SOURCE : Cour des comptes – Communication à la commission des finances du Sénat
Garantir un accès fiable à l’eau potable et à des services d’assainissement performants est un enjeu majeur en Outre-mer. Pourtant, ces territoires font face à des infrastructures souvent vétustes, une gouvernance instable et des conditions climatiques extrêmes, rendant la gestion de l’eau particulièrement complexe. Lancé en 2016, le Plan “Eau Dom” vise à améliorer durablement la situation en mobilisant l’État, les collectivités locales et les acteurs du financement. Huit ans après sa mise en place, un rapport de la Cour des comptes dresse un état des lieux de son efficacité et pointe les défis restant à relever pour garantir un service public performant et pérenne.
Un engagement renforcé de l’État, mais un pilotage à améliorer
Le Pedom repose sur un principe de mutualisation des moyens et des compétences, mobilisant l’État, les collectivités locales et divers organismes de financement (Agence française de développement, Banque des territoires, Office français de la biodiversité). Cette dynamique intégrée vise à garantir une gouvernance plus efficace et une meilleure répartition des ressources.
Le financement des infrastructures d’eau et d’assainissement représente un investissement colossal estimé à 2,3 milliards d’euros, dont 889 millions d’euros ont déjà été mobilisés par l’État et ses partenaires sous forme de subventions et de prêts. Depuis 2016, les subventions annuelles de l’État ont triplé, atteignant 45 millions d’euros en 2024. Par ailleurs, le fonds de solidarité interbassins, destiné à redistribuer les financements entre les territoires, a été porté à 35 millions d’euros en 2024, avec une augmentation prévue à 55 millions en 2025.
Toutefois, la mise en œuvre du plan se heurte encore à des difficultés. Le pilotage national, bien que renforcé, peine à suivre l’évolution des projets locaux. Les financements, bien que conséquents, ne sont pas toujours mobilisés efficacement en raison de lourdeurs administratives et de retards dans les décisions des collectivités.
Des contrats de progrès limités par une gouvernance fragile
L’une des pierres angulaires du Pedom est le système des contrats de progrès, qui conditionne l’octroi des financements à des engagements de résultats de la part des collectivités locales. En théorie, ces contrats permettent d’assurer un suivi rigoureux des investissements et d’améliorer la performance des services d’eau et d’assainissement.
Cependant, leur application reste imparfaite. En effet, les indicateurs de suivi, trop nombreux et techniques, ne sont souvent pas renseignés ou sont inexploitables, ce qui réduit l’efficacité du dispositif de conditionnalité. Par ailleurs, la gouvernance locale des services de l’eau souffre de crises récurrentes, en raison d’une instabilité institutionnelle et d’un manque de coordination entre les différents acteurs. La multiplication des réformes territoriales et la redéfinition des compétences ont parfois accentué ces dysfonctionnements.
La Cour des comptes recommande de simplifier les critères de suivi des contrats de progrès et de renforcer le contrôle des services publics délégués, tout en impliquant davantage les usagers dans la gestion et le pilotage de ces services.
Le rôle de l’État entre soutien et autonomie des collectivités
Historiquement, l’État a joué un rôle clé dans l’accompagnement technique et financier des collectivités d’Outre-mer en matière d’eau et d’assainissement. Cependant, la suppression progressive de l’ingénierie publique a laissé certaines collectivités démunies, sans expertise suffisante pour assurer un pilotage efficace des projets.
Pour pallier cette carence, l’État a mis en place des dispositifs d’assistance technique, parfois coûteux et mal adaptés aux besoins réels des territoires. La Cour des comptes souligne l’importance de réaliser un retour d’expérience sur ces dispositifs et d’investir davantage dans la formation des professionnels de l’eau en Outre-mer.
Par ailleurs, la capacité d’intervention de l’État en cas de crise reste un sujet de débat. Si le Pedom mise sur le retour à une pleine autonomie des collectivités dans la gestion de leurs services d’eau et d’assainissement, les récentes crises en Guadeloupe, Mayotte et Martinique ont montré que l’État devait parfois reprendre temporairement la main pour assurer la continuité du service public.
Financer l’eau et l’assainissement : une équation délicate
Le modèle de financement de l’eau en Outre-mer repose sur le principe selon lequel « l’eau paye l’eau », c’est-à-dire que les services doivent s’autofinancer via la facturation aux usagers. Or, ce modèle se heurte à plusieurs obstacles dans ces territoires :
- Coûts élevés des infrastructures : en raison de conditions géographiques, climatiques et urbaines spécifiques, les coûts d’exploitation sont souvent supérieurs à ceux de la France hexagonale.
- Faible capacité contributive des populations : dans certains territoires, les ménages précaires consacrent jusqu’à 25 % de leur revenu au paiement de l’eau, contre 1,4 % en moyenne en métropole.
- Taux de recouvrement des factures très bas, alimentant un cercle vicieux : le non-paiement entraîne un défaut d’entretien et de service, renforçant la défiance des usagers et leur réticence à payer.
Pour sortir de cette impasse, les juridictions financières recommandent de mieux adapter les tarifs et les mécanismes de recouvrement à la réalité socio-économique des territoires ultramarins. Elles préconisent également un renforcement de la solidarité nationale via des dispositifs de péréquation plus ambitieux.
Vers une adaptation des solutions aux réalités locales
L’une des principales conclusions du rapport est la nécessité d’adapter les politiques de l’eau aux spécificités des territoires ultramarins. Contrairement à la métropole, où les standards nationaux s’appliquent de manière homogène, l’Outre-mer nécessite des solutions différenciées :
- Assainissement adapté aux réalités locales : développement de solutions semi-collectives ou individuelles pour répondre aux défis des habitats dispersés, notamment en Guyane et à Mayotte.
- Valorisation des ressources alternatives : expérimentation de la récupération des eaux de pluie et de solutions de filtration innovantes pour sécuriser l’accès à l’eau potable.
- Simplification des procédures administratives : allègement des contraintes normatives pour accélérer la mise en œuvre des projets.
Un rapport accessible au public
Le rapport de la Cour des comptes met en lumière les progrès réalisés grâce au Pedom, tout en identifiant des axes d’amélioration essentiels pour garantir un accès équitable et durable à l’eau potable et à l’assainissement en Outre-mer.
Le rapport complet est téléchargeable sur le site de la Cour des comptes (www.ccomptes.fr) et constitue une ressource précieuse pour comprendre les enjeux et les perspectives de la gestion de l’eau et de l’assainissement dans ces territoires.