« Il faut faire renaître chez chaque Martiniquais le réflexe du réemploi »
Conseiller territorial à la Collectivité Territoriale de Martinique et président de la commission Transition écologique, énergétique, mutation et pollutions, Alexandre Ventadour est l’un des artisans de la dynamique actuelle en faveur de l’économie circulaire sur notre territoire. À l’occasion du lancement officiel du projet Nou Ka Viré, lauréat de l’Appel à Manifestation d’Intérêt pour le réemploi du verre, il revient sur les ambitions de la CTM, les enjeux environnementaux et économiques, et la vision à long terme d’une Martinique plus sobre, plus autonome et plus cohérente écologiquement.
Pourquoi avoir lancé un AMI sur le réemploi des emballages en verre, et pourquoi soutenir Nou Ka Viré ?
Nous avons lancé cet AMI parce que nous sommes convaincus qu’il faut sortir du modèle linéaire où l’on produit, consomme et jette, pour entrer dans un modèle circulaire. Et dans le cas des bouteilles en verre, on a là une opportunité très concrète de le faire. Ce n’est pas tout à fait une consigne, comme l’a rappelé monsieur Raymond, mais on en est proche dans l’esprit : une gratification pour un geste utile, simple, local, qui permet à un emballage d’avoir plusieurs vies.
Nous avons retenu Nou Ka Viré parce que le projet est mûr, crédible, et surtout parce qu’il est déjà en action. Ce n’était pas une simple intention, mais une initiative concrète, avec des équipements, un local, des partenaires, une logistique en place. On a vu la démonstration, et tout le monde pouvait se projeter. Si demain il faut multiplier par dix la capacité, le modèle est prêt à évoluer, avec très probablement la continuité via d’autres appels à projets.
Vous parlez d’une démarche d’économie circulaire. Que représente ce projet dans la stratégie globale de la CTM ?
Ce projet, c’est une première brique, mais elle s’inscrit dans une stratégie bien plus large. La CTM a voté un plan pour l’économie circulaire doté d’un budget de 100 millions d’euros sur 7 ans, en combinant nos fonds propres et ceux de l’Union européenne. Ce n’est pas un effet de mode : c’est une nécessité.
Nous produisons trop de déchets pour trop peu de capacités de traitement. Alors bien sûr, certains plaideraient pour des incinérateurs ou d’autres technologies lourdes. Mais ce n’est pas le sens de l’histoire. Le vrai enjeu, c’est de produire moins de déchets. Et pour cela, il faut structurer des filières de réemploi, comme celle du verre, mais aussi demain du plastique, du compost, des déchets ménagers…
Les Martiniquais sont-ils prêts à jouer le jeu du réemploi selon vous ?
Oui. Et je dirais même que, contrairement à une idée reçue, le Martiniquais est plus conscient que ce que l’on pense. Il y a une mémoire collective autour de la consigne. Beaucoup se souviennent qu’on ramenait les bouteilles à la boutique du coin. Mais plus que cela, il y a une conscience environnementale réelle, et une volonté d’agir — à condition qu’on leur donne les moyens de le faire.
Là, on a un dispositif simple : une borne automatique dans les supermarchés, une gratification modeste, mais suffisante pour enclencher une dynamique. Et surtout, une promesse claire : ce que vous rapportez va être lavé, reconditionné, et réutilisé ici, en Martinique. Ce n’est pas une illusion de recyclage. C’est du concret.
Quels sont les principaux freins à cette ambition ? Où voyez-vous les difficultés ?
La principale difficulté, c’est la montée en échelle.
On le voit bien, Julien Raymond a mis en place un dispositif très malin, très efficace, mais encore modeste. Il faut maintenant augmenter les volumes, embarquer davantage d’industriels, et convaincre certains acteurs encore hésitants.
Il y a aussi des freins techniques, logistiques, financiers : passer à des étiquettes hydrosolubles, adapter les chaînes de production, créer des formats standards, etc. Tout cela demande du temps et de l’investissement. Et c’est là que notre rôle, en tant que collectivité, est de faciliter, d’accompagner, de cofinancer parfois, pour créer les conditions d’un écosystème viable.
Vous évoquez souvent la question de la culture du réemploi. Est-ce une priorité dans votre action ?
Absolument. Pour moi, la réussite ne se mesurera pas uniquement en tonnes de verre collectées. Mon objectif profond, c’est de faire renaître chez chaque Martiniquais le réflexe du réemploi, comme on a aujourd’hui le réflexe de ne pas jeter un papier par terre. Si, demain, quelqu’un qui achète une bouteille pense automatiquement qu’elle doit retourner dans une recyclerie, alors on aura gagné.
Il faut réinstaller cette logique dans les esprits : un objet a une valeur, il a une vie, et on ne le jette pas sans raison. C’est une révolution culturelle, mais je pense qu’on est prêts. Et ce projet en est la démonstration.
D’autres AMI sont-ils prévus dans ce domaine ?
Oui, clairement. Ce format a montré son efficacité. Nous allons le reproduire dans d’autres domaines liés à la transition écologique : la gestion des biodéchets, la récupération des plastiques, l’économie de la réparation… Ce qui est important, c’est la collaboration : entre la CTM, l’ADEME, les éco-organismes comme Citeo, les entreprises locales et les citoyens.
C’est cette co-construction, ce jeu collectif, qui nous permettra de transformer nos pratiques durablement. Et Nou Ka Viré en est un premier symbole, très prometteur. Ce n’est pas une fin, mais un début.
Philippe PIED