En Novembre dernier, l’UNICEF a publié un rapport concernant la pauvreté infantile en Outre-Mer. La pauvreté dans les territoires ultramarins est largement attribuable à la cherté de la vie, mais elle trouve surtout ses racines dans les inégalités sociales perpétuées par le passé colonial de ces régions. Cet héritage est involontairement transmis par les parents à leurs enfants qui deviennent par conséquent les premières victimes. Justin Daniel, politologue, a cherché à nous fournir des orientations sur les solutions à envisager.


Antilla : Dans son rapport “Grandir dans les Outre-mer”. L’UNICEF a établi plusieurs recommandations telles que accélérer la construction scolaire dans les territoires sous dotés ou encore mettre en place des structures diversifiées de prise en charge de mineurs. Est-ce que selon vous ce type de proposition est réalisable ?

Justin Daniel : Dans l’absolu les mesures prises isolément les unes des autres sont envisageables. Cependant, il est crucial de reconnaître que dans certains territoires, leur mise en œuvre nécessite une approche globale et multidimensionnelle impliquant tous les acteurs concernés à différents niveaux. Par exemple, une construction scolaire dépend des collectivités territoriales, des communes, des départements ou encore des régions, mais ces collectivités ne peuvent supporter à elles seules cette charge lorsque que la pression démographique est trop forte comme c’est le cas en Guyane ou à Mayotte. Dans les territoires où la croissance démographique est particulièrement rapide, les collectivités font face à un défi majeur : elles peinent à fournir les infrastructures éducatives nécessaires pour garantir un enseignement de qualité, conforme aux standards de la République Française. Ce ne sont pas des problèmes qu’un seul acteur peut résoudre.

“Les élus locaux connaissent intimement la réalité de leurs territoires et ont donc un rôle crucial à jouer en engageant le dialogue avec le pouvoir central et en formulant des propositions.”

J’aimerai insister sur un point :  la pauvreté offensive n’est que l’ombre portée de problèmes sociaux plus larges. A cause des nombreuses inégalités sociales, les enfants issus de milieux défavorisés sont souvent piégés dans un cycle de pauvreté, condamnés à reproduire les inégalités dont ils sont victimes. Cela crée un cercle vicieux difficile à briser, où la pauvreté semble se maintenir indéfiniment. Il faut s’attaquer à la racine du mal, autrement dit à ce phénomène persistant de la pauvreté et de l’inégalité, souvent issu de l’histoire coloniale. Cela est possible en mobilisant de manière durable les acteurs locaux et nationaux mais aussi en s’appuyant sur un cadre normatif investi par des propositions venant des côtés. Dans tous les cas, le problème à résoudre est le suivant : comment faire en sorte que la précarité ne devienne plus une sorte d’héritage transmis de génération en génération dans les familles.

Ce que l’on peut réaliser, c’est que la cherté de la vie ne représente que la partie visible de l’iceberg. Faut-il alors comprendre que la pauvreté infantile est principalement attribuable aux problèmes sociaux résultant du passé colonial ?

Tout à fait. La vie chère existe bien évidemment, et ses conséquences de même. Toutefois, trouver des solutions aux problèmes qu’elle engendre ne résoudra entièrement pas le problème. Il faut surtout revenir sur ces inégalités qui rongent les sociétés ultramarines.

Pour y parvenir, que doit faire concrètement le gouvernement français ?

Je pense qu’il faut d’abord que les élus locaux dans une démarche de co-construction fassent des propositions à soumettre au gouvernement. Si nous nous contentons d’attendre que le gouvernement prenne des décisions, je crains que nous ne puissions pas réellement progresser. Les élus locaux connaissent intimement la réalité de leurs territoires et ont donc un rôle crucial à jouer en engageant le dialogue avec le pouvoir central et en formulant des propositions.

Il existe déjà des mesures qui sont prises pour régler tous ces problèmes, mais la plupart d’entre eux ont des portées assez limitées, ne permettant pas de sortir de ce cercle vicieux dont je parlais tout à l’heure. Par conséquent, il faut se tourner vers des mesures structurelles, afin de réduire cette pauvreté, faisant d’elle ainsi une cause à la fois nationale et ultramarine.

Certains élus ultramarins tels que Karine Lebon, député PCF de la Réunion s’efforcent justement de proposer des solutions aux gouvernements français pour résoudre ce problème. Peuvent-t-ils jouer un autre type de rôles sur leurs territoires respectifs ?

“Ce ne sont pas des problèmes qu’un seul acteur peut résoudre.”

Les députés comme madame Karine Lebon sont tout à fait dans leur rôle. Il faut saluer leur volonté d’élaborer des propositions plutôt que d’attendre qu’elles émanent du pouvoir central. Étant en relation directe avec les territoires qu’ils représentent, ils ont la responsabilité de formuler ces propositions de loi afin de faire valoir les intérêts des Outre-mer. Après l’achèvement du processus législatif parlementaire, il est peut-être nécessaire qu’ils redoublent d’efforts pour cette cause.

Comment le gouvernement et les élus locaux doivent-ils collaborer pour trouver des solutions concrètes ?

Il est indéniable que la collaboration actuelle reste limitée, notamment entre les parlementaires, les autorités parisiennes et les élus locaux. Pour renforcer cette collaboration, je suggère une approche en deux volets.

Tout d’abord, les parlementaires pourraient sensibiliser le pouvoir central aux problèmes rencontrés par les territoires. Cependant, cette démarche a jusqu’à présent montré ses limites.Ensuite, il serait pertinent d’activer les espaces de collaboration existants, tels que les conférences territoriales de l’action publique. Bien que les parlementaires n’en fassent pas partie, cette approche pourrait favoriser une meilleure coordination, même si leur efficacité actuelle est discutable, notamment en Outre-mer.

En outre, le modèle du congrès des élus pourrait être exploré, malgré le fait que la discussion de l’action publique ne soit pas la vocation première des élus. Dans le contexte actuel, il est important de faire preuve d’imagination pour favoriser une collaboration plus aboutie et donner du poids aux mesures envisagées et proposées au gouvernement. Je suis convaincu qu’un consensus émergeant sur un enjeu majeur dans un territoire renforcerait la légitimité des propositions à discuter avec l’État central.

Même si la vie chère reste très présente sur les territoires ultramarins, y a-t-elle tout de même une solution afin de réduire son impact sur la jeunesse, selon vous ?

Il est vrai que des mesures ponctuelles, telles que des compensations ou des initiatives ciblées vers la jeunesse, peuvent être envisagées pour atténuer les effets de la précarité financière. Cependant, il est insuffisant de se fier uniquement à un modèle où les aides sociales agissent souvent comme un palliatif à l’absence de revenus stables, sans s’attaquer à la véritable cause du problème : le coût de la vie lui-même.

Je constate que le gouvernement actuel a exprimé à plusieurs reprises sa volonté de s’attaquer au problème de la cherté de la vie. Toutefois, cela nécessite également une réflexion locale sur des propositions concrètes. Nous savons que le niveau de vie est un facteur explicatif de cette situation de précarité financière, et il est nécessaire d’avoir le courage politique de s’y attaquer.

Propos recueillis par Thibaut Charles

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