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Alors que le conflit en Ukraine entre dans sa troisième année sans issue en vue, les lignes de front semblent figées autant sur le terrain que dans les discours. De Moscou à Washington, de Bruxelles à Kiev, deux narrations s’opposent avec une constance remarquable. L’une est portée par le Kremlin, l’autre par les capitales occidentales. Comprendre ces logiques discursives, sans nécessairement y adhérer, permet de mieux cerner les impasses diplomatiques actuelles et les fractures géopolitiques profondes qu’elles révèlent.
Un récit défensif du côté russe
Depuis le déclenchement de l’offensive du 24 février 2022, les autorités russes affirment intervenir en Ukraine pour des raisons de sécurité nationale. À en croire Vladimir Poutine et ses porte-parole, la Russie n’aurait aucune visée expansionniste. L’opération militaire serait, selon eux, une réponse à l’élargissement de l’OTAN, perçu comme une menace existentielle.
Ce récit s’accompagne d’une relecture idéologique du conflit : l’Ukraine serait devenue le théâtre d’une guerre par procuration, instrumentalisée par l’Occident pour affaiblir la Russie. Le gouvernement ukrainien est régulièrement assimilé à des mouvances « néonazies » ou extrémistes, afin de légitimer l’intervention militaire aux yeux de la population russe.
À l’intérieur du pays, la répression contre les opposants et les restrictions imposées aux médias sont justifiées comme autant de mesures de protection contre l’ingérence étrangère. Le discours officiel, relayé par une large machine médiatique, présente ces actions comme nécessaires à la stabilité nationale.
Sur le plan diplomatique, Moscou affirme sa volonté de négocier, mais pose des conditions jugées inacceptables par Kiev : reconnaissance de l’annexion de la Crimée, retrait ukrainien de plusieurs régions occupées. La prolongation du conflit est imputée à l’Occident, accusé de refuser tout compromis.
Un récit de légalité internationale du côté occidental
Face à cette rhétorique, les États-Unis, l’Union européenne et leurs alliés opposent une vision diamétralement opposée. Pour eux, l’invasion russe constitue une violation flagrante du droit international, de la souveraineté ukrainienne et de la Charte des Nations unies. Il s’agit, selon cette lecture, d’une guerre d’agression injustifiée.
Le soutien à l’Ukraine, tant militaire qu’économique, est présenté comme un devoir moral et politique envers un État agressé. Les puissances occidentales soulignent le droit des Ukrainiens à choisir librement leur orientation diplomatique, y compris un rapprochement avec l’OTAN.
Les propositions russes de cessez-le-feu sont, quant à elles, souvent perçues comme des tentatives de figer le conflit et de consacrer des conquêtes territoriales acquises par la force. La notion de « paix juste et durable » revient régulièrement dans le discours européen, impliquant notamment le retrait des troupes russes de l’ensemble du territoire ukrainien.
Parallèlement, l’Occident critique avec virulence la dérive autoritaire du régime russe, la criminalisation de l’opposition et l’usage massif de la propagande.
L’impasse d’un dialogue entre récits antagonistes
Ces deux rhétoriques fonctionnent selon des logiques internes cohérentes, mais mutuellement exclusives. Chacune nourrit ses opinions publiques, légitime son action internationale et renforce sa posture stratégique. Elles traduisent, au-delà du conflit ukrainien, une confrontation plus large entre visions du monde antagonistes : l’une fondée sur la souveraineté et les sphères d’influence, l’autre sur le droit international et la défense des démocraties.
Dans ce contexte, la recherche d’une issue politique apparaît d’autant plus complexe que le langage lui-même fait l’objet d’un affrontement. Tant que les termes du débat resteront aussi polarisés, les perspectives d’un dialogue véritable — et d’une paix durable — semblent éloignées.