pour l’un des plus gros chiffres d’affaires du secteur, 600 millions d’euros les bonnes années. Mais une belle bête qui a encore faim de petits consommateurs à croquer. Quatre permis de construire sont dans les tuyaux pour créer une zone de restauration au rez-de-chaussée, étendre le centre commercial en longueur, et rajouter une tour de bureau par-dessus. 58.000 m2 en plus sur le papier, un peu près huit terrains de foot taille adulte, pour se faire une idée.

Volte-face surprise de Macron

« On nous dit de produire et de consommer moins d’objets, on nous explique que le pouvoir d’achat va baisser, on nous explique qu’il faut privilégier les commerces locaux, mais on veut agrandir un centre commercial déjà immense », peste Nicolas Perguet, porte-parole d’Alternitaba Rosny. La petite association a pris les armes contre le projet dans une certaine indifférence en 2018. Une pétition au succès d’abord mitigéa même suscité les moqueries du maire dans Le Parisien. Mais le mépris a changé de camp sans prévenir le 29 juin, quand Emmanuel Macron s’est rangé au côté de la Convention citoyenne sur la question des moratoires sur les zones commerciales de périphérie.

périphérie.

« Arrêter la bétonisation, c’est un projet pour rendre notre pays plus humain, au fond plus beau », s’est enflammé le président de la République, d’humeur lyrique, lui qui s’était toujours opposé jusqu’ici à une régulation trop intrusive dans ce domaine, comme dans le reste. Un enthousiasme aussitôt partagé par Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie : « A un moment, il faut dire stop. Le moratoire, c’est stop. On regarde s’il n’y a pas d’alternatives. Est-ce qu’on ne peut pas prendre plutôt des friches industrielles plutôt que des terres agricoles ? Ne faut-il pas mieux densifier un bourg plutôt que de l’étendre ? » Ce volontarisme affiché a surpris jusqu’à Alma Dufour, chargée de la thématique surproduction et consommations chez les Amis de la Terre. « On pensait ce gouvernement allergique à tout encadrement brutal. Maintenant, j’attends de voir comment ça va se traduire dans le projet de loi. J’ai encore des doutes quand je lis la proposition de la Convention citoyenne, qui a été pas mal édulcorée ».

Amazon peut-il passer entre les gouttes ?

Quand on farfouille dans le rapport touffu de la convention, on peut en effet s’interroger : si les 150 sont d’accord pour « prendre immédiatement des mesures coercitives afin de stopper les aménagements de zones commerciales périurbaines très consommatrices d’espace » et que le comité logistique qui les accompagnait préconise d’imposer la règle « zéro nouvelle surface au sol », les astérisques laissent le champ ouvert aux exceptions. Quid des agrandissements de zones déjà existantes, comme Rosny 2 ? Quid des entrepôts de e-commerce, dont la construction ne nécessite aucune autorisation nationale ? Bercy indique à nos confrères du Figaro que la question n’était pas tranchée mais que la Convention citoyenne « ne mentionnait pas spécifiquement les entrepôts », manière de préparer au pire.

L’éventuelle distinction a son importance. Sur la trentaine de grands projets en gestation, les vigies associatives comptent environ dix implantations potentielles d’Amazon sur tout le territoire. « Si le moratoire ne les concerne pas, on aura du mal à comprendre », prévient Alma Dufour. « Le président a beaucoup parlé des ” gilets jaunes ” dans son discours aux citoyens , or s’il y a bien une entreprise qui a personnalisé ce que rejettent les “gilets jaunes”, c’est Amazon. Les entrepôts représentaient même une cible préférentielle pendant le mouvement. Autoriser l’arrivée de ces entrepôts, c’est permettre à plus d’un milliard de produits de déferler en France en 2021, avec les conséquences que cela porterait en termes d’emploi et de réchauffement climatique ».

Un département français perdu tous les dix ans

Le dossier le mieux vendu par les partisans du moratoire ? Le paysage mondialement connu du pont du Gard, menacé par un entrepôt Amazon de six étages, situé à moins de quatre kilomètres de l’aqueduc millénaire. « Il faut à tout prix cesser de développer ce type de commerces et préserver les sols agricoles », soutient Dominique Potier. L’élu PS de Meurthe-et-Moselle a dirigé une mission d’information parlementaire sur l’état foncier agricole. « L’artificialisation des sols progresse de 8,5 % par an, soit environ un département français perdu tous les dix ans au profit du béton ». Cela représente un million de m² de surface commerciales en plus par an, quand la population n’augmente que de 3,8 % en

Assez fier d’avoir pu rendre 800 hectares à l’agriculture dans sa région, Dominique Potier a proposé plusieurs pistes à ses collègues de l’Assemblée : taxer la plus-value foncière de manière à avoir un montant plus dissuasif ou sanctuariser les terres agricoles en les rendant non constructibles, par exemple. Indispensable pour éviter les ambitions pharaoniques de certains promoteurs pourtant alertés par les acteurs locaux sur la fragilité des écosystèmes et l’absence de la prise en compte de l’enjeu climatique. A Rosny, Alternitaba a vu rouge foncé en consultant l’avis de la Mission régionale d’autorité environnementale (MRAE), qui relève entre autres que le maître d’ouvrage s’est trompé en indiquant le schéma d’aménagement et de gestion des cours d’eau dont dépend la zone commerciale. Un détail qui n’en est pas un, puisque l’avis indique par ailleurs « que le site est sujet aux inondations par ruissellement pluvial ».

16 % de trafic routier en plus à Rosny

« Et en été, ce sera un four, parce qu’il n’y a ni végétation ni points d’eau, déplore Chloé Gerbier, juriste au sein de l’association Notre Affaire à Tous, qui a aidé Alternitaba à déposer un contentieux contre le projet d’agrandissement. Dans l’étude d’impact, la question des gaz à effet de serre est évacuée en une ligne, alors qu’elle conclut à une augmentation de 16 % du trafic aux heures de pointe et que les concentrations en dioxyde d’azote sont déjà largement supérieures aux valeurs réglementaires ». L’ancienne équipe municipale, battue d’un cheveu cette fois-ci, rétorque que l’achèvement prochain du prolongement de la ligne 11 du métro permettra aux clients de laisser la voiture aux garages. Sans compter la carotte de l’emploi tout cuit dans la bouche. Selon une étude du Conseil national des centres commerciaux, un centre commercial promettait en moyenne 560 jobs à plein temps en

2017.

« Il faut arrêter avec cette histoire de création d’emplois », s’énerve le député Patrick Vignal, spécialiste des questions de redynamisation des centres-villes et défenseur du moratoire depuis de longues années. « A chaque fois que je vois un élu local, il me répond “Patrick, tu comprends, ils m’embauchent tous les jeunes du coin et ils me payent le club de rugby”. Sauf que pour un emploi créé dans une zone commerciale, on en supprime deux ailleurs, et trois quand on parle d’Amazon. Alors peut-être qu’il faut faire du “en même temps” sur ce sujet, et qu’il y a des endroits où la densité permet d’implanter de nouveaux magasins, mais on ne peut pas mettre 5 milliards dans la rénovation des centres-villes d’un côté et encourager les grands centres commerciaux de l’autre ».

Les centres-villes, premières victimes collatérales

Les seconds sont depuis longtemps accusés de conduire les premiers au cimetière, soit le vieux combat entre la France moche et la France morte déjà agité pendant la campagne présidentielle. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : le taux de vacance commerciale monte en flèche dans les villes moyennes (12 % en 2018, selon la fédération du commerce spécialisé), un phénomène qui commence d’ailleurs à toucher quelques-uns des 835 centres commerciaux géants implantés en France, signe que le modèle est peut-être arrivé à bout de souffle sans l’aide de personne. « Construire un centre commercial, c’est juste gagner un marché qui existe ailleurs, philosophe Nicolas Perguet. Mais ce n’est pas en tuant le voisin qu’on peut survivre ».

A Rosny, on joue sur les deux tableaux, puisque la Ville a mis en place depuis 2009 un périmètre de sauvegarde « avec droit de préemption des fonds commerciaux et artisanaux », afin de garder la main sur son centre-ville. Cela marche, pour ce que l’on peut en juger : en dehors d’une boutique de la chaîne Panier Bio en déshérence le long de la Paroisse Saint-Geneviève, la rue principale est plutôt bien achalandée. Mais la folie des grandeurs semble avoir vécu.

Une lettre ouverte au président de la République

Avant d’être battu par son ancien adjoint frondeur pour une poignée de voix, Claude Capillon, l’ancien maire, avait brusquement renoncé au projet iconique de Village vertical, qui devait coiffer Rosny d’une nouvelle tour de logements futuriste de 50 mètres de haut. « La crise sanitaire nous impose de repenser notre manière d’envisager l’urbanisme », justifiait-il à ses administrés. Jean-Paul Fauconnet, son successeur, n’a rien promis aux détracteurs de Rosny 2.

Il s’est néanmoins « engagé à adopter une démarche volontaire » pour mettre fin au développement des grandes surfaces commerciales sur son territoire. De son côté, Alternitaba continue de s’engouffrer dans la brèche. L’association s’est jointe à 60 autres collectifs citoyens pour réclamer, dans une lettre ouverte à Emmanuel Macron, « l’arrêt des travaux et la suspension des autorisations en attendant l’obtention du moratoire ». Histoire de ne pas laisser échapper le momentum.

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