En janvier 1946, lors de la première Assemblée générale des Nations Unies à Londres, Eleanor Roosevelt – alors déléguée des États-Unis et ancienne Première Dame – a co-rédigé et lu une « Lettre ouverte aux femmes du monde entier » devant les autres représentants. Ce message, signé par l’ensemble des femmes déléguées présentes, exhortait les femmes de tous pays à s’engager activement dans la vie civique nationale et internationale, notamment dans les efforts de paix et de reconstruction de l’après-guerre.
Cette lettre est un des premiers jalons vers la création de la Commission de la condition de la femme au sein de l’ONU – juste avant la création de la Commission de la condition de la femme la même année – un organe qui, encore aujourd’hui, œuvre pour les droits des femmes à travers le monde.
Son message reste d’actualité : l’autonomisation des femmes et leur engagement dans la vie politique et sociale sont essentiels pour bâtir un monde plus juste et pacifique.
(Traduction en français du texte original en anglais, prononcé par Eleanor Roosevelt en 1946)
“Cette première Assemblée des Nations Unies marque la deuxième tentative des peuples du monde de vivre en paix au sein d’une communauté mondiale démocratique. Cette nouvelle chance pour la paix a été gagnée grâce aux efforts conjoints des hommes et des femmes, unis par des idéaux communs de liberté humaine, à une époque où la nécessité d’un effort collectif a brisé les barrières de race, de croyance et de sexe.
Compte tenu des nombreuses tâches que les femmes ont accomplies avec courage et détermination durant la guerre, nous nous réjouissons que dix-sept femmes déléguées et conseillères, représentant onze États membres, participent au début de cette nouvelle phase de coopération internationale. Nous espérons que leur engagement dans les travaux de l’Organisation des Nations Unies continuera de croître, gagnant en profondeur et en efficacité. À cette fin, nous appelons les gouvernements du monde entier à encourager les femmes à jouer un rôle plus actif dans les affaires nationales et internationales, et nous exhortons les femmes, conscientes de leurs responsabilités, à s’engager dans l’œuvre de paix et de reconstruction, tout comme elles l’ont fait durant la guerre et la résistance.
Nous reconnaissons que les femmes, dans différentes parties du monde, ne sont pas toutes au même niveau de participation à la vie de leur communauté. Certaines sont encore privées, par la loi, de leurs droits civiques complets, et elles peuvent donc percevoir leurs défis immédiats différemment.
Conscientes de ces réalités et trouvant un accord sur ces points, nous souhaitons, en tant que groupe, adresser aux femmes de tous nos pays un message fort : nous sommes convaincues qu’une opportunité majeure et une grande responsabilité s’ouvrent aux femmes des Nations Unies.
Reconnaître les progrès réalisés par les femmes pendant la guerre et participer activement aux efforts visant à améliorer les conditions de vie dans leurs propres pays, ainsi qu’aux travaux urgents de reconstruction, afin que des femmes qualifiées soient prêtes à assumer des responsabilités lorsque de nouvelles opportunités se présenteront.
Éduquer leurs enfants – filles et garçons – à comprendre les problèmes du monde et la nécessité de la coopération internationale, tout en les sensibilisant aux défis propres à leur pays.
Ne pas se laisser tromper par des mouvements antidémocratiques, aujourd’hui ou à l’avenir.
Reconnaître que l’objectif d’une participation complète à la vie et aux responsabilités de leur pays ainsi qu’à la communauté mondiale est un but commun vers lequel les femmes du monde entier doivent s’entraider.
Signataires : La lettre était signée par 17 femmes déléguées et conseillères représentant 11 pays membres de l’ONU, notamment :
- Eleanor Roosevelt (États-Unis) – Première Dame des USA (1933–1945) et déléguée à l’ONU
- Bodil Begtrup (Danemark)
- Minerva Bernardino (République dominicaine)
- Frieda Dalen (Norvège)
- Dorothy Fosdick (États-Unis)
- Olga Hillová (Tchécoslovaquie)
- Marie-Hélène Lefaucheux (France)
- Jean McKenzie (Nouvelle-Zélande)
- Lesley McPhee (Nouvelle-Zélande)
- Kathleen Midwinter (Royaume-Uni)
- Frieda S. Miller (États-Unis)
- Christine I. Rolfe (Royaume-Uni)
- Gertrude Sekaninová (Tchécoslovaquie)
- Evdokia Uralova (République socialiste soviétique de Biélorussie)
- H. (Hendrika) Verwey (Pays-Bas)
- Ellen Wilkinson (Royaume-Uni)
- Rena Zafirou (Grèce)
(Ces noms sont retranscrits tels qu’ils figurent dans le document d’origine.)
Sources officielles : Le texte intégral de cette lettre figure dans les archives des Nations Unies (session inaugurale de l’Assemblée générale de 1946) et a été reproduit dans des compilations documentaires officielles. Par exemple, la publication International Documents on the Status of Women (Women’s Bureau Bulletin No. 217, 1946) en donne la transcription complète. Les Archives présidentielles Franklin D. Roosevelt conservent également le manuscrit de cette lettre dans les papiers d’Eleanor Roosevelt. Enfin, on peut en consulter des extraits via des sources universitaires, tels que le projet Eleanor Roosevelt Papers de l’Université George Washington (chronique My Day du 8 février 1946), ou sur le site des Nations Unies (qui rappelle le contexte de cet appel historique).
Texte intégral (version originale en anglais) : Eleanor Roosevelt et ses collègues déclarent dans cette lettre :
“This first Assembly of the United Nations marks the second attempt of the peoples of the world to live peaceably in a democratic world community. This new chance for peace was won through the joint efforts of men and women working for common ideals of human freedom at a time when need for united effort broke down barriers of race, creed and sex.”
“In view of the variety of tasks which women performed so notably and valiantly during the war, we are gratified that seventeen women delegates and advisers, representatives of eleven member states, are taking part at the beginning of this new phase of international effort. We hope their participation in the work of the United Nations Organization may grow and may increase in insight and skill. To this end we call on the governments of the world to encourage women everywhere to take a more active part in national and international affairs, and on women who are conscious of their opportunities to come forward and share in the work of peace and reconstruction as they did in war and resistance.”
“We recognize that women in various parts of the world are at different stages of participation in the life of their communities, that some of them are prevented by law from assuming full rights of citizenship, and that they therefore may see their immediate problems somewhat differently.”
“Finding ourselves in agreement on these points, we wish as a group to advise the women of all our countries of our strong belief that an important opportunity and responsibility confronts the women of the United Nations:”
1. To recognize the progress women have made during the war and participate actively in the effort to improve the standard of life in their own countries and in the pressing work of reconstruction so that there will be qualified women ready to accept responsibility when new opportunities arise.
2. To train their children, boys and girls alike, to understand world problems and the need for international cooperation as well as the problems of their own countries.
3. Not to permit themselves to be misled by antidemocratic movements, now or in the future.
4. To recognize that the goal of full participation in the life and responsibilities of their countries and of the world community is a common objective toward which the women of the world should assist one another.”