Il y a bien sûr des différences, mais les ressemblances dans l’enchaînement des événements sont troublantes .

Image:Attaque de l’Hôtel de Ville de Paris, le 28 juillet 1830, tableau de Joseph Beaume. | Château de VersailleS

Quand j’ai eu cette idée folle d’écrire une biographie de Balzac, j’ai été frappée par la ressemblance entre son époque et la nôtre. Balzac a fait l’essentiel de sa carrière sous la monarchie de Juillet, un régime bourgeois dirigé par un roi-citoyen pour qui le mérite (et donc les droits) se calculait en fonction de la fortune. Il m’est apparu assez vite que la vie de Balzac permettait de s’interroger sur nos propres existences mais il y a une série d’événements que je n’ai pas évoquée dans mon livre.

Il se trouve que la monarchie de Juillet est installée depuis deux ans quand une épidémie de choléra arrive en France. Elle avait démarré en Inde et les dirigeants français avaient d’abord pensé qu’elle n’arriverait jamais jusqu’à l’Hexagone parce que… eh bien, sans doute parce qu’ils pensaient qu’elle s’arrêterait gentiment à la frontière.

Bref, en 1832, en mars pour être précise (tiens, tiens) la maladie fait sa première victime à Paris. Au début, les journaux en plaisantent. Personne ne prend ça très au sérieux. Mais le nombre de décès se multiplie de jour en jour. Les Parisiens les plus fortunés quittent alors la ville pour se réfugier à la campagne. C’est le cas de Balzac, qui n’a pas de fortune mais une maîtresse dévouée, Madame de Berny, qui l’emmène dans une de ses propriétés dans l’Oise. Il y reste à l’abri de la maladie et des événements (cet homme avait un vrai talent pour passer à côté des moments historiques, c’est-à-dire deux révolutions et une insurrection).

Dans les grandes villes comme Paris ou Marseille, la situation ne cesse de s’aggraver. Les médecins ne comprennent pas cette maladie, on entend des préconisations contradictoires. Et puis, comme la maladie touche avant tout les pauvres, on s’imagine que c’est une sorte de punition pour leur alcoolisme/saleté/impiété/guillotinage de roi.

Certains pauvres, de leur côté, se demandent si ce ne serait pas les patrons et le gouvernement qui les empoisonnent exprès pour les affaiblir. Il faut dire que la France connaît pas mal de mouvements sociaux. De nos jours, on parlerait d’un pays fracturé. Il y a eu la révolution de 1830 et la révolte des canuts. Alors peut-être que cette pandémie arrangeait bien le gouvernement…

La meilleure amie de Balzac, la géniale Zulma Carraud, lui écrit avec philosophie: «Nous subirons le choléra comme nous subissons le gouvernement.»

L’immuable désir d’égalité

Mais en juin (tiens, tiens), la révolte reprend. Je vous passe les détails, grosso modo un des opposants au régime, le général Lamarque, meurt du choléra et ses funérailles, le 5 juin, virent assez vite au rassemblement politique et à la manif. Il y a des affrontements avec les forces de l’ordre (même si une partie de la garde nationale fraternise avec les insurgés) et des barricades.

Des députés demandent au roi d’arrêter ce bain de sang et de changer sa politique. À la place, il déclare Paris en état de siège. Les insurgés sont arrêtés et condamnés. (Toutes mes plus sincères excuses aux historien·nes pour ce très grossier résumé.)

Cette insurrection de 1832, on ne l’étudie pas à l’école mais tout le monde la connaît sans la connaître parce que c’est celle que raconte Victor Hugo dans Les Misérables.

Et l’épidémie dans tout ça? De mars à septembre 1832, on compta 18.500 morts du choléra à Paris, 100.000 dans toute la France. Comme l’a raconté l’historienne des révolutions Mathilde Larrère, faute de payer les étudiants en médecine qui avaient apporté leur aide pendant l’épidémie, et alors qu’on promettait aux médecins une prime, le gouvernement voulut leur remettre une médaille. Ça ra

Après le jeu des ressemblances entre les deux époques, on pourrait bien sûr énumérer la liste bien plus longue des différences. Et elle serait sans doute aussi intéressante –vu les incroyables variétés et nuances des modes de domination. Mais ce qui ne change pas, c’est chez les dominé·es le désir profond d’être traité·es à égalité. Ce ressort intime qui fait que l’inégalité devient à un moment, pour celles et ceux qui la subissent, une injustice insupportable. Tellement insupportable qu’on a besoin de sortir de chez soi pour le crier, tellement insupportable que commence à poindre l’espoir que les choses pourraient changer, qu’on pourrait inventer une société moins maltraitante, moins dure, moins injuste.

Vers la révolution

Mais ce qui ne semble pas changer non plus, c’est la réponse à cette demande d’un présent meilleur. Cette réponse, c’est toujours la répression par la force. Les sabres, les épées, les fusils, les canons, les matraques, les tasers, les gaz sont l’expression du pouvoir face aux demandes de justice des dominé·es.

Le personnage de Gavroche avait été inspiré à Victor Hugo par le tableau de Delacroix qui représentait la révolution de 1830.

La Liberté guidant le peuple, tableau d’Eugène Delacroix (1830). | Musée du Louvre via Wikimedia Commons

De nos jours, Gavroche est un enfant noir. Et il réclame toujours la même chose: l’égalité.

Couverture de juillet 2020 du magazine Rolling Stone.

Et que se passa-t-il après juin 1832? Si le gros de l’épidémie était passé en France, cette pandémie de choléra dura à l’échelle mondiale une vingtaine d’années par intermittence

Des mouvements sociaux continuèrent d’éclater en France (notamment quand des patrons voulurent baisser les salaires pour des raisons économiques). Le gouvernement restreignit la liberté de la presse et renforça l’appareil répressif contre les insurgé·es et autres manifestant·es.

Ceci, jusqu’à la révolution de 1848 qui mit fin au règne de Louis-Philippe et aboutit à un nouveau régime (la Deuxième République), qui fut très vite récupéré par Napoléon III pour en faire le Second Empire.

Je laisserai la conclusion à ma chère Zulma Carraud qui écrivait dans une lettre à Balzac: «Je hais tout pouvoir en ce que je n’en ai pas encore rencontré un de juste.»

Quant à Honoré, il tenta de draguer Zulma et se prit le plus gros râteau de sa vie.

Ce texte est paru dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq.

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