L’intelligence artificielle est-elle réellement l’ennemie du travail ? À force de ne regarder qu’une partie de l’histoire, ne passe-t-on pas à côté de ses effets transformateurs ?
En 2023, IBM a remplacé près de 8 000 employés par l’IA, notamment dans les services RH. Mais contre toute attente, l’entreprise a dû en réembaucher autant, dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme le développement logiciel et le marketing.
Une situation qui bouscule les idées reçues… et appelle à une lecture plus nuancée du rôle de l’IA dans l’évolution du marché de l’emploi.
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Loïc Nicolay aka « nicoln » – Journaliste. Je suis un passionné de Tech et de science : de l’astronomie aux voitures électriques, en passant par l’informatique qui est à l’origine de ma passion pour la Tech. Sans oublier mes sports : la force athlétique, le tennis et les sports mécaniques. Bref, ma vie gravite autour du sport et de la Tech.
IBM a licencié 8 000 employés pour les remplacer par l’IA ; ce à quoi elle ne s’attendait pas, c’est de devoir en réembaucher autant… à cause de l’IA

Début 2023, IBM a pris une décision radicale : remplacer des milliers de postes, essentiellement dans les fonctions support, par des solutions d’intelligence artificielle. L’objectif affiché était clair : automatiser jusqu’à 30 % des tâches répétitives, notamment en ressources humaines, et ainsi réaliser d’importantes économies de productivité. Cette stratégie, loin d’être isolée, s’inscrivait dans une vague mondiale de rationalisation où d’autres géants de la tech, comme Google ou Spotify, procédaient également à des licenciements massifs.
Mais IBM a poussé l’expérimentation plus loin que ses concurrents. Grâce à la solution AskHR, un agent conversationnel dopé à l’IA, 94 % des tâches routinières de gestion RH ont été automatisées, du traitement des congés à la gestion de la paie, en passant par la documentation des salariés. Cette automatisation a permis à la firme de dégager 3,5 milliards de dollars de productivité sur plus de 70 métiers différents.
Pourtant, la suite a surpris jusqu’aux dirigeants d’IBM. Loin de réduire durablement ses effectifs, la société a vu son nombre total d’employés repartir à la hausse après la vague de licenciements. Arvind Krishna, PDG d’IBM, l’a expliqué au Wall Street Journal : « Alors que nous avons fait un énorme travail pour tirer parti de l’IA, notre total d’emplois a en fait augmenté, car cela a permis d’investir davantage dans d’autres domaines. »
En effet, l’automatisation a libéré des ressources financières et humaines, redéployées vers des secteurs à forte valeur ajoutée. IBM a ainsi massivement recruté des ingénieurs logiciels, des commerciaux et des spécialistes du marketing, des métiers où la créativité, la pensée critique et l’interaction humaine restent irremplaçables par la machine. Les tâches répétitives et prévisibles ont été confiées à l’IA, mais les besoins en compétences humaines ont explosé dans les domaines stratégiques.
Vers une transformation du marché du travail
L’exemple d’IBM illustre une tendance de fond : l’IA ne se contente pas de supprimer des emplois, elle en crée de nouveaux, souvent plus qualifiés et mieux rémunérés. Mais cette mutation n’est pas sans heurts. Les métiers les plus exposés à l’automatisation, comme les fonctions support, sont remplacés, tandis que la demande explose pour les profils capables de piloter, concevoir et vendre les solutions d’IA.
IBM n’est pas un cas isolé. D’autres entreprises, telles que Duolingo ou certaines plateformes de service client, ont également tenté de remplacer massivement leurs effectifs par des chatbots, parfois avec des résultats mitigés, les obligeant à réembaucher des spécialistes pour pallier les limites de l’automatisation.
La réussite de l’automatisation chez IBM repose sur la capacité de l’entreprise à réinvestir les économies réalisées dans des secteurs porteurs. Le cas d’AskHR est emblématique : en 2024, la plateforme a traité plus de 11,5 millions d’interactions, avec un taux de satisfaction client (NPS) passé de -35 à +74 en quelques années. Mais, malgré ces succès, seulement 6 % des demandes nécessitent encore l’intervention humaine, preuve que la transformation n’est pas totale et que certaines compétences restent indispensables.
Le cas IBM pose la question de l’avenir du travail à l’ère de l’IA. Selon le rapport du Forum économique mondial, près de 92 millions d’emplois pourraient disparaître d’ici 2030 à cause de l’automatisation, mais de nouveaux métiers émergent déjà à grande vitesse. L’enjeu pour les entreprises et les salariés sera d’anticiper ces mutations, de se former et de s’adapter à un marché du travail en perpétuelle évolution. Chez IBM, l’IA n’a pas seulement supprimé des emplois : elle a obligé l’entreprise à repenser en profondeur sa stratégie RH et à réinventer les contours de l’emploi moderne.