7 JUILLET 2021
Parmi les rebuts gisant au fond des océans, on trouve aussi des déchets radioactifs. Plusieurs pays, dont la France, ont contribué à leur immersion dans l’Atlantique. Si les sites sont bien répertoriés, ils ne sont désormais plus surveillés.
De 1946 à 1983, la communauté scientifique a jugé que déposer des déchets radioactifs sur les fonds marins était une « solution sûre », « car la dilution et la durée présumée d’isolement apportées par le milieu marin étaient suffisantes », retrace l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs). Cet établissement public à caractère industriel et commercial, chargé de la gestion des déchets radioactifs en France, réalise régulièrement l’inventaire national des matières et déchets radioactifs [1].
Jusqu’en 1977, les états ont été libres de superviser eux-mêmes leurs opérations d’immersion. Puis le Conseil de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a obligé les pays membres à se soumettre aux directives et à la surveillance de l’Agence pour l’énergie nucléaire (AEN). En 1972, la convention de Londres interdit l’immersion de déchets fortement radioactifs. Un moratoire sur l’immersion des déchets est adopté en 1983, dans l’attente d’un examen global de la question. En 1993, les pays signataires décident d’interdire l’immersion de déchets radioactifs dans la mer, « davantage pour des raisons morales que scientifiques », ajoute Émilie Grandidier, chargée de communication à l’Andra, qui assure que tout débat sur d’éventuelles immersions futures est définitivement clos.
Qui a jeté quoi, et où ?
Entre 1946 et 1982, à l’échelle internationale, 14 pays ont immergé des déchets radioactifs dans plus de 80 sites du Pacifique et de l’Atlantique. « Des déchets liquides directement évacués, des déchets solides non conditionnés, des déchets emballés dans des fûts métalliques et incorporés dans du béton ou du bitume », précise l’Andra. Ces déchets constituent une radioactivité totale de 85 000 térabecquerels (TBq) à la date de leur immersion, l’équivalent de cinq à six fois la quantité d’éléments radioactifs rejetés dans l’océan Pacifique à la suite de la catastrophe nucléaire de Fukushima, entre mars et avril 2011. L’Atlantique Nord a été le premier site d’immersion, représentant la moitié de la radioactivité totale. Le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Italie, la Suède et la Suisse y ont largué 138 100 tonnes de déchets.
La France a participé à titre expérimental à deux vagues d’immersion en 1967 et 1969 (14 200 tonnes de déchets d’une activité de 350 TBq). Ces déchets étaient issus de la recherche sur l’énergie atomique. À l’époque, le parc nucléaire français n’existait pas. Sans participer aux autres largages en Atlantique Nord, la France a jeté à la mer, entre 1967 et 1975, 3200 tonnes de déchets radioactifs issus de la recherche militaire en Polynésie française, à quelques kilomètres au large de l’atoll de Mururoa et de celui de Hao – 193 essais nucléaires ont été menés en Polynésie entre 1966 et 1996. L’Etat français vient de s’engager, ce 2 juillet, à faciliter l’indemnisation des familles polynésiennes largement frappées par des cancers liés à ces essais nucléaires.
Dans l’Atlantique, la France a envoyé ses déchets par 4000 mètres de fond au large de l’Espagne et de la Bretagne. D’autres pays ont poursuivi leurs immersions jusqu’en 1983, sur un site au large du golfe de Gascogne. Le dépotoir le plus proche des côtes françaises, la fosse des Casquets, à 15 km au nord-ouest du cap de La Hague (Manche), n’a donc paradoxalement pas été alimenté par la France. Mais par le Royaume-Uni et la Belgique, de 1949 à 1966, avant que l’AEN n’encadre les opérations.
- Carte des décharges de déchets radioactifs dans l’Atlantique Nord-Est réalisée par l’Andra. La pollution radioactive est mesurée en Térabecquerel (TBq). La radioactivité totale de l’ensemble de ces décharges représente trois à quatre fois la pollution de la catastrophe de Fukushima.
Demeurent quelques données inconnues : la Russie et les États-Unis auraient, en dehors de toute surveillance internationale, coulé « des cuves de réacteurs contenant, pour certaines, du combustible », indique l’Andra.
Une surveillance abandonnée depuis 1995
En 1980, l’AEN lance un programme de recherche baptisé Cresp pour étudier le transfert des radionucléides issus des déchets dans le milieu marin. « La radioactivité observée dans la zone des déchets immergés se confond aux fluctuations de la radioactivité naturelle de ces fonds marins », conclut le rapport final de 1995. Le programme Cresp et la surveillance des sites sont alors abandonnés.
En ce qui concerne la Polynésie, le ministère des Armées, qui continue à surveiller les déchets, n’est pas inquiet : « La surveillance de l’environnement à Moruroa et à Fangataufa met en évidence que les radionucléides artificiels mesurés dans les échantillons sont présents à des niveaux très bas et souvent inférieurs ou voisins de la limite de détection des appareils de mesure de la radioactivité. »
Aucune opération de récupération des déchets n’est prévue
« À ce jour, il n’est pas prévu de récupérer les déchets immergés dans l’océan, précise Émilie Grandidier. Car la radioactivité émise pour les collecter serait plus importante que l’impact qu’ils ont immergés. » En effet, beaucoup de fûts sont dans un état trop piteux pour supporter une manipulation. En 2000, Greenpeace a envoyé un drone explorer et filmer les fonds marins de la fosse des Casquets. Les images rapportées sont celles d’une effrayante décharge : des fûts de déchets radioactifs rouillés, cassés, dégradés. Que se passera-t-il si un ou plusieurs fûts se percent ? Contrairement au pétrole, c’est une pollution invisible, qui peut contaminer toute une chaîne alimentaire, voire atteindre les côtes.
La fosse des Casquets n’est pas la seule préoccupation de Greenpeace. Toute immersion de déchets radioactifs à partir de navires est désormais interdite. Mais dans la Manche, via un pipeline long de 4 km qui s’enfonce à une soixantaine de mètres sous la mer, la centrale de retraitement des déchets nucléaires d’Orano à La Hague (Manche) continue à rejeter chaque année des liquides radioactifs « après traitement éventuel » [2]. En 2019, 609 432 mètres cube de ces liquides ont été déversés en mer.
Audrey Guiller
En photo : fût de déchets radioactifs endommagé photographié par Greenpeace aux abords de la fosse des Casquets, au large du Cotentin, en juin 2000 / © Greenpeace.
Le premier épisode de notre enquête : « Sous la mer, la pollution d’hier est bien là, et elle attend » : les épaves, des bombes à retardement ? |