“Avec cette adhésion au CARICOM, nous cessons d’être des spectateurs dans notre propre région. Nous redevenons acteurs de notre destinée caribéenne et ouvrons de nouvelles perspectives pour notre économie, notre jeunesse et notre avenir.”
Ce 20 février 2025 la Martinique devient officiellement membre associé de la Communauté des Caraïbes (CARICOM). Après un long processus entamé en 2012, cette adhésion représente un tournant diplomatique et économique majeur pour le territoire. Serge Letchimy, président du Conseil Exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), revient sur cette avancée historique et sur les perspectives qu’elle ouvre.
“Un moment historique pour la Martinique et la Caraïbe”
Antilla : Monsieur Letchimy, vous venez de signer aujourd’hui l’adhésion de la Martinique comme membre associé du CARICOM. Quel est votre sentiment à ce moment précis ?
Serge Letchimy : C’est un moment de grande émotion. Le chemin a été très, très long. Nous avons introduit cette demande en 2012, et il faut se souvenir des pionniers qui ont œuvré pour l’intégration régionale : Clovis Beauregard, Martiniquais, Aimé Césaire, ou encore Eric Williams de Trinidad. Ils ont tous joué un rôle immense.
Aujourd’hui, nous vivons un moment historique, parce que nous retrouvons enfin une place institutionnelle dans notre bassin caribéen, notre espace maritime transfrontalier. Pendant des siècles, nous avons été absents de cet espace institutionnel, tournés vers l’Europe. Aujourd’hui, nous franchissons une nouvelle étape.
Concrètement, que signifie ce statut de membre associé pour la Martinique ?
Cela signifie que nous avons désormais une reconnaissance institutionnelle au sein de la Caraïbe, en plus de notre appartenance à la République française et à l’Union européenne. Nous rejoignons une communauté de vingt millions d’habitants, avec une vingtaine d’États membres et associés.
Nous entrons dans un double marché : le marché européen et le marché caribéen. Le CARICOM existe depuis 1973 et dispose d’un cadre économique structuré qui va nous permettre de renforcer nos échanges commerciaux et industriels. Nous devons en tirer profit pour notre développement économique et notre ancrage régional.
“Rééquilibrer les relations économiques”
Quels sont les premiers défis à relever suite à cette intégration ?
Le principal enjeu est de rétablir un équilibre dans les relations économiques entre la Caraïbe et l’Union européenne. Aujourd’hui, les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) peuvent commercialiser leurs produits en Europe avec très peu de taxes, mais les régions ultrapériphériques européennes, comme la Martinique, sont confrontées à des relations inéquitables. Il est impératif de rééquilibrer ces échanges.
Nous devons également revoir le cadre normatif. Il faut adapter ou créer des équivalences entre les normes européennes et caribéennes pour faciliter la coopération. Actuellement, certaines normes constituent un frein aux échanges. Ce chantier a été initié au niveau gouvernemental et nous allons y contribuer activement.
Quelles sont les premières actions concrètes qui vont être mises en place ?
Nous allons rapidement travailler sur plusieurs axes prioritaires :
- La santé : Une convention sera signée pour identifier les enjeux sanitaires dans la Caraïbe et renforcer la coopération en la matière.
- Les industries culturelles : Il est crucial de structurer ce secteur au niveau régional.
- La logistique : Nous devons améliorer la connectivité aérienne, maritime et numérique entre la Martinique et les autres îles. Aujourd’hui, les liaisons sont insuffisantes.
- Les matériaux de construction : Nous allons travailler sur l’harmonisation des normes pour favoriser la transformation locale des matériaux importés.
- Les accords de partenariat économique (APE) : Ces accords, fixés par l’Union européenne avec les pays ACP, doivent être repensés pour permettre des échanges horizontaux entre les territoires de la Caraïbe. Aujourd’hui, tout est structuré de manière verticale entre l’Europe et les ACP, mais nous devons aussi organiser notre coopération régionale.
“Un nouvel espace d’émancipation économique”
L’adhésion au CARICOM est-elle un pas vers une plus grande autonomie économique de la Martinique ?
Oui, c’est une étape importante vers une émancipation économique. En intégrant officiellement le CARICOM, nous créons un nouvel espace d’opportunités pour les entreprises martiniquaises. Il ne s’agit pas seulement de commerce, mais aussi d’investissement, de développement technologique et industriel.
Nous devons utiliser ce statut pour renforcer notre position géostratégique. Trop souvent, nous avons laissé passer des opportunités. Il est temps de bâtir un véritable “triangle du progrès” entre l’Europe, l’Amérique et la Caraïbe, pour tourner définitivement la page du commerce triangulaire colonial et construire une coopération économique bénéfique pour tous.
Il reste cependant une dernière étape avant que cette adhésion soit totalement effective, n’est-ce pas ?
Effectivement, la signature du protocole de privilèges et d’immunités par le ministre français, Thani Mohamed Soilihi, doit encore être ratifiée par le Parlement français. Ce protocole facilitera notamment la circulation des fonctionnaires et des personnalités entre la Martinique et le CARICOM.
Mais cela reste une simple formalité. Le ministre connaît bien le dossier et fera en sorte que la ratification soit rapidement validée. Cette adhésion est un tournant majeur pour la Martinique et, à terme, j’espère voir d’autres territoires ultramarins, comme la Guadeloupe et la Guyane, suivre le même chemin.
“Être européen, être français, c’est une réalité, mais nous sommes avant tout caribéens et martiniquais”
Un dernier mot sur la signification de cette avancée pour la jeunesse martiniquaise ?
Nous avons ouvert une porte pour la jeunesse martiniquaise. Désormais, nous devons travailler pour que cette ouverture se concrétise en opportunités réelles. Être européen, être français, c’est une réalité, mais nous sommes avant tout caribéens et martiniquais. Ce statut de membre associé du CARICOM doit nous permettre de renforcer notre identité et notre développement au sein de notre espace naturel.
De notre envoyé spécial sur place : Sabrina Ajax (Richès Karayib)
Le CARICOM, une organisation clé pour la Caraïbe
Créée en 1973, la Communauté des Caraïbes (CARICOM) est une organisation régionale regroupant 15 États membres et plusieurs territoires associés. Son objectif principal est de favoriser l’intégration économique et politique des pays caribéens à travers un marché commun, une coordination des politiques extérieures et une coopération accrue dans des domaines clés comme la santé, l’éducation et l’environnement.
Les membres du CARICOM bénéficient de facilités en matière de commerce, de circulation des biens et de collaboration institutionnelle. Grâce à son statut de membre associé, la Martinique pourra désormais renforcer ses liens avec les pays de la région, tout en bénéficiant des opportunités offertes par cette organisation stratégique. Cette adhésion représente un tournant majeur pour l’île, qui cherche à s’ancrer plus solidement dans son environnement naturel caribéen.