Alors que le film Les algues vertes est actuellement projeté dans les salles de cinéma, le sujet bat son plein dans les tribunaux. Par trois décisions du 18 juillet 2023, le tribunal administratif de Rennes reconnait le préjudice écologique découlant de l’atteinte à la biodiversité par les amas persistants d’algues vertes et la responsabilité de l’Etat dans la mauvaise gestion de cette pollution, et le contraint à agir dans un délai de quatre mois.


Avec un commentaire de la lectrice qui nous a envoyé ce texte :

” Qu’attendons – nous, nous ? “


« Peut encore mieux faire ». Voici les termes employés par le tribunal administratif de Rennes dans son communiqué sur ses trois décisions rendues le 18 juillet 2023 concernant des contentieux relatifs à la pollution due aux algues vertes en Bretagne.

Cela fait pourtant des décennies que la Bretagne est confrontée à l’échouage d’algues vertes sur une grande partie de son littoral. La forte concentration de nitrates dans les cours d’eau, qui est principalement d’origine agricole, en est la cause majeure selon les scientifiques.

Cela ne peut plus durer. Ainsi, les associations de défense de l’environnement ne laissent aucun répit aux pouvoirs publics quant au respect de la réglementation visant à la protection des espèces et des milieux. Et les choses bougent enfin ! Dans une décision inédite, le tribunal administratif de Rennes vient de reconnaitre la carence fautive de l’Etat dans la gestion des algues vertes et donc un préjudice écologique (TA Rennes, 18 juill. 2023, aff. n° 2101565).

Remarque : voir aussi, les décisions récentes rendues par le tribunal administratif de Rennes dans des contentieux portés par des associations concernant les pesticides « S-métolachlore dans les EDCH : pas de risque exceptionnel propre au territoire breton, et aux départements du Finistère et des Côtes d’Armor » du 13 juillet 2023 et « Les eaux de baignades peuvent être qualifiés d’épisodes de pollutions de court terme » du 12 juillet 2023. Le tibunal administratif de Paris a également récemment reconnu le préjudice écologique en raison de la carence fautive de l’Etat dans le cadre de la réglementation des produits phytophamarceutiques : « Condamnation historique de l’Etat pour préjudice écologique lié à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques » du 7 juillet 2023.

Les amas persistants d’algues vertes constituent un préjudice écologique

Pour rappel, l’association Sauvegarde du Trégor-Goëlo-Penthièvre avait alerté le préfet des Côtes-d’Armor des conséquences délétères des marées vertes pour la biodiversité de la Baie de Saint-Brieuc, classée comme réserve naturelle, faisant prévaloir que la persistance des algues sur le littoral générait un dommage environnemental. Selon l’association, les marées vertes ont des effets dévastateurs sur les écosystèmes marins, particulièrement sur ceux présents en eaux peu profondes, sont à l’origine de nuisances olfactives et visuelles pour les usagers du littoral et sont la source d’émission d’hydrogène sulfuré (H2S) suite à la décomposition des algues, qui est un gaz toxique présentant un risque sanitaire pour l’homme comme pour les animaux. En cause, la carence du préfet dans l’exercice de ses pouvoirs de police n’ayant pris aucune mesure pour mettre un terme à ce dommage.

Parmi les éléments de preuve appuyant la requête de l’association on peut citer :
– un communiqué du conseil scientifique de l’environnement de Bretagne (CSEB) de septembre 2009 indiquant que les études menées sur les sites de développement des algues vertes avaient permis de confirmer que l’azote est le facteur de contrôle de la production printanière de biomasse et que le nitrate d’origine agricole est l’élément nutritif qui détermine l’intensité des marées vertes en Bretagne ;
– un rapport de la Cour des comptes relatif à l’évaluation de la politique publique de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne pour la période 2010-2019 relevant que la Baie de Saint-Brieuc est la baie bretonne la plus touchée par le phénomène d’échouage algal, que la teneur en nitrate dans les cours d’eau de la baie est bien supérieure à celle régionale, et qu’il existe des retards notables quand à la réalisation d’objectifs d’amélioration des pratiques agricoles et des systèmes de productions. Les magistrats financiers recommandent donc une meilleure gouvernance territoriale de l’Etat tant sur le plan préventif que curatif ;
– un rapport d’information du Sénat du 9 février 2022 déplorant la baisse significative des contrôles et la prise de mesures en amont du ramassage des algues.

Malgré la signature d’un contrat de baie dans le cadre du plan de lutte contre les algues vertes (PLAV), la carence fautive du préfet des Côtes-d’Armor est reconnue concernant son accompagnement des exploitants agricoles dans la gestion efficiente de l’azote, car il n’a pas pris les mesures nécessaires au titre de son rôle de police des ICPE pour réduire les dangers et inconvénients liés à l’exploitation des élevages et des cultures.

De plus, si le préfet se prévaut de l’élaboration d’une zone soumise à contraintes environnementales (ZSCE) pour la Baie de Saint- Brieuc et d’un plan d’actions sur trois ans, toutefois les actions prévues de réduction des fuites d’azote sous les parcelles agricoles par des pratiques agronomiques, d’amélioration de la couverture des sols, d’amélioration de la gestion des cultures, de protection des zones humides et des cours d’eau visant à améliorer le pouvoir épuratoire des milieux et l’amélioration de la gestion des cultures maraîchères et des cultures sous serres, reposent principalement sur un engagement volontaire des partenaires. De plus, le seul fait que le préfet affirme pouvoir compter sur des moyens tant financiers qu’humains renforcés ne saurait suffire à considérer qu’un tel dispositif est susceptible de produire davantage d’effets que les plans antérieurement mis en place. Sa carence fautive dans la mise en œuvre de ses pouvoirs pour assurer la préservation de la biodiversité est donc établie.

En conséquence, le tribunal administratif de Rennes a jugé que les atteintes portées à la biodiversité de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc par les amas persistants d’algues vertes constituent un préjudice écologique. Et que seul un contrôle strict des rejets azotés dans les eaux côtières est susceptible de constituer une action efficace permettant une remise en état progressive du milieu endommagé par l’eutrophisation.

Quatre mois pour agir !

Pour la première fois, l’État français se voit imposer un délai contraint pour renforcer la lutte contre le fléau des marées vertes qui empoisonne une partie des côtes bretonnes. Ainsi, suite à la reconnaissance du préjudice écologique, il est donc enjoint au préfet des Côtes-d’Armor de prévoir, dans un délai de quatre mois :
– de fixer de nouvelles prescriptions applicables aux installations classées pour la protection de l’environnement à l’origine des fuites d’azote dans le milieu naturel, propres à limiter l’apport azoté total dû aux engrais aux besoins des cultures afin de permettre une réduction effective du phénomène d’eutrophisation, selon des seuils conformes aux préconisations scientifiques ;

– et de programmer un contrôle périodique de l’ensemble des exploitations agricoles situées sur le territoire de la réserve naturelle de la Baie de Saint-Brieuc.

L’Etat a également quatre mois pour agir dans le cadre d’un autre contentieux dont la décision a également été rendue le 18 juillet 2023 par ce même tribunal par laquelle il est enjoint au Préfet de Région de compléter l’arrêté du 21 novembre 2021 renforçant le 6ème programme de lutte contre les nitrates agricoles, sur les baies algues vertes (TA Rennes, 18 juill. 2023, aff. n° 2206278). Dans cette affaire, selon l’association Eau & Rivières de Bretagne, si l’arrêté du 18 novembre 2021 par lequel le préfet de la région Bretagne a modifié son arrêté du 2 août 2018 établissant le sixième programme d’actions régional (PAR) pour assurer l’exécution de la décision du tribunal du 4 juin 2021, enjoignait toute mesure de maîtrise de la fertilisation azotée efficace pour pallier l’insuffisance constatée du programme, les mesures prises, bien qu’allant dans le bon sens, n’apparaissent pas suffisamment exigeantes en ce qui concerne la définition des seuils de déclenchement des mesures correctrices, ni suffisamment contraignantes par l’effectivité des contrôles.

Selon l’association Eau et Rivières de Bretagne, le tribunal envoie « un signal important » à l’État qui va devoir « passer à la vitesse supérieure ».

Enfin, suite à une requête de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de Bretagne, du syndicat Jeunes Agriculteurs de Bretagne et de l’Union des groupements de producteurs de viande de Bretagne, le tribunal a constaté que l’arrêté du 18 novembre 2021 précité n’avait pas été précédé de la consultation, pourtant obligatoirement requise par le code de l’environnement, du conseil régional de Bretagne, de la chambre régionale d’agriculture et de l’agence de l’eau. Ce vice de procédure justifiait donc à lui seul l’annulation immédiate et rétroactive de cet arrêté. Afin d’éviter un vide juridique, le tribunal donc décidé de différer de quatre mois les effets de l’annulation qu’il a prononcée c’est-à-dire au 18 novembre 2023, afin de permettre au préfet de régulariser (TA Rennes, 18 juill. 2023, aff. n° 2202537).

Selon l’association, il reste maintenant à l’État de prendre ses responsabilités et de proposer dans les prochaines semaines d’intégrer les nouvelles dispositions demandées par le juge à son nouveau Plan d’Action Régional (PAR7) nitrates, qui s’applique jusqu’en 2026. A suivre !

Anne-Laure Tulpain, Code permanent Environnement et nuisances

TA Rennes, 18 juill. 2023, aff. n° 2101565
TA Rennes, 18 juill. 2023, aff. n° 2206278
TA Rennes, 18 juill. 2023, aff. n° 2202537
Communiqué du tribunal administratif de Rennes, 18 juill. 2023 Communiqué de l’association Eau & Rivières de Bretagne, 18 juill. 2023

Études concernées

Responsabilité environnementale Pollution agricole des eaux

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