L’histoire de la contribution des soldats polonais dans la révolution haïtienne est souvent méconnue. Envoyés initialement pour soutenir l’armée de Napoléon contre les forces révolutionnaires haïtiennes, ces soldats ont fini par se rallier aux insurgés noirs. Cet épisode singulier de l’histoire révèle des histoires de courage, de souffrance, et d’humanité face à la brutalité de la guerre. À travers des témoignages poignants, des lettres personnelles et des rapports militaires, nous redécouvrons un pan oublié de la lutte pour l’indépendance d’Haïti.
Józef Kwaterko – Institut d’études romanes – Université de Varsovie
Des soldats en terre inconnue : un destin tragique
En 1802, Napoléon Bonaparte décide de rétablir l’esclavage dans les colonies françaises, y compris en Haïti, alors appelée Saint-Domingue. Pour renforcer ses troupes, il envoie plusieurs unités de soldats polonais qui espèrent, en échange, obtenir l’indépendance de leur propre pays, alors sous occupation étrangère. Mais très vite, ces soldats se rendent compte de la brutalité de la guerre qui se joue dans les Caraïbes.
Un témoignage clé est celui du commandant Jasiński, qui, se voyant encerclé par des milliers d’insurgés haïtiens, préfère se donner la mort plutôt que de tomber aux mains de ceux qu’il qualifie de “peuple sauvage qui se bat pour son indépendance”. Cette décision tragique révèle l’état de désespoir de ces hommes face à une guerre qu’ils n’avaient pas anticipée.
De plus, une lettre de Jozef Zadora, adressée à son frère Théodore, décrit une situation désespérée dans laquelle seuls quelques centaines de soldats survivent aux combats et aux maladies tropicales. “Je t’écris probablement pour la dernière fois avant ma mort […] il vaut mieux mendier son pain en Europe que de faire fortune en Amérique,” écrit-il avec amertume.
Un ralliement inattendu : les Polonais aux côtés des Haïtiens
Malgré l’horreur de la guerre, certains Polonais ont fini par sympathiser avec les Haïtiens. En voyant la détermination des insurgés noirs à obtenir leur liberté et leur indépendance, plusieurs soldats polonais ont choisi de déserter l’armée française pour rejoindre les rangs des Haïtiens. Ils se sont battus aux côtés des esclaves révoltés, estimant que leur propre combat pour la liberté contre les envahisseurs européens n’était pas si différent de celui des Haïtiens contre l’oppression coloniale.
Un sous-lieutenant polonais, dans une lettre adressée à un collègue, exprime une réflexion surprenante sur les Haïtiens : “Ils savent fort bien observer des engagements qu’ils ont pris,” écrit-il. Bien que considérés comme des “brigands” par l’armée française, ces insurgés sont, aux yeux de certains soldats polonais, des combattants dignes et résolus. Le même officier relate avoir été bien accueilli par les chefs haïtiens malgré leur réputation de sauvagerie, reconnaissant que leur combat était légitime face aux exactions coloniales.
Une brutalité inouïe : la guerre menée par Napoléon
La guerre en Haïti se distingue par une violence extrême, souvent dirigée contre les populations locales. L’utilisation de chiens pour attaquer les insurgés est un des exemples les plus horribles de cette brutalité. Dans une lettre, un soldat polonais décrit comment 200 chiens, spécialement entraînés et amenés des colonies espagnoles, étaient utilisés pour traquer les Haïtiens. Ces chiens, soignés par des Espagnols et conduits à l’attaque, dévoraient les captifs sans pitié.
Les lettres des soldats polonais témoignent non seulement de la violence de la guerre, mais aussi de l’inhumanité avec laquelle elle était menée par les troupes coloniales européennes. Cette guerre, bien différente de celle qu’ils avaient connue en Europe, les expose à une réalité qu’ils n’avaient jamais imaginée.
L’héritage des “Polonais noirs” en Haïti
À l’issue de la guerre, Haïti devient la première république noire indépendante en 1804. Certains des soldats polonais qui avaient rejoint la cause haïtienne s’installent définitivement dans le pays. Ils sont appelés les “Polonais noirs” en raison de leur intégration dans la société haïtienne. Beaucoup d’entre eux se marient avec des Haïtiennes et leurs descendants vivent encore en Haïti aujourd’hui.
Cet épisode méconnu de l’histoire illustre la complexité des relations entre Europe et Amérique durant cette période de bouleversements révolutionnaires. Il montre aussi que les luttes pour la liberté transcendent les frontières nationales et raciales, unissant des hommes de différentes origines dans un même combat pour la justice et l’indépendance.
L’histoire des Polonais noirs en Haïti est un témoignage poignant de la solidarité humaine face à l’oppression. Elle rappelle que, même dans les circonstances les plus terribles, des ponts peuvent être bâtis entre des peuples autrefois ennemis. L’héritage des soldats polonais en Haïti continue d’inspirer et de rappeler que la quête de liberté est universelle.