Avant même que ne débute la conférence organisée par Tous Créoles autour de la figure de Frantz Fanon et de son humanisme, un communiqué du Cercle Frantz Fanon est venu exprimer une réprobation sans équivoque. Loin d’être une simple mise en garde, ce texte prend la forme d’une dénonciation, s’appuyant sur un extrait des Damnés de la Terre :
« Je dis qu’aucun discours, aucune proclamation sur la culture ne nous détourneront de nos tâches fondamentales qui sont la libération du territoire national, une lutte de tous les instants contre les formes nouvelles du colonialisme, un refus obstiné de nous entre-émerveiller au sommet. »
Tous Créoles assimilationiste
Dans cette perspective, le Cercle Frantz Fanon voit en l’association Tous Créoles une expression contemporaine de l’idéologie assimilationniste et intégrative à la France, toujours perçue comme une puissance coloniale. Selon eux, cette initiative masque la réalité des crimes historiques commis en Martinique et contribue, volontairement ou non, à la perpétuation d’un ordre inique. Loin de remettre en question les structures de domination, elle les conforterait, là où Fanon, au contraire, incarne un penseur de la subversion et du bouleversement radical des rapports de force.
Ainsi, pour le Cercle, réduire la décolonisation à une simple question d’entente entre les différentes composantes ethniques de la société martiniquaise revient à en trahir le sens profond. Il s’agirait non pas d’instaurer un dialogue entre communautés, mais bien de mettre fin aux rapports d’exploitation et de domination sous toutes leurs formes. Dès lors, il leur apparaît indécent que Tous Créoles puisse prétendre rendre hommage à la figure de Fanon, dont l’humanisme ne peut être dissocié d’un impératif de rupture avec le colonialisme et le capitalisme. Reprendre son nom sans assumer cette radicalité reviendrait à édulcorer sa pensée, à ignorer que sa vision exige que les Martiniquais puissent prendre en main leur destin et gérer librement leurs ressources, sans la tutelle de l’État français.
Face à cette critique virulente, j’ai fait le choix, pour la première fois, de répondre. Non dans un esprit de justification ou d’indignation, mais dans la volonté sincère d’instaurer un dialogue.
Des points d’accord
Sur le fond, nous partageons de nombreux points avec le Cercle Frantz Fanon. Nous reconnaissons pleinement que Fanon est une figure majeure de la pensée décoloniale et révolutionnaire, et que son œuvre constitue une critique radicale des systèmes d’oppression. Son humanisme repose sur un refus de toute forme de domination et une quête inlassable de la dignité universelle. Il croyait en la capacité de l’homme à se réinventer, à dépasser les carcans imposés par l’histoire pour tendre vers ce qu’il appelait l’Homme total.
Nous adhérons aussi à son analyse du colonialisme, non seulement comme un système d’exploitation économique et politique, mais aussi comme une violence psychologique destructrice. Psychiatre, Fanon a mis en lumière les effets dévastateurs de l’oppression sur l’individu, affirmant que la libération des peuples passe également par une libération intérieure. Ce travail sur les mécanismes de l’aliénation reste essentiel pour comprendre les luttes postcoloniales d’aujourd’hui.
Mais surtout, nous retenons un aspect central de sa pensée : son rejet des identités figées. Fanon défend une vision universelle de l’identité humaine, au-delà des classifications raciales et culturelles. Il s’oppose à toutes les formes de racisme et de hiérarchisation des peuples, et bien qu’il ait été un révolutionnaire, il ne renie jamais la nécessité du dialogue et de l’écoute. Il ne conçoit pas l’avenir comme un simple renversement des rôles, mais comme une réinvention totale des rapports humains.
Un état d’esprit.
C’est dans cet esprit que nous avons abordé l’organisation de cette conférence. Loin d’occulter la radicalité de Fanon, nous avons cherché à mettre en lumière la profondeur de sa pensée et son actualité brûlante. Son influence dépasse largement son époque : des mouvements antiracistes aux États-Unis, comme ceux qui ont émergé lors des manifestations de Ferguson et Baltimore, aux revendications identitaires dans l’Afrique post-apartheid, en passant par la musique contestataire, Fanon continue de nourrir les combats contemporains.
Nous savons également que son humanisme se distingue de l’humanisme classique européen. Là où ce dernier s’est souvent accompagné de justifications coloniales et esclavagistes, Fanon propose un humanisme qui ne peut naître que du dépassement des structures oppressives. Ce qu’il appelle l’éthique de générosité n’est pas un simple idéal moral, mais une nécessité révolutionnaire. Il ne s’agit pas d’universaliser un modèle préexistant, mais bien de créer un monde nouveau, débarrassé des dominations anciennes.
À Tous Créoles, nous avons toujours voulu inscrire nos actions dans cet état d’esprit. Nos conférences, notamment celles organisées dans le cadre du cycle Vérité et conciliation, n’ont jamais évité les questions difficiles. Nous avons mis à plat les systèmes d’oppression, analysé les héritages coloniaux et tenté, à notre échelle, de construire des espaces de parole qui permettent d’avancer sans nier les blessures du passé.
Qui détient la vérité sur Fanon ?
Nous ne prétendons pas détenir la vérité unique sur Fanon. Nous avons cherché notre propre voie, en nous inspirant de sa pensée sans la figer dans une seule interprétation. Si Fanon, dans son engagement algérien, a appelé à transformer la violence intériorisée en force révolutionnaire, il n’a jamais cessé de déconstruire le manichéisme colonial qui réduisait le colonisé à un être inférieur et le colonisateur à un oppresseur inébranlable. Il a toujours cherché à redonner aux peuples colonisés leur pleine humanité et leur droit à l’autodétermination, tout en refusant les enfermements identitaires.
Aujourd’hui encore, son héritage nous interroge. Il est une clé pour comprendre les luttes actuelles, pour penser l’émancipation individuelle et collective. Il nous invite à ne jamais accepter l’ordre établi comme une fatalité, mais à imaginer des horizons nouveaux. Et c’est précisément dans cet esprit que nous avons organisé cette conférence.
Nous ne nous revendiquons pas comme les seuls héritiers légitimes de Fanon. Mais nous croyons que son message n’appelle pas au repli ni au dogmatisme. Il exige que nous réfléchissions, que nous débattions, que nous construisions. Non pas pour réconcilier artificiellement des antagonismes sans résoudre les injustices, mais pour aller de l’avant, en ayant pleinement conscience du passé.
Si cette démarche peut sembler insuffisante aux yeux du Cercle Frantz Fanon, nous l’acceptons. Mais nous affirmons que le débat autour de son œuvre ne peut être confisqué par personne. Il appartient à tous ceux qui, aujourd’hui encore, refusent la domination sous toutes ses formes et cherchent, chacun à sa manière, à inventer un monde plus juste.
Je dis qu’aucun discours, aucune proclamation sur la culture ne nous détourneront de nos tâches fondamentales qui sont la libération du territoire national, une lutte de tous les instants contre les formes nouvelles du colonialisme, un refus obstiné de nous entre-émerveiller au sommet. »
Dans cette perspective, le Cercle Frantz Fanon voit en l’association Tous Créoles une expression contemporaine de l’idéologie assimilationniste et intégrative à la France, toujours perçue comme une puissance coloniale. Selon eux, cette initiative masque la réalité des crimes historiques commis en Martinique et contribue, volontairement ou non, à la perpétuation d’un ordre inique. Loin de remettre en question les structures de domination, elle les conforterait, là où Fanon, au contraire, incarne un penseur de la subversion et du bouleversement radical des rapports de force.
Ainsi, pour le Cercle, réduire la décolonisation à une simple question d’entente entre les différentes composantes ethniques de la société martiniquaise revient à en trahir le sens profond. Il s’agirait non pas d’instaurer un dialogue entre communautés, mais bien de mettre fin aux rapports d’exploitation et de domination sous toutes leurs formes. Dès lors, il leur apparaît indécent que Tous Créoles puisse prétendre rendre hommage à la figure de Fanon, dont l’humanisme ne peut être dissocié d’un impératif de rupture avec le colonialisme et le capitalisme. Reprendre son nom sans assumer cette radicalité reviendrait à édulcorer sa pensée, à ignorer que sa vision exige que les Martiniquais puissent prendre en main leur destin et gérer librement leurs ressources, sans la tutelle de l’État français.
Face à cette critique virulente, j’ai fait le choix, pour la première fois, de répondre. Non dans un esprit de justification ou d’indignation, mais dans la volonté sincère d’instaurer un dialogue.
Sur le fond, nous partageons de nombreux points avec le Cercle Frantz Fanon. Nous reconnaissons pleinement que Fanon est une figure majeure de la pensée décoloniale et révolutionnaire, et que son œuvre constitue une critique radicale des systèmes d’oppression. Son humanisme repose sur un refus de toute forme de domination et une quête inlassable de la dignité universelle. Il croyait en la capacité de l’homme à se réinventer, à dépasser les carcans imposés par l’histoire pour tendre vers ce qu’il appelait l’Homme total.
Nous adhérons aussi à son analyse du colonialisme, non seulement comme un système d’exploitation économique et politique, mais aussi comme une violence psychologique destructrice. Psychiatre, Fanon a mis en lumière les effets dévastateurs de l’oppression sur l’individu, affirmant que la libération des peuples passe également par une libération intérieure. Ce travail sur les mécanismes de l’aliénation reste essentiel pour comprendre les luttes postcoloniales d’aujourd’hui.
Mais surtout, nous retenons un aspect central de sa pensée : son rejet des identités figées. Fanon défend une vision universelle de l’identité humaine, au-delà des classifications raciales et culturelles. Il s’oppose à toutes les formes de racisme et de hiérarchisation des peuples, et bien qu’il ait été un révolutionnaire, il ne renie jamais la nécessité du dialogue et de l’écoute. Il ne conçoit pas l’avenir comme un simple renversement des rôles, mais comme une réinvention totale des rapports humains.
La radicalité de Fanon
C’est dans cet esprit que nous avons abordé l’organisation de cette conférence. Loin d’occulter la radicalité de Fanon, nous avons cherché à mettre en lumière la profondeur de sa pensée et son actualité brûlante. Son influence dépasse largement son époque : des mouvements antiracistes aux États-Unis, comme ceux qui ont émergé lors des manifestations de Ferguson et Baltimore, aux revendications identitaires dans l’Afrique post-apartheid, en passant par la musique contestataire, Fanon continue de nourrir les combats contemporains. Et cela nous l’intégrons totalement…
Nous savons également que son humanisme se distingue de l’humanisme classique européen. Là où ce dernier s’est souvent accompagné de justifications coloniales et esclavagistes, Fanon propose un humanisme qui ne peut naître que du dépassement des structures oppressives. Ce qu’il appelle l’éthique de générosité n’est pas un simple idéal moral, mais une nécessité révolutionnaire. Il ne s’agit pas d’universaliser un modèle préexistant, mais bien de créer un monde nouveau, débarrassé des dominations anciennes. Notre monde de la créolité !
À Tous Créoles, nous avons toujours voulu inscrire nos actions dans cette direction. Nos conférences, notamment celles organisées dans le cadre du cycle Vérité et conciliation, n’ont jamais évité les questions difficiles. Nous avons mis à plat les systèmes d’oppression, analysé les héritages coloniaux et tenté, à notre échelle, de construire des espaces de parole qui permettent d’avancer sans nier les blessures du passé.
Nous ne prétendons pas détenir la vérité unique sur Fanon. Nous avons cherché notre propre voie, en nous inspirant de sa pensée sans la figer dans une seule interprétation. Si Fanon, dans son engagement algérien, a appelé à transformer la violence intériorisée en force révolutionnaire, il n’a jamais cessé de déconstruire le manichéisme colonial qui réduisait le colonisé à un être inférieur et le colonisateur à un oppresseur inébranlable. Il a toujours cherché à redonner aux peuples colonisés leur pleine humanité et leur droit à l’autodétermination, tout en refusant les enfermements identitaires.
Aujourd’hui encore, son héritage nous interroge. Il est une clé pour comprendre les luttes actuelles, pour penser l’émancipation individuelle et collective. Il nous invite à ne jamais accepter l’ordre établi comme une fatalité, mais à imaginer des horizons nouveaux. Et c’est précisément dans cet esprit que nous avons organisé cette conférence.
Nous ne nous revendiquons pas comme les seuls héritiers légitimes de Fanon. Mais nous croyons que son message n’appelle pas au repli ni au dogmatisme. Il exige que nous réfléchissions, que nous débattions, que nous construisions. Non pas pour réconcilier artificiellement des antagonismes sans résoudre les injustices, mais pour aller de l’avant, en ayant pleinement conscience du passé. Pour surtout faire de nos différences une œuvre collective, savoir une Martinique riche de toutes ses composantes.
Si cette démarche peut sembler insuffisante aux yeux du Cercle Frantz Fanon, nous l’acceptons. Mais nous affirmons que le débat autour de son œuvre ne peut être confisqué par personne. Il appartient à tous ceux qui, aujourd’hui encore, refusent la domination sous toutes ses formes et cherchent, chacun à sa manière, à inventer un monde plus juste.
Gérard Dorwling-Carter