Permettez d’abord dans un premier temps que je ne détache pas le souvenir de Gesner Mencé de celui du père Henri Boclé. En 1953, le premier avait 23 ans et le second était largement son aîné. Ils ont été pour moi en cette année dans la commune du François les deux figures de proue dans la défense de la cause de la dignité des fonctionnaires martiniquais face aux fonctionnaires métropolitains.

Tous les deux, instituteurs, ont à cette occasion,  dès la première heure, abandonné leur école mais n’ont pas laissé partir leurs élèves dans la nature. Ils ont aussi montré à tous la haute valeur qu’ils avaient de leur mission vis-à-vis de ces jeunes. J’avais 11 ans et j’étais élève de Henri Boclé en classe de CM2. Il nous a fait venir en classe chaque jour de la crise le matin à 8 heures et l’après-midi à 13 h dans la salle de délibération municipale. Vous savez le succès remporté par cette grève.  Mais il faut aussi savoir que les 4 premiers admis au concours de l’entrée en 6ème en cette année 1952-1953 ont été des élèves de Henri Boclé.

Gesner Mencé, ensuite, en raison de ses qualités humaines, a toujours suivi  le devenir de ses anciens élèves. Comme il n’a cessé de manifester sa constante hostilité au caractère colonial de la vie sociale et politique de la Martinique.

À l’âge de 20 ans, parti faire des études à Toulouse, j’avais du plaisir à échanger de temps en temps avec lui par la voie épistolaire, notamment sur la santé publique de notre pays. Mais en février 1963, l’arbitraire colonial tombait sur lui avec l’affaire l’OJAM. Après une perquisition, avant d’être arrêté, on a saisi chez lui une de mes lettres. Ce qui va me coûter une commission rogatoire avec interdiction de quitter la ville de Toulouse. J’étais à l’époque président de la section de Toulouse de l’AGEM (Association Générale des Etudiants de Martinique).  Mais avec un royal mépris, je partais en Algérie en juin 1963 avec une bourse du gouvernement Ben Bella pour l’école d’ingénieurs de Maison Carrée à Alger.

Gesner Mencé, lui, a été emprisonné à Fresnes pendant de nombreux mois et loin de sa famille.

Cette expérience malheureuse n’a pas altéré pour autant chez Gesner Mencé ses ardeurs anticolonialistes. Tant s’en faut. Il a toujours revendiqué avec force la détermination qui fut la sienne pendant toute l’affaire de l’OJAM. On l’a vu s’impliquer dans toutes les manifestations de commémoration des grands moments de notre histoire, comme dans les manifestations d’hostilité à tout ce qui venait heurter notre situation sociale et politique. Mais encore, ce que nous devons lui reconnaître avec la plus grande satisfaction, il n’a jamais manqué de soutenir les jeunes qui s’alignaient sur les valeurs proches des siennes.

Gesner Mencé nous a quittés ; nous avons perdu un grand militant anticolonialiste.

J’exprime mes plus sincères condoléances à sa famille.

Léo URSULET

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