16 avril 2020.
(The Conversation.)
Étant donné le caractère global de la crise actuelle, on peut d’ailleurs se demander quelle stratégie de diversification aurait été pertinente à partir du moment où toutes les grandes zones économiques sont touchées par des mesures de confinement et des arrêts de production. La désynchronisation des chocs, entre l’Asie, d’une part, et l’Europe et les États-Unis d’autre part, pourrait par ailleurs permettre aux pays en confinement de bénéficier de l’offre étrangère, notamment de masques et de matériel médical chinois ou coréens aujourd’hui.

En période normale, l’ouverture commerciale permet de réduire la volatilité du revenu national en diversifiant l’exposition aux chocs domestiques notamment. Ainsi, c’est peut-être davantage l’organisation en flux tendu de la production qui pourrait être remise en cause par la crise actuelle que l’existence des chaînes de production mondiales.

La méthode de production à flux tendu est largement issue du toyotisme, système qui vise à minimiser les stocks et les en-cours de fabrication. Photo prise dans une usine Toyota à Onnaing en France. Pascal Rossignol/AFP
Le déploiement des chaînes mondiales de production et leur organisation en flux tendu répondent à une logique de réduction des coûts pour les entreprises. Toute décision de relocalisation visant à assurer la résilience des chaînes d’approvisionnement entraînerait une augmentation du coût de production.

Ainsi, sans mesures fortes de politique économique, les facteurs ayant conduit au développement des chaînes de valeur mondiales devraient ainsi largement maintenir la dépendance des économies aux approvisionnements étrangers. À ce titre, le constat, préexistant à la crise, d’une forte compétitivité des multinationales françaises au niveau mondial, mais de leur désaffection pour le sol national lorsqu’il s’agit d’activités de production, ne devrait pas changer du fait de la crise.

Privilégier davantage le territoire européen ?

Du point de vue des États, les pénuries de matériel médical, de protection et de médicaments, associées aux restrictions aux exportations mises en place par certains pays, ont illustré les risques liés à une dépendance aux importations pour la disponibilité de certains produits critiques en période de crise sanitaire.

Sans préjuger de tournants politiques plus fondamentaux, ces évènements devraient déjà conduire à réévaluer la criticité de certains produits et à organiser la sécurisation de leur approvisionnement (à l’image de secteurs comme la défense et la sécurité, certaines matières premières critiques ou l’alimentation), soit en influençant la localisation de leur production, soit en garantissant leur disponibilité par la constitution de stocks stratégiques.

Délimiter l’éventail de produits critiques nécessaires au bon fonctionnement de l’État et à la vie de la Nation en période de crise est en soi une question qui va bien au-delà de ce billet et plus généralement de l’analyse économique. Deux dimensions en lien avec la mondialisation méritent cependant d’être soulignées :

Celle du périmètre de la production des produits critiques : les médicaments, par exemple, étant produits à partir de principes actifs, eux-mêmes produits à partir de matières premières naturelles ou de produits chimiques, quels pans de la chaîne de valeur doivent être considérés comme critiques et relocalisés ? Ces décisions nécessitent d’analyser l’importance de chaque intrant dans le processus de production, les possibilités de substitution par d’autres produits et les risques de rupture de leur approvisionnement, liés notamment à la concentration de la production.

Celle du lieu de production ensuite : faut-il se limiter au territoire national ou considérer un espace plus vaste comme l’Union européenne ? Renforcer la résilience des sources d’approvisionnement de certains produits passe par une analyse des risques (sanitaires, environnementaux, géopolitiques) attachés à différentes sources d’approvisionnement. Différents pays présentent divers niveaux de risques : de ce point de vue, l’Union européenne est fondamentalement un espace de coopération au sein duquel le risque de rupture d’approvisionnement en période de crise est réduit.

Sur les questions connexes de conflictualité, l’intégration européenne a en effet permis, au-delà des gains commerciaux liés au marché unique, de réduire les risques de conflits armés en renforçant l’interdépendance commerciale entre pays membres et par la création d’institutions supranationales facilitant la résolution des conflits.

L’échelle européenne est par ailleurs celle à laquelle s’organise déjà une large part des chaînes de valeur dans lesquelles les entreprises françaises sont intégrées. Les réflexions sur les risques liés à la spécialisation des économies ne peuvent négliger les coûts de relocalisation des activités (pour les entreprises et les consommateurs) et les gains de niveau de vie de l’ouverture commerciale.

Ainsi, l’échelon européen apparaît comme le cadre pertinent de potentiels arbitrages entre souveraineté et coûts des politiques de sécurisation d’approvisionnement (par la relocalisation de certains pans de production ou la constitution de stocks). Pour ces secteurs jugés stratégiques en réaction à la crise sanitaire, dont le périmètre dépendra des évolutions politiques dans l’après-crise, on pourrait donc assister à des relocalisations d’activités de production sur le territoire national combinées à une régionalisation des chaînes de valeur au niveau européen.

Interroger l’organisation des multinationales

Plus qu’une remise en cause directe de la division internationale du travail, la crise vient d’abord rappeler la nécessaire complémentarité entre la mondialisation et rôle de l’État, à même de lutter contre les risques systémiques.

Ce sont donc les aspects des chaînes de valeur mondiales qui réduisent la capacité des États à se financer, en facilitant tant l’évitement fiscal des multinationales que la concurrence fiscale entre États, qu’il convient d’interroger. La complexification des chaînes de détention des multinationales sans lien avec leur activité réelle, au travers de structures dans les paradis fiscaux notamment européens, reste problématique : elle permet aux entreprises de réduire leur imposition au niveau mondial et en France particulièrement.

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